Pas facile d’explorer l’intérieur de la Terre! Le rayon de la Terre est d’environ 6 360 km et les forages les plus profonds atteignent 12 km. On sait que sous la croûte terrestre se trouve du magma liquide: c’est la lave qui sort des volcans lorsqu’ils sont en éruption. Mais que trouve-t-on plus profondément? Il faut utiliser des moyens indirects pour le découvrir. Nous allons voir comment Inge Lehmann a utilisé des observations sur les ondes sismiques pour découvrir le noyau interne de la Terre.
Notre connaissance de la structure interne de notre planète est venue par étapes. Le grec Ératosthène a calculé approximativement la circonférence terrestre en comparant l’angle du Soleil avec la verticale en différentes villes. Puis, grâce à Newton et sa loi de la gravitation universelle, on peut estimer la masse de la Terre à partir de la force gravitationnelle que la Terre exerce sur les corps à sa surface. Ceci nous renseigne sur le fait que la densité de la partie interne de la Terre est beaucoup plus élevée que la densité que nous observons à la surface.
Que peuvent nous apprendre les séismes?
Les séismes génèrent plusieurs types d’ondes, dont des ondes de pression, ou ondes P, et des ondes de cisaillement, ou ondes S. Les ondes de pression se propagent aussi bien dans les milieux solides que dans les milieux liquides, alors que les ondes de cisaillement sont arrêtées par les milieux liquides.
Au tout début du 20e siècle, Richard Dison Oldham en a déduit que la Terre avait un intérieur liquide sous la croûte terrestre. L’intérieur de la Terre est formé du manteau jusqu’à une profondeur d’environ 2 890 km et du noyau.
Puis, le sismologue Beno Gutenberg a découvert en 1912 la frontière entre les deux par observation d’une discontinuité dans la vitesse de propagation des ondes sismiques.
C’est en 1936 qu’Inge Lehmann a découvert le noyau interne. Près de 30 ans plus tard, Freeman Gilbert and Adam M. Dziewonski ont établi que ce noyau interne était solide ! Et ce, encore une fois, par des arguments indirects.
Lorsqu’un tremblement de terre se produit, on commence par localiser son épicentre par des méthodes de triangulation, à partir de la connaissance des instants où différents sismographes ont enregistré la secousse.
Le modèle d’une Terre uniforme
Si les ondes sismiques ont une vitesse constante, alors elles se propagent en ligne droite comme sur la figure ci-contre.
Le temps de parcours des ondes sismiques est alors proportionnel à la distance parcourue, ce qui nous donne la fonction de la seconde figure de la page suivante, selon l’angle au centre entre le point de départ et le point d’arrivée de l’onde sismique.
Au moment où Inge Lehmann a commencé ses travaux, il était connu que le manteau terrestre, d’une épaisseur d’environ 2 890 km entourait un noyau. Pour expliquer la découverte d’Inge Lehmann, nous allons utiliser le modèle simple qu’elle-même a présenté dans un de ses articles. Nous allons donc négliger la mince croûte terrestre et supposer que les ondes sismiques se propagent à la vitesse de 10 km/s dans le manteau terrestre et à la vitesse de 8 km/s dans le noyau. Que se passe-t-il alors quand les ondes pénètrent dans le noyau ? Elles sont réfractées (voir loi de la réfraction de la lumière dans l’encadré). On ne donne le temps de parcours que pour les rayons de la moitié supérieure de la Terre.
Les ondes sont réfractées dans un milieu non uniforme.
Voici donc la trajectoire des rayons. Que remarque-t-on? Qu’il y a deux arcs bruns dans lesquels on ne détecte aucune onde sismique! Les extrémités de ces arcs correspondent à des angles au centre de 112°et 154°. Sur la sphère, ces arcs engendrent une bande annulaire. La figure suivante représente le temps de parcours des ondes sismiques en fonction de l’angle au centre de sortie de l’onde: on remarque que, pour 3 certains angles, deux ondes peuvent ressortir au même point, mais leur temps de parcours permet de les distinguer.
La découverte du noyau interne de la Terre
C’était le modèle connu de la Terre, et pourtant Inge Lehmann remarqua qu’on avait détecté des ondes sismiques dans la bande annulaire… Le modèle n’était donc pas bon. Nous allons étudier le modèle proposé par Inge Lehmann pour expliquer les observations.
Dans ce modèle, elle a divisé le noyau en deux parties : un noyau externe comme ci-dessus, et un noyau interne dans lequel les ondes se propagent plus rapidement à la vitesse de 8,8 km/s, et dont le rayon est environ 2/9 de celui de la Terre. Pour connaître la trajectoire des ondes, il faut donc utiliser l’équation (*) de l’encadré de la loi de réfraction de la lumière, avec \(v_1 = 8 et v_2 = 8,8.\)
Mais que se passe-t-il si \(\sin \theta_1\) est assez proche de 1, c’est-à-dire si l’onde arrive presque tangentiellement sur le noyau interne? Le côté droit de l’équation (*) peut dépasser 1 ! Il ne peut donc être égal à sin \(\theta_2!\) Cela signifie que l’onde ne peut pénétrer dans le noyau interne… Que se passe- t-il alors? L’onde est réfléchie sur le noyau interne en suivant la loi de la réflexion, c’est- à-dire avec l’angle d’incidence égal à l’angle de réflexion, comme sur la figure à gauche.
Cela peut sembler surprenant mais, en fait, cela ne l’est pas tellement. Le principe de Fermat (voir encadré) unifie les lois de la ré- flexion et de la réfraction de la lumière en une seule loi.
Voici donc comment se propagent les ondes sismiques dans le modèle d’Inge Lehmann. Les rayons noirs sont réfractés dans le noyau extérieur et réfléchis sur le noyau intérieur et les rayons bruns sont simplement réfractés dans les noyaux extérieur et intérieur. On peut aussi calculer le temps de parcours des différentes ondes en fonction de leur angle de sortie. Le voici pour la moitié supérieure de la sphère:
On remarque des sauts dans les temps de parcours. Aussi, on ne peut distinguer les ondes réfléchies des ondes réfractées sur la seule base de leur temps de parcours. Il faut des outils plus fins pour les distinguer.
Résoudre un problème inverse
L’étude du modèle de Lehmann nous a fait comprendre le type de problèmes que doivent résoudre les géologues et géophysiciens: reconstruire l’intérieur en fonction de données observées à la surface. C’est le contraire de ce que nous avons fait lorsque nous avons utilisé un modèle de l’intérieur pour calculer ce que nous devrions enregistrer en surface. On dit que l’on doit résoudre un problème inverse.
Il est très courant que l’on soit appelé à résoudre un problème inverse: c’est le cas par exemple pour la construction d’images par un scanner à résonance magnétique. Un tel instrument construit des images dans un plan correspondant à une coupe du corps humain. Le scanner envoie des rayons au travers du corps le long des différents diamètres. Ce que le scanner mesure, c’est la quantité d’énergie absorbée le long de chacun de ces diamètres. Il utilise cette information pour construire une image en solutionnant un problème inverse.
Sans cette reconstruction mathématique, le scanner ne serait d’aucune utilité. On voit donc l’importance de mettre des lunettes mathématiques pour aller explorer ce qui est hors de notre portée visuelle ou expérimentale.
Faire les calculs pour vérifier l’exactitude du modèle de Lehmann
La figure de la structure interne a été tracée avec Mathematica. Chaque étape est simple et ne requiert que des outils de géométrie euclidienne ou de géométrie analytique, mais mettre le tout ensemble et calculer les fonctions temps de parcours demande un peu de programmation que nous vous encourageons à faire comme exercice personnel.