Comment représenter les processus de petite échelle,
comme les précipitations ou les orages, dans la modélisation climatique d’une région? Une technique de guidage le permet…
Le réchauffement climatique dans les régions1
Le cinquième rapport d’évaluation du GIEC prévoit une augmentation de la température moyenne de la terre comprise entre environ 1,0°C (scénario optimiste) et 4,1°C (scénario pessimiste) au cours du 21e siècle, s’accompagnant d’une montée du niveau des mers de 26 à 82 cm. Ce changement rapide du climat mondial s’accompagne de catastrophes naturelles (cyclones, sécheresses, inondations…) plus fréquentes dans certaines parties du monde.
Entre autres conséquences, ces événements extrêmes pourraient être la cause d’une désorganisation radicale de l’agriculture, de grands mouvements de populations abandonnant les régions frappées par les catastrophes (régions inondées et zones soumises à la désertification) pour des zones moins touchées, de problèmes de santé (désorganisation du système de santé, stress, expansion des maladies tropicales, …) et des tensions politiques exacerbées. La vulnérabilité des systèmes naturels et sociaux à ces événements extrêmes et leur capacité d’adaptation varient entre régions géographiques et entre populations. Il est donc essentiel de bien comprendre comment le climat évolue à l’échelle régionale pour mieux comprendre les contraintes qui s’appliquent à ces sociétés.
GIEC
Le Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est un organisme, ouvert à tous les pays membres de l’ONU. Sa mission est d’évaluer les informations d’ordre scientifique, technique et socioéconomique permettant de mieux comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine, d’en cerner les conséquences possibles et d’envisager des stratégies d’adaptation et d’atténuation.
De l’échelle du globe terrestre à celle des régions
Les projections climatiques qui servent de base à l’élaboration du rapport d’évaluation du GIEC reposent sur des modèles clima- tiques globaux. Ces modèles consistent en la représentation numérique de la planète et des interactions entre l’atmosphère, l’océan, la glace et les surfaces continentales, interactions qui gouvernent l’évolution du climat. L’espace géographique numérique est composé de cases, appelées les mailles (à la manière des pixels d’une photo). Les interactions entre mailles sont modélisées par un certain nombre d’équations mathématiques, qui traduisent la conservation de diverses quantités physiques (masse, énergie, quantité de mouvement, etc.). Plus la maille est petite, plus le modèle est précis. L’effet des phénomènes météorologiques d’échelle inférieure à la maille (qui sont flous si on zoome la photo) est pris en compte grâce à des termes qui sont ajoutés aux équations de conservation. Un modèle climatique cherche à approcher le plus possible à la réalité, il essaie de représenter au mieux les forces qui induisent les mouvements atmosphériques, océaniques ou terrestres. Pour cela, le modèle part de conditions initiales connues des variables climatiques telles que le vent, la température, le rayonnement, l’humidité… et les fait évoluer en résolvant les équations
mathématiques.
Le modèle climatique peut couvrir l’ensemble du globe, avec pour contre-partie d’utiliser des mailles de taille relativement grossière (supérieure à 100 km). Dans ce cas, il s’agit d’un modèle de climat global. La résolution (la taille du pixel) grossière de ce type de modèle induit une représentation trop grossière du relief, des côtes mais aussi de l’occupation des sols (zones artificialisées, zones agricoles, forêts ou landes, zones humides,…). Ceci limite les études des événements extrêmes, les études d’impact et l’élaboration de straté- gies d’adaptation associées aux changements climatiques. Donc, produire de l’information à l’échelle régionale est indispensable car l’adaptation aux changements repose en grande partie sur les initiatives locales. Cette démarche nécessite des résolutions beaucoup plus fines, autour de 10 km, pour pouvoir bien décrire le relief, le trait de côte qui sépare la mer du continent, l’occupation des sols dont les zones urbaines. Dans ce cas, il est judicieux d’utiliser un modèle climatique couvrant uniquement une région, avec comme avantage d’utiliser une maille de taille fine (infé- rieure à 20 km). Il s’agit alors d’un modèle de climat régional.
Climat régional
Lorsqu’un climat régional est utilisé pour raffiner spatialement les simulations issues d’un modèle de climat global, on parle alors de désagrégation dynamique (voir encadré ci-dessous). Il s’agit en quelque sorte d’un « zoom » sur une région particulière. C’est ce que représente schématiquement la figure 1. Elle illustre le guidage par le modèle climatique global (à droite) du modèle climatique régional (à gauche). Le modèle climatique global fournit l’évolution de l’état de l’atmosphère à grande échelle (vent, température, pression, humidité), ce qui signifie que les fluctuations de fines échelles (inférieures à 100 km) sont absentes, un peu comme si on limitait le nombre de pixels sur une photo: l’atmosphère est décrite de façon peu détaillée. Le modèle climatique régional utilise cette information pour simuler les phénomènes de petite échelle correspondant à cet état de l’atmosphère, tels que les précipitations, les orages, les vents de montagne…
Désagrégation spatiale
À partir de simulations climatiques de grande échelle (de l’ordre de 300 à 500 km), on descend à des échelles fines de l’ordre de la dizaine de kilomètre. La désagrégation statistique est la recherche d’une relation statistique entre les paramètres atmosphériques de grande échelle (prédicteurs) et les variables locales (prédictants). La désagrégation dynamique consiste à résoudre explicitement la physique et la dynamique du système climatique régional.
Le guidage consiste à contraindre le modèle climatique régional à ne pas s’écarter de la trajectoire imposée par le modèle climatique global. Cette trajectoire est en pratique l’évolution de l’état atmosphérique de grande échelle. Ce guidage se traduit mathématiquement par l’ajout d’un terme dit « de relaxation » dans les équations d’évolution du vent, de la température, de l’humidité… C’est un terme non physique qui nécessite l’ajustement ad-hoc d’un coefficient de guidage2 (homogène à l’inverse d’un temps de guidage). Si ce coefficient de guidage est fort, alors le modèle climatique régional est tellement contraint par le modèle climatique global qu’il ne pourra pas simuler de phénomènes de petite échelle. Si au contraire, le coefficient de guidage est très faible, alors le modèle climatique régional va « faire ce qu’il veut » indépendamment de l’évolution de l’état atmosphérique de grande échelle imposé par le modèle climatique global. Le modèle climatique régional va alors produire des phénomènes de petite échelle mais qui n’auront rien à voir avec l’état atmosphérique de grande échelle. Cet effet est illustré sur la figure 2, qui montre la corrélation entre les précipitations simulées par un modèle climatique régional non guidé et les mesures de ces précipitations aux États-Unis d’Amérique sur une année. Si les précipitations sont parfaitement simulées, le coefficient de corrélation vaut 1 (rouge foncé); si les précipitations n’ont rien à voir avec celles observées, le coefficient vaut 0 (bleu foncé). La résolution horizontale du modèle climatique régional (la taille du pixel) est dans l’exemple égale à 36 km. On constate qu’hormis près des reliefs de l’ouest américain, le coefficient de corrélation est très faible (<0.3) ce qui veut dire que du fait de l’absence de guidage, le modèle climatique régional désobéit au modèle climatique global et ne produit pas de précipitations en lien avec l’évolution de l’état atmosphérique de grande échelle.
Coefficient de guidage
Dans les études, le coefficient de guidage assurant le meilleur compromis (en terme de corrélation et écart quadratique moyen), a été élaboré avec la méthode du « Big Brother Experiment » proposée par l’« École Canadienne » de l’UQAM (René Laprise et collègues). Une simulation produit un jeu de données qualifiées de « réalité » puis on applique la méthodologie telle que dans le cas réel. Cela nous permet d’isoler les processus contrôlant le caractère optimal du coefficient de guidage. Dans nos études, la démarche permet d’établir l’impact du coefficient de guidage sur les processus météorologique et donc de le caler sur la base du comportement attendu du système atmosphérique. La démarche est adaptable au climat futur, mais les études qui ont abordé cette question sous un angle plus empirique l’ont fait en adoptant un coefficient ad-hoc calé sur les observations du passé.
Optimisation du zoom
Dès lors, la question cruciale porte sur l’ajustement du coefficient de guidage permettant au modèle climatique régional de ne pas trop s’écarter de l’état atmosphérique de grande échelle fourni par le modèle climatique global sans pour autant inhiber la simulation des phénomènes de petite échelle (figure 3).
Existe-t-il un compromis permettant au modèle climatique régional de ne pas trop s’écarter de l’état atmosphérique de grande échelle fourni par le modèle climatique global sans pour autant inhiber la simulation des phénomènes de petite échelle? Une autre question fondamentale porte sur le choix des variables de guidage. Est-il nécessaire de relaxer l’ensemble des équations et des variables climatiques (vent, température, humidité, etc.) ou bien existe-t-il un sous-ensemble de variables clés à guider? Ces travaux sont conduits dans l’équipe InTro (Interfaces et Troposphère) du Laboratoire de Météorologie Dynamique de l’Institut Pierre Simon Laplace qui vise à mieux comprendre et à modéliser la dynamique atmosphérique (incluant cycle de l’eau et pollution atmosphérique) et à évaluer l’impact de ces processus sur la santé et les ressources énergétiques dans un contexte de changement climatique. Les résultats ont permis d’une part de montrer l’existence d’un coefficient de guidage optimal3 permettant d’assurer le meilleur compromis entre la trajectoire imposée et la nécessité de produire des phénomènes de petite échelle. Ces études ont également servi à déterminer la valeur de ce coefficient de guidage, qui peut varier entre les modèles mais qui néanmoins est inversement proportionnel à un temps de guidage de quelques heures. Elles ont enfin montré comment choisir les variables clés de l’état atmosphérique de grande échelle qu’il est nécessaire de guider. Ainsi le vent et la température sont des variables essentielles à guider car elles permettent de façon indirecte de connaitre la pression et donc d’avoir une représentation juste de l’état de l’atmosphère. Guider l’humidité s’est avéré avoir des effets positifs sur certaines variables simulées par le modèle climatique régional, comme la précipitation, mais des effets majoritairement négatifs sur d’autres variables telles que le vent et la température. Pour illustrer l’importance du guidage, la figure 4 est similaire à la figure 2 précédente mais les précipitations ont cette fois été simulées avec un modèle climatique régional guidé avec un coefficient de guidage correspondant à un temps de guidage d’une heure. Alors, le coefficient de corrélation est pratiquement partout supérieur à 0,6 ce qui traduit une amélioration très significative de la simulation des précipitations et de leur variabilité temporelle.
Le développement de méthodologies performantes pour élaborer des projections climatiques à une résolution spatiale très fine (inférieure à 10 km) constitue un domaine de recherche à part entière au coeur duquel on trouve les sciences mathématiques et numériques.
Qu’il s’agisse de désagrégation dynamique ou de désagrégation basée sur des approches statistiques ou mixtes, le développement de méthodologies performantes pour élaborer des projections climatiques à une résolution spatiale très fine (inférieure à 10 km) constitue un domaine de recherche à part entière au cœur duquel on trouve les sciences mathématiques et numériques. Ces développements sont essentiels pour produire des informations climatiques de qualité permettant d’élaborer et mettre en œuvre des plans d’action d’adaptation au changement climatique dans les territoires et des stratégies de gestion des risques climatiques (précipitations intenses et crues, sécheresses, canicules) ou de transition énergétique (ressources énergétiques éoliennes, solaire, hydraulique, marines, etc.). Voir les références bibliographiques dans Pour en savoir +.
Pour en s\(\alpha\)voir plus!
- Lo J.C., Yang Z.L., Pielke Sr. R.A., 2008: Assessment of three dynamical climate downscaling methods using the Weather Research and Forecasting (WRF) model. J. Geophys. Res., 113, D09112
- Omrani H., Drobinski P., Dubos T., 2015: Using nudging to improve global-regional dynamic consistency in limited-area climate modeling: What should we nudge? Clim. Dyn., 44, 1627–1644
- Salameh T., Drobinski P., Dubos T., 2010: The effect of indiscriminate nudging time on the large and small scales in regional climate modelling: Application to the Mediterranean basin. Quart. J. Roy. Meteorol. Soc., 136, 170-182
- Voir également « De la météo au climat » de René Laprise, Accromath 6.1 hiver-printemps 2011. ↩
- Ce coefficient de guidage est homogène à l’inverse d’un temps que l’on appelle aussi temps de guidage. Ce temps de guidage correspond au temps caractéristique de relaxation des variables du modèle régional vers celles fournies, à une résolution horizontale « grossière » par le modèle de climat global. ↩
- Maximisation de la corrélation et minimisation de l’erreur quadratique moyenne entre le champ simulé et l’observation. ↩