Les âges des cinq habitants de la rue Kurt Gödel sont 8, 14, 20, 23 et 35 ans ; leur âge moyen est donc :
(8 + 14 + 20 + 23 + 35)/5 = 20 ans.
Les 6 habitants de la rue Alan Turing ont respectivement 25, 30, 35, 40, 45 et 59 ans. Leur âge moyen est donc
(25 + 30 + 35 + 40 + 45 + 59)/6 = 39 ans.
Jacques habite la rue Gödel. Il a 35 ans. Il déménage et va habiter dans la rue Turing. Maintenant, l’âge moyen dans la rue Gödel est devenu :
(8 + 14 + 20 + 23)/4 = 16,25 ans,
et l’âge moyen dans la rue Turing s’établit à :
(25 + 30 + 35 + 35 + 40 + 45 + 59)/7 = 38,42 ans
Les moyennes des âges dans les deux rues ont toutes les deux diminué ! En organisant des déménagements de ce type, ne pourrait-on pas alors faire baisser les âges moyens de toutes les rues dans toutes les villes, et donc tous rajeunir ? Une telle baisse simultanée par déplacement d’un élément d’un ensemble A vers un ensemble B peut-elle se produire tout le temps ? Caractériser les situations où le « paradoxe » survient.
Solution
Il est contraire à l’intuition que le déplacement d’un élément d’un ensemble A vers un ensemble B fasse baisser la moyenne à la fois de A et de B. C’est pourtant tout à fait possible et il n’y a aucune erreur de calcul. La moyenne générale des 11 habitants des deux rues est bien sûr restée identique. Elle vaut :
(8 + 14 + 20 + 23 + 25 + 30 + 35 + 35 + 40 + 45 + 59)/11 = 30,36
Cette moyenne peut s’obtenir en faisant une moyenne pondérée des deux premières moyennes :
(5/11) x 20 + (6/11) x 39 = 30,36
De même, on l’obtient à partir des deux moyennes après déménagement :
(4/11) x 16.25 + (7/11) x 38.42 = 30,36
Ceci qui conduit à la remarque – elle aussi choquante pour l’intuition – que lorsque l’on fait la moyenne pondérée de deux nombres, celle-ci peut rester stable même si chacun des deux nombres dont on fait la moyenne diminue.
En réfléchissant quelques minutes, on peut préciser quand et pourquoi ces troublants phénomènes numériques des rues Gödel et Turing se produisent. La règle est la suivante :
- Si on fait passer de A à B un élément dont l’âge x est supérieur à la moyenne de A, et inférieur à la moyenne de B, autrement dit moyenne(A) < x < moyenne(B), alors, les nouvelles moyennes de A et de B baisseront toutes les deux – ce qui n’empêchera pas les moyennes convenablement pondérées de ces moyennes de rester constantes.
La moyenne des éléments de A baissera car on aura enlevé à A un élément dont l’âge est plus grand que la moyenne de A, ce qui fait baisser la moyenne de A, c’est évident. Par ailleurs, on aura ajouté à B un élément dont l’âge est inférieur à la moyenne des âges des éléments de B, ce qui fait baisser la moyenne de B, c’est là encore une évidence.
Ce phénomène un peu mystérieux n’est pas rare, la baisse simultanée de deux moyennes dans le même sens à la suite du déplacement d’un élément se produit à chaque fois qu’on déplace un élément dont l’âge est situé entre les deux moyennes. Si on le déplace vers le groupe qui à la plus forte moyenne, cela fait baisser les deux moyennes et si on le déplace vers le groupe qui a la plus petite moyenne, cela augmente les deux moyennes. Bien sûr, dans ces changements, la moyenne générale des deux groupes ne change pas et personne ne rajeunit !
Formulons encore deux remarques.
- Pour qu’un tel déplacement simultané des moyennes soit possible, il faut trouver quelqu’un dont l’âge soit situé entre les deux moyennes, ce qui est d’autant plus difficile que les deux moyennes sont proches. Dans certains cas, c’est impossible, et en particulier : si A et B ont les mêmes moyennes au départ, tout déplacement d’un élément ayant une valeur différente de cette moyenne fera évoluer les moyennes dans deux directions opposées.
- Un déplacement doublement rajeunissant peut être réalisé plusieurs fois de suite. Dans notre exemple, si, après le premier déménagement, la personne de 23 ans déménage de la rue Gödel à la rue Turing, cela fera encore baisser la moyenne d’âge dans les deux rues. Un cas extrême de ces rajeunissements répétés serait constaté si le plus âgé des habitants de la rue Gödel était moins âgé que le plus jeune des habitants de la rue Turing. En effet, dans une telle situation, en faisant déménager du plus âgé au plus jeune les habitants de la rue Gödel vers la rue Turing, les uns après les autres, on constaterait une baisse successive des moyennes des âges des deux rues à chaque nouveau déménagement, jusqu’à ce qu’il ne reste plus qu’un habitant – le plus jeune – dans la rue Gödel.