Le nom de Bonaventura Cavalieri (1598-1647) est resté associé aux indivisibles1, mais il n’est pas le seul mathématicien à avoir utilisé cette approche pour calculer des aires et des volumes. Gilles Personne de Roberval (1602-1675) a utilisé la méthode pour calculer l’aire sous une cycloïde et Evangelista Torricelli (1608- 1647), pour calculer le volume du solide engendré par la rotation d’une branche d’hyperbole autour de son asymptote.
La cycloïde
La cycloïde est la courbe décrite par un point sur la circonférence d’un cercle qui roule en ligne droite sans glisser. C’est Galilée (1564-1642) qui a donné ce nom à la courbe en 1599. Marin Mersenne (1588-1648) en a énoncé les propriétés évidentes comme le fait que la longueur de sa base est égale à la circonférence du cercle générateur. Il a tenté de trouver l’aire sous la courbe, mais n’y parvenant pas il a posé le problème aux mathématiciens de son époque.
Gilles Personne de Roberval (1602-1675)
Roberval est né à Noël-Saint-Martin, désormais commune de Villeneuve-sur-Verberie (Oise), près de Senlis en France et il est mort à Paris.
C’est en 1628 qu’il se rend à Paris, où il entre en contact avec les savants Mersenne et Pascal, puis Descartes, Torricelli, Huygens, Gassendi et Hobbes, qui correspondaient et échangeaient avec le père Marin Mersenne. Roberval était en fait le seul mathématicien professionnel du groupe.
En cherchant à relever le défi, Roberval a d’abord déterminé, comme l’avait fait Marin Mersenne, l’aire du rectangle dans lequel est inscrite la demi-cycloïde. Cette aire est \(2\pi r^2\) puisque la hauteur du rectangle est 2r et sa longueur est la demi-circonférence \(\pi r\).
C’est en ayant recours à la méthode des indivisibles que Roberval a déterminé l’aire sous la cycloïde. Voici de façon succincte comment il a procédé. Il a d’abord considéré que la surface du cercle générateur était constituée d’indivisibles, c’est-à–dire des segments de droite qui recouvrent la surface.
On glisse horizontalement les indivisibles du demi-cercle pour les aligner sur la cycloïde. L’autre extrémité de ces indivisibles donne une nouvelle courbe que Roberval appelle la compagne de la cycloïde.
Il déplace les indivisibles du demi-cercle de telle sorte que les extrémités de gauche soient sur la cycloïde. En reportant ainsi les longueurs des segments, il construit une courbe qu’il appelle la compagne de la cycloïde.
La méthode des indivisibles permet alors de conclure que l’aire entre la cycloïde et la compagne est égale à l’aire du demi-cercle, soit \(\pi r^2/2\).
L’aire entre la demi-cycloïde et sa compagne est égale à l’aire du demi-cercle.
La figure suivante permet de constater la symétrie de la construction de la compagne. Si deux cercles roulent en sens inverse l’un de l’autre, le premier sur la partie inférieure du rectangle et l’autre sur sa partie supérieure, on obtient deux demi-cycloïdes dont l’une est inversée. La symétrie de la construction permet de conclure que ces deux demi- cycloïdes ont la même compagne, ce qui signifie que la compagne bisecte l’aire du rectangle. L’aire sous la compagne est donc la moitié de l’aire du rectangle, soit \(\pi r^2\).
Les cycloïdes engendrées par des roues tournant en sens contraire, l’une sur AB et l’autre sur CD, ont la même compagne et celle-ci divise l’aire du rectangle en deux parties égales.
L’aire sous la demi-cycloïde est donc égale à l’aire sous la compagne, \(\pi r^2\), plus l’aire entre la demi-cycloïde et la compagne, \(\pi r^2/2\), ce qui donne \(3\pi r^2/2\). L’aire sous la cycloïde complète est donc \(3\pi r^2.\)
L’aire sous la demi-cycloïde est \(3\pi r^2/2\). L’aire sous la cycloïde est donc \(3\pi r^2.\)
Il est intéressant de noter que la courbe que Roberval appelle la compagne de la cycloïde est en fait une courbe sinusoïdale. C’est la première fois dans l’histoire qu’une sinusoïdale était tracée.
La trompette de Gabriel
Ce nom associe l’infini au divin car, selon la tradition chrétienne, l’archange Gabriel doit annoncer le jour du jugement dernier en soufflant dans une trompette. Toujours selon la tradition, les qualités de Dieu étaient considérées comme infinies.
La Trompette de Gabriel
En 1641, Evangelista Torricelli s’intéresse au solide engendré par la rotation d’un segment d’une branche d’hyperbole autour de son asymptote. Pour faciliter la compréhension de sa démarche, utilisons la géométrie analytique moderne pour illustrer son raisonnement. Représentons dans un système d’axes l’hyperbole d’équation \(xy=1\) dans l’intervalle de 1 à l’infini.
La révolution de cette courbe autour de l’axe des x donne la figure suivante, appelée Trompette de Gabriel.
Pour calculer le volume de la Trompette, Torricelli pose un bouchon à la trompette, soit un cylindre de rayon 1 et de hauteur 1.
Les indivisibles utilisés par Torricelli sont des tubes concentriques de hauteur \(x\), où \(x ≥ 1\), et de rayon \(y\), avec \(xy = 1\).
En déroulant ces tubes par la pensée, il obtient des parallélépipèdes rectangles dont chacun a pour dimension \(x \times 2\pi y\) et, puisque \(xy = 1,\) tous ces parallélépipèdes ont une aire de \(2\pi\).
Le volume occupé par l’empilement de ces indivisibles rectangulaires est donc le même qu’un parallélépipède rectangle de largeur 1, de hauteur 1 et de longueur \(2\pi\).
Chacun des indivisibles de ce parallépipède est un rectangle d’aire \(2\pi\), c’est-à-dire que chaque rectangle a la même aire qu’un disque de rayon unitaire.
Par conséquent, le volume de la trompette avec bouchon est égal au volume du cylindre dont l’aire de la base est \(2\pi\) et la hauteur est 1, soit \(2\pi\).
Le bouchon posé par Torricelli étant un cylindre de rayon 1 et de hauteur 1, son volume est donc égal à \(\pi\). En soustrayant ce volume de celui du solide avec bouchon, il obtient que le volume de la trompette seule est égal à \(\pi\). Après avoir établi cette conjecture, Torricelli en fait une démonstration par un double raisonnement par l’absurde.
Qu’un solide de longueur infinie puisse posséder un volume fini semble contre-intuitif aux mathématiciens de l’époque et suscite alors de nombreuses discussions sur le sujet du fini et de l’infini2.
Calcul moderne
Par la méthode moderne des disques, le volume d’un disque est \(\Delta V = \pi \Delta x/x^2\).
Le volume de la trompette est alors :
\[V= \int_1^{\infty} \frac{\pi}{x^2} dx = \pi \lim_{c \to \infty} \int_1^c \frac{1}{x^2} dx \\ = \pi \lim_{c \to \infty} \int_1^c x^{-2} dx = \pi \lim_{c \to \infty} \left ( \frac{x^{-1}}{-1} \right ) \bigg]_1^c = \pi\]
Pour en calculer la surface, l’intégrale à effectuer est :
\[A = 2 \pi \int_1^{\infty} \frac{\sqrt{x^4+1}}{x^3}dx\]
Pour effectuer cette intégrale impropre, il faut procéder à un changement de variable trigonométrique et on obtient que l’aire de la surface est infinie. (La solution est donnée en détail à l’adresse indiquée dans la page Pour en savoir plus!).
Conclusion
Roberval et Torricelli font preuve d’ingéniosité dans le calcul de l’aire sous la cycloïde et du volume de la Trompette de Gabriel. Leur démarche est cependant géométrique, même si nous avons illustré celle de Torricelli3 en utilisant une représentation moderne.
Les démarches de Cavalieri, de Roberval et de Torricelli ne sont pas généralisables pour résoudre des classes entières de calcul d’aires ou de volumes parce que leurs raisonnements sont essentiellement géométriques. La définition des courbes étudiées étant elle-même strictement géométrique.
Le recours aux indivisibles a été un passage obligé pour les mathématiciens du 17e siècle dans la recherche de méthodes générales, utilisables pour résoudre des classes entières de problèmes, qui est une composante importante du développement des mathématiques.
C’est grâce à l’introduction de la géométrie analytique par René Descartes (1596-1650) et Pierre de Fermat (1601-1665) et aux travaux des mathématiciens qui ont développé cette branche des mathématiques, qu’il a été possible de définir algébriquement les courbes par des équations cartésiennes ou par des équations paramétriques.
L’utilisation de l’algèbre pour définir les courbes et les surfaces, comme la cycloïde ou la Trompette de Gabriel et bien d’autres encore, a facilité le développement d’une méthode générale pour déterminer l’aire sous une courbe ou le volume d’un solide, le calcul intégral.
Les résultats obtenus par Cavalieri, Roberval, Torricelli et bien d’autres encore, ont été redémontrés à l’aide du calcul intégral4. En redémontrant les résultats, on teste la solidité du développement théorique et on évite que les résultats soient le fruit d’une multitude de méthodes diverses. Cela assure une grande cohésion à l’ensemble des connaissances mathématiques.
Evangelista Torricelli (1608-1647)
Le physicien et mathématicien Evangelista Torricelli est né à Faenza en Romagne. Il étudie au collège des Jésuites de sa ville natale avant d’aller poursuivre ses études à Rome, ses talents ayant été remarqués par son professeur de mathématiques.
À Rome, Torricelli apprend à monter des expériences et à mettre au point des instruments. Il étudie les mathématiques avec l’abbé Benedetto Castelli (1571-1643), mathématicien, ingénieur, disciple et ami de Galilée. Inspiré par les ouvrages de Galilée, Torricelli rédige un traité de mécanique intitulé De motu gravium naturaliter descendentium et projectorum dans lequel il démontre que le centre de gravité d’un solide tend à être le plus bas possible pour que le solide soit à l’équilibre.
Evangelista Torricelli est surtout connu pour son expérience du tube de mercure qui fut reprise par Blaise Pascal (1623-1662). Cependant Torricelli a aussi apporté plusieurs contributions aux mathématiques.
Pour en s\(\alpha\)voir plus!
https://www.lozedion.com/calcul-differentiel-applications-sciences-humaines/notes-historiques/?
Les textes « Cycloïde » et « Trompette de Gabriel » présentent les solutions, à l’aide du calcul intégral, aux problèmes étudiés par Roberval et Torricelli. Elles sont tirées des solutions aux exercices de l’ouvrage :
Ross, A. (2016). Calcul intégral, applications en sciences de la nature. Longueuil : Loze-Dion éditeur.
- Voir André Ross, « Les indivisibles de Cavalieri. » Accromath, vol. 12, hiver-printemps 2017, pp. 20-25. ↩
- À l’aide du calcul intégral, on obtient un autre paradoxe apparent : l’aire de la surface de la trompette est infinie alors que son volume est fini. On pourrait donc remplir la trompette avec une quantité finie de peinture, mais pour en peindre la surface, il en faudrait une quantité infinie. En fait, si on considère que la couche de peinture est constante, il en faut une quantité infinie. Cependant, le rayon de la trompette tend vers 0 lorsque x tend vers l’infini et rapidement, l’épaisseur de la couche de peinture sera plus grande que le rayon de la trompette. Si on considère plutôt que l’épaisseur de la couche de peinture tend vers 0, la quantité de peinture est finie. ↩
- Notons que Torricelli connaissait les travaux d’Archimède, de Galilée et de Cavalieri. Il semblait insatisfait des preuves obtenues par la méthode de Cavalieri, qui se préoccupait peu de la rigueur mathématique et des difficultés logiques soulevées par les indivisibles. Il a donc développé des preuves par double contradiction comme le faisait Archimède, en complément aux conjectures obtenues par les indivisibles de Cavalieri. ↩
- Voir la page Pour en savoir plus! pour la démonstration de ces résultats à l’aide du calcul intégral. ↩