Quelle est la relation quantitative entre la température moyenne de la
Terre et la concentration de GES dans notre atmosphère?
Le phénomène des gaz à effet de serre est si complexe qu’on ne peut en proposer un modèle parfait. Toute prédiction quantitative sur l’effet des gaz à effet de serre (GES) est donc d’une qualité discutable. Par contre, nous tenterons tout de même de construire une série de modèles qui décrivent l’impact quantitatif d’une augmentation des (GES) sur la température moyenne de la Terre. L’exercice en soi permettra de mieux comprendre les enjeux environnementaux et de se familiariser avec l’activité scientifique de modélisation.1
La loi de Stefan-Boltzmann
Selon la loi de Stefan-Boltzmann, un objet dans le vide chauffé à une température \(T\) degrés kelvins (K) émet, par unité de surface et par unité de temps, un flux de chaleur
\[F =\sigma T^4;\]
où \(\sigma\) est la constante de Stephan-Boltzmann, \(\sigma = 5,67 \times 10^{–14} W/(\text{km}^2\text{K}^4)\) et \(F\) est donnée en watt (W) et \(T\) en degrés kelvin (K). Le flux est la quantité d’énergie libérée par unité de surface. Ainsi, si l’objet est une sphère de rayon \(R\) (de surface \(A = 4\pi R^2),\) alors l’énergie totale libérée à la surface est égale au flux multiplié par l’aire de sa surface, soit
\[E = FA = 4 \pi R^2 \sigma T^4.\: \: \: (1)\]
Une planète sans atmosphère
Le premier modèle décrit une planète sans atmosphère réchauffée par une étoile, comme le Soleil. On doit mesurer préalablement le rayon \(R_p\) de la planète, le rayon \(R_s\) du Soleil, la distance \(D\) de la planète au Soleil, ainsi que la température \(T_s\) du Soleil. On peut obtenir avec un télescope ces informations au sujet de notre Soleil et de planètes rocheuses telles que Mercure et la Lune.
La température \(T_p\) de la planète est déterminée par la loi de Stefan-Boltzmann et un principe d’équilibre énergétique. Tout d’abord, la loi de Stefan-Boltzmann nous prédit la quantité totale d’énergie (en watts) dégagée par le Soleil
\[E = 4 \pi R_{s}^{2} \sigma T_{s}^{4}.\: \: \: (2)\]
À une distance \(D\) du Soleil, cette énergie est uniformément répartie sur une sphère de rayon \(D\) et donc, la fraction de cette énergie qui atteint la surface visible de la planète est proportionnelle à la fraction de l’aire de la sphère de rayon \(D\) occupée par l’ombre de la planète, comme illustré à la figure dans le coin supérieur droit de la page suivante. On calcule donc que l’énergie qui atteint la planète est
\[\begin{array} {r c l}E_s &= &\text{Énergie totale émise} \times \displaystyle \frac{\text{Surface visible de la planète}}{\text{Surface de la sphère de rayon} \; D} \\ &=& 4 \pi R_{s}^{2} \sigma T_{s}^{4} \displaystyle \frac {\pi R_{p}^{2}}{4 \pi D^2} = \sigma \pi T_{s}^{4} \frac{R_{s}^{2}R_{p}^{2}}{D^2}. \: \: \: (3)\end{array}\]
Selon le principe d’équilibre énergétique, si la température (moyenne) de la Terre est constante, alors il existe un équilibre entre la chaleur Es qu’elle reçoit et la chaleur Ep qu’elle dégage en tant que corps chaud dans l’espace. Mathématiquement, ceci s’écrit
\[E_s = E_p. \: \: \:(4)\]
Étant donné que la chaleur \(E_p\) émise par la Terre satisfait aussi la loi de Stefan-Boltzmann, on peut substituer (1) et (3) dans (4) et isoler \(T_p\) afin d’obtenir
\[T_p = \displaystyle \frac{T_s}{\sqrt{2}} \sqrt{\frac{R_s}{D}}.\: \: \:(5)\]
Une planète avec des GES
Améliorons le modèle en ajoutant une couche de GES qui, comme la surface de la planète elle-même, est réchauffée et doit satisfaire un principe d’équilibre énergétique (voir encadré Les GES sur la Terre).
Pour modéliser l’échange d’énergie d’une planète avec des GES, on pose l’hypothèse suivante.
Hypothèse
Les GES forment une couche uniforme et distincte séparant la surface de la planète de l’espace interstellaire. De plus, on suppose que cette couche de GES n’absorbe pas le rayonnement solaire \(E_s\) mais qu’elle absorbe entièrement le rayonnement terrestre \(E_p\).
Voyons quel impact a l’adoption de cette hypothèse sur le modèle mathématique obtenu en (5).
De cette hypothèse, il découle que la couche de GES est chauffée uniquement par le rayonnement terrestre \(E_p\) et qu’en conséquence, cette couche rayonne une quantité totale d’énergie 2H, dont la moitié, H, est dirigée vers l’espace et l’autre moitié vers la Terre. Tout ceci est illustré dans la figure suivante.
À l’interface entre l’espace et la couche de GES, l’équilibre énergétique s’écrit
\[E_s = H. \: \: \:(6)\]
À l’interface entre la couche de GES et la Terre, l’équilibre énergétique s’écrit
\[E_s + H = E_p. \: \: \:(7)\]
Si l’on substitue (6) dans (7), on obtient \(2E_s = E_p\) ce qui nous permet de déduire comme auparavant que
\[T_p=\sqrt[4]{2} \displaystyle \frac{T_s}{\sqrt{2}} \sqrt{\frac{R_s}{D}}. \: \: \:(8)\]
En acceptant les hypothèses, on obtient que la température est d’environ \(\sqrt[4]{2}\approx 1,2\) fois plus élevée que sans la couche de GES. Il est à noter que cette relation n’est valide que si la température est en degrés kelvin.
Une planète avec N couches de GES
Essayons maintenant de modéliser l’impact sur la température de N fois plus de GES dans l’atmosphère. Afin d’obtenir un modèle simple et calculable, on suppose que les GES se séparent en N couches distinctes et uniformes réparties entre la surface de la planète et l’espace, comme dans la figure ci-dessous.
Chaque couche permet à la chaleur \(E_s\) du Soleil de traverser mais absorbe entièrement la chaleur \(E_p\) de la planète ou celle des couches avoisinantes.
L’équilibre énergétique à l’interface entre l’espace et la première couche s’écrit
\[E_s = H_1.\]
À l’interface entre la première et la deuxième couche de GES, l’équilibre énergétique nécessite que l’énergie qui traverse cette interface soit égale à l’énergie qui s’en dégage, donc
\[E_s + H_1 = H_2.\]
À l’aide des deux formules précédentes, on voit immédiatement que \(2E_s = H_2.\) En continuant de la même manière, on obtient qu’à l’interface entre la \((k – 1)^e\) couche et la ke couche on a
\[E_s +H_{k–1}=H_k\: \text{et}\: kE_s =H_k.\]
À la surface de la planète, l’équilibre énergétique est
\[E_s +H_N =E_p\]
ou bien, à l’aide des relations précédentes, tout simplement,
\[(1 + N)E_s = E_p.\]
En appliquant ensuite la loi de Stefan-Boltzmann aux deux membres de cette équation et en isolant la température \(T_p,\) on obtient
\[T_p=\sqrt[4]{1+N} \displaystyle \frac{T_s}{\sqrt{2}} \sqrt{\frac{R_s}{D}}. \: \: \:(9)\]
qui généralise à la fois (5) où \(N=0\) et (8) où \(N = 1.\)
Conclusions
Avant de substituer les valeurs de \(T_s\), \(R_s\), \(D\) et \(N\) dans nos formules, il serait préférable de prendre un peu de recul et d’examiner la validité de nos modèles.
Notre premier modèle, pour une planète sans atmosphère, ne dépend que de deux principes physiques bien établis: la conservation de l’énergie et la loi de Stefan-Boltzmann. On s’attendrait donc à ce que la formule (5) soit relativement précise.
Dans le cas de la Lune et de notre Soleil, on a \(T_s=5780K,R_s=6,7 \times 10^5\, \text{km},D=1,5 \times 108\, \text{km}\) et le modèle prédit \(T_p = 278\) K ou 5°C. En réalité, la surface de la Lune est grise et environ 14% de la lumière du Soleil est réfléchie2.
Un meilleur modèle serait de remplacer l’équation (4) par \(0,86E_s = E_p\) ce qui donne une prédiction de 239 K, beaucoup plus proche de la vraie valeur de 220 K.
Dans le cas des deux autres modèles, on a supposé que la quantité de GES est telle qu’elle forme un nombre entier de couches uniformes, distinctes, et opaques au rayonnement de la chaleur terrestre. Bien sûr, ceci est une simplification de la réalité car les GES ne forment pas des couches opaques. En effet, les GES dans l’atmosphère terrestre ne bloquent que 78% du rayonnement terrestre \(E_p\). C’est-à-dire que nous n’avons pas une couche complète de GES. De plus, environ 30% de la lumière du Soleil est réfléchie, principalement par les nuages et la neige au sol. Il est donc apparent que même avec les vraies valeurs de \(R_p = 6\, 370\) km et \(D = 150 \times 10^8\) km pour la Terre, les prédictions de (8) et (9) ne peuvent être représentatives pour celles-ci.
Nous reconnaissons donc que le modèle ne tient compte, ni de l’effet de l’albédo, ni de l’opacité des couches. L’albédo est le rapport de l’énergie réfléchie sur l’énergie solaire incidente: il dépend de la couleur de la planète (par exemple, la glace réfléchit plus que l’océan). Toutefois, il est facile de se convaincre que le taux de rayonnement réfléchi par la planète, disons a, a pour effet de modifier les formules (8) et (9) par un facteur \(\sqrt[4]{1-a}\). Ceci ne change en rien la dépendance de \(T_p\) sur \(\sqrt[4]{1+N}\). Quant à l’opacité des couches, c’est-à-dire l’absorption, pour en tenir compte, on doit modifier le facteur \(\sqrt[4]{1+N}\) et le remplacer par une quantité qui ne dépend pas de N, le nombre de couches de GES, mais directement de \(\lambda\), la quantité de GES dans l’atmosphère. Malheureusement, un autre modèle serait nécessaire pour établir la relation entre N, qui n’est qu’une notion abstraite, et \(\lambda\) la quantité réelle de GES dans l’atmosphère.
Ce que représente cette augmentation des GES, en termes économiques, et l’augmentation de la température, en termes météorologiques — voilà de quoi nourrir les recherches multidisciplinaires de météorologues, biologistes et économistes.
Pour le lecteur, apprivoiser des modèles simples de ces phénomènes permet de mieux comprendre les relations non linéaires qu’on y rencontre, comme l’équation (14). Cela permet aussi de voir la limite des hypothèses choisies et de participer de manière plus éclairée aux décisions sur les enjeux planétaires.
Les GES sur la Terre
Les GES sont les gaz qui permettent à la chaleur du Soleil (sous la forme de lumière visible) d’atteindre le sol tout en empêchant une fraction de la chaleur émise par la Terre (sous la forme d’ondes infrarouges) de se rendre dans l’espace. Les GES ont pour effet qu’une partie de la chaleur émise par la Terre doit chauffer l’atmosphère qui, par la suite, doit dégager sa chaleur en partie dans l’espace. La vie est possible grâce à l’effet de serre qui maintient une température propice à la vie.