La parabole, l’ellipse et l’hyperbole sont des coniques. Elles tiennent leur nom du fait qu’elles peuvent être obtenues comme sections d’un cône par un plan. Ce nom date d’Apollonius au troisième siècle avant Jésus-Christ. Le mathématicien belge Germinal Pierre Dandelin donna en 1822 une très jolie preuve reliant cette définition des coniques aux autres que l’on enseigne habituellement aujourd’hui.
Les premiers personnages entrent en scène
L’ellipse, la parabole et l’hyperbole seront les personnages principaux de ce texte. Puisqu’on les étudie depuis plus de deux millénaires, il n’est guère surprenant qu’il y ait plusieurs façons de les présenter. Probablement la plus simple est celle à l’aide de liquides dans des verres. Si un verre, reposant sur son pied (et parfaitement cylindrique!), contient un liquide, alors la face du liquide que nous voyons est circulaire. Si le verre est maintenant incliné, cette figure s’allonge. La courbe le long de laquelle se rencontrent le liquide et la paroi du verre est appelée une ellipse. Pour être plus festifs, étudions maintenant une coupe à champagne (parfaitement conique!). À nouveau, si la coupe repose sur son pied, le liquide décrit un cercle. Et si on l’incline, la face du liquide s’allonge encore. Est-ce que la courbe où se rencontrent le liquide et la paroi de la coupe est encore une ellipse. Il est certainement possible de répondre à cette question en précisant la définition imagée de l’ellipse que nous venons de donner. Une telle définition est le sujet du premier encadré. Mais une autre définition sera utile dans l’article. La voici.
Deux clous plantés sur une surface plane et un bout de corde seront nécessaires. Une seule contrainte : le bout de corde doit être plus long que la distance entre les clous. Une fois les extrémités de la corde attachées aux clous, on tend la corde à l’aide d’une mine de crayon que l’on fait ensuite glisser sur la feuille en maintenant la tension dans la corde. La courbe oblongue ainsi tracée est une ellipse. Le second encadré propose la définition formelle des coniques à l’aide de deux foyers. Exercice mental : il existe une distance entre les clous qui permet, de cette façon, de tracer un cercle. Quelle est cette distance? Holà! direz-vous peut-être. Comment le liquide dans la coupe à champagne peut-il décrire une ellipse selon cette nouvelle définition? Y a-t-il des clous et un bout de corde imaginaires qui le forcent à épouser la paroi du verre selon la même courbe qu’aurait tracée la mine du crayon? La question est sérieuse, mais elle devra attendre.
Les définitions des coniques comme sections d’un cône
Un cône de révolution est construit comme suit. Donnés un cercle C dans un plan et un point S sur la perpendiculaire au plan passant par le centre O du cercle, l’union des droites passant par S et un point P du cercle est un cône de sommet S. Chacune des droites SP, appelée DP, est une génératrice du cône. La droite OS est appelée l’axe du cône.
Dans le texte, nous avons utilisé la surface visible d’un liquide dans une coupe à champagne pour définir l’ellipse. Cette surface fait partie d’un plan et c’est celui-ci que nous utiliserons pour définir les coniques de façon générale. Nous nous limiterons à des plans sécants au cône et ne passant pas par S. Ils sont de trois types. Si leur pente est inférieure à la pente du cône, ils couperont le cône suivant une ellipse. S’ils sont parallèles à une génératrice du cône, ils couperont le cône suivant une parabole. Et si leur pente est supérieure à la pente du cône, ils couperont le cône suivant une hyperbole.
De nouveaux personnages surprise se joignent à la scène
Retournons à la coupe pour une seconde expérience par la pensée. Le champagne est versé, les bulles perlent. Imaginons, pour simplifier, une bulle unique logée au fond du verre. Lorsqu’elle est fine, cette bulle repose loin de la surface du liquide (stade I). Plus elle gonfle tout en restant collée aux parois de la coupe, plus elle s’en approche (stade II). Et si elle ne crève pas en rencontrant la surface du liquide, elle la traversera en y traçant un cercle (stade IV). Il existe un moment unique, durant son gonflement, où la bulle ne touche la surface du liquide qu’en un point (stade III). Nous donnerons un nom à la bulle à ce moment précis : elle sera une sphère de Dandelin.
Exercice mental : imaginons maintenant une très grande coupe et un peu de liquide en son fond. Plutôt que de gonfler une bulle à l’intérieur du liquide, pensons plutôt à une énorme sphère dans lacoupe et qui ne touche pas au liquide. Puis dégonflons cette sphère en l’approchant du sommet du cône jusqu’à ce qu’elle touche le liquide en un seul point. Cette sphère se méritera aussi le nom de sphère de Dandelin. Convainquez-vous qu’il n’y a qu’une sphère, obtenue par ce processus, qui touche le liquide en un point et le cône le long d’un cercle.
Les sphères de Dandelin seront le lien entre les deux définitions de l’ellipse que nous venons de rappeler.
L’outil de Dandelin
Une propriété étonnante caractérise toutes les bulles reposant au fond de la coupe. (Clairement les sphères de Dandelin sont de celles-ci.) Pour l’introduire, échangeons l’image fragile des bulles pour cel- le bien solide d’une sphère de rayon fixé. Glissons cette sphère dans la coupe de champagne jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus être approchée du sommet du cône. En cette position, elle touche à la coupe, non pas en un ou deux points, mais bien en tous les points d’un cercle. Ce cercle de tangence est tracé légèrement gonflé sur la figure, comme si c’était un mince boyau. Chacun des points de ce cercle est à même distance du sommet P du cône. À l’aide de la figure, cet énoncé est assez évident et n’est qu’une autre formulation du résultat suivant :
Deux segments de même origine P et tangents à une sphère donnée à leur autre extrémité ont la même longueur.
Convaincus? Sinon, voici la preuve!
Considérons une sphère centrée en O de rayon R et soit $PQ$ un segment tangent à la sphère en Q. Alors, la longueur $|PQ|$ ne dépend que de la distance $|PO|$ de P au centre O de la sphère. Pour le voir, plaçons-nous dans le plan passant par P, Q et O. Il coupe la sphère suivant un grand cercle de rayon R. Le segment $PQ$ est tangent à ce cercle et donc, perpendiculaire au rayon $OQ$. Alors, par le théorème de Pythagore
$$|PQ|^{2} + |OQ|^{2} = |PO|^{2}$$
ce qui donne
$$|PQ|^{2} = |PO|^{2} – R^{2}$$.
Les définitions des coniques à l’aide de deux foyers
Une définition classique des coniques suit la construction à l’aide de clous et d’une corde du texte. Les points où sont plantés les clous sont les foyers et la longueur de la corde est notée $d$.
Une ellipse de foyers $F_{1}$ et $F_{2}$ est le lieu géométrique des points P du plan tels que la somme des distances de $P$ à $F_{1}$ et $F_{2}$ est une constante $d$ :
$$|PF_{1}| + |PF_{2}| = d$$
Une hyperbole de foyers $F_{1}$ et $F_{2}$ est le lieu géométrique des points $P$ du plan tels que la valeur absolue de la différence des distances de $P$ à $F_{1}$ et $F_{2}$ est une constante $d$ :
$$||PF_{1}| – |PF_{2}|| = d$$
Deux définitions réconciliées
La définition de l’ellipse comme section d’un cône et celle à l’aide de deux foyers peuvent maintenant être réconciliées à l’aide des sphères de Dandelin.
Prenons un plan $\Pi$ sécant au cône et non parallèle à une génératrice. (Le plan est celui contenant la surface du liquide de la coupe de champagne.)
Deux sphères de Dandelin sont utilisées: une première au-dessus du plan sécant (obtenue en dégonflant une grande sphère jusqu’à ce qu’elle touche le plan en un point) et une seconde sous ce plan (obtenue en gonflant une petite bulle reposant au sommet du cône). Ces deux sphères, tracées en bleu, sont donc tangentes à la fois au cône et au plan $\Pi$. Dandelin a montré que les deux points de tangence des sphères avec le plan $\Pi$ sont les deux foyers de l’ellipse.
Avant de poursuivre, nous vous invitons à revoir les définitions géométriques des deux premiers encadrés. Après, pourquoi ne pas étudier la figure où deux sphères de Dandelin sont tracées pour l’ellipse? Nous ne voudrions pas vous priver du plaisir de découvrir la preuve par vous-mêmes.
Voici donc la preuve du fait que :
La section du cône avec le plan $\Pi$ est une ellipse dont les foyers sont aux points de tangence avec $\Pi$ des deux sphères simultanément tangentes au cône et à $\Pi$.
Suivez sur la figure le déroulement de la preuve. Soit $C_{1}$ le cercle de tangence de la première sphère avec le cône et $C_{2}$ le cercle de tangence de la deuxième sphère avec le cône. Ces cercles sont dans des plans perpendiculaires à l’axe du cône et donc, la distance entre les deux cercles le long d’une génératrice du cône est une constante que nous appellerons $d$. Appelons $F_{1}$ et $F_{2}$ les points de tangence des deux sphères avec le plan $\Pi$. Soit $E$ la courbe d’intersection du plan $\Pi$ avec le cône. Pour montrer que $E$ est une ellipse, nous allons montrer que, pour tout point $P$ de $E$, $$PF_{1}+PF_{2} =d$$.La génératrice $DP$ du cône passant par $P$ coupe les cercles $C_{1}$ et $C_{2}$ en $A_{1}$ et $A_{2}$ respectivement. L’outil de base de Dandelin assure que deux segments de même origine $P$ et tangents à une sphère donnée en leur point extrême, ont la même longueur. Ainsi, comme $PF_{1}$ et $PA_{1}$ sont tangents à la première sphère en $F_{1}$ et $A_{1}$ respectivement, on a $$|PF_{1}| = |PA_{1}|$$. De même, $PF_{2}$ et $PA_{2}$ sont tangents à la deuxième sphère en $F_{2}$ et $A_{2}$ respectivement, et on a $$|PF_{2}| = |PA_{2}|$$. De plus $A_{1}$, $P$ et $A_{2}$ sont alignés. Donc, $$PA_{1} +PA_{2} =d$$. On en déduit que $|PF_{1}|+ |PF_{2}| = d$, et donc que $E$ est une ellipse.
Le divin géomètre
Le titre de divin géomètre est bien naturel pour les grands géomètres grecs: Thalès, Pythagore, Euclide, Archimède ou Apollonius. Mais l’épithète est également utilisé pour Sir Isaac Newton. Peu de gens ont lu les Principia Mathematica où Newton propose les lois de la mécanique et de la gravitation universelle. On pourrait croire que Newton y utilise le calcul différentiel et intégral dont il est un des pères avec Leibniz. Il n’en est rien. Du calcul différentiel, il utilise certes le concept de limite du rapport de deux quantités et il parvient habilement à expliquer comment ce concept peut avoir un sens même lorsque les deux quantités deviennent évanescentes (tendent vers zéro). Mais l’outil central des trois livres des Principia est la géométrie. Les premières sections du premier livre explorent les diverses lois qui pourraient régir l’attraction gravitationnelle. Si la Nature avait choisi une force décroissant avec l’inverse de la distance, c’est-à-dire en $\frac{1}{r}$, l’orbite de la terre pourrait toujours être elliptique, mais le Soleil serait en son centre plutôt qu’en un de ses foyers. Et des orbites en spirale seraient possibles, si la force gravitationnelle était en $\frac{1}{r^{3}}$. Si Newton conclut pour une décroissance avec le carré de la distance (en 1/r2), c’est entre autres qu’elle est la seule qui permette de démontrer les lois que l’astronome Kepler a obtenues empiriquement. Newton donne de tous ces énoncés des preuves géométriques. Et les sections coniques jouent un rôle central dans ses arguments puisque la force gravitationnelle (en $\frac{1}{r^{2}}$) implique que la trajectoire d’une planète soumise à une force gravitationnelle centrée en un point F est une conique dont F est un foyer!
La définition des coniques à l’aide de deux foyers unifie les familles des ellipses et des hyperboles, mais ne permet pas d’inclure les paraboles. Malgré cela, elle permet à Newton de faire certaines de ses preuves pour les ellipses puis d’affirmer que le résultat vaut aussi pour les hyperboles. Mais il existe une autre définition des coniques qui, en plus de décrire les ellipses et les hyperboles, s’applique aisément aux paraboles. C’est la définition à l’aide d’un foyer et d’une directrice (voir encadré). Évidemment le divin géomètre
l’utilise aussi!
Newton offre souvent plus d’une preuve des théorèmes qu’il juge capitaux. Sa Proposition XI énonce que, si un corps décrit une ellipse dont un des foyers est le centre de la force centripète (de la force gravitationnelle), alors cette force est en $\frac{1}{r^{2}}$. Après la preuve, il suggère : « With the same brevity with which we reduced the fifth problem to the parabola and hyperbola, we might do the like here : but because of the dignity of the problem and its use in what follows, I shall confirm the other cases by particular demonstrations.»1 Pourquoi n’essayons-nous pas de réconcilier la définition à l’aide d’un foyer et d’une directrice à celle d’Apollonius?
Définition géométrique d’une conique à l’aide d’un foyer et d’une directrice
Étant donné un point F, une droite $\delta$, et un nombre $e \geq 0$, une conique de foyer F, de directrice $\delta$ et d’excentricité e est le lieu géométrique des points P du plan tels que $$\frac{|PF|}{|PQ|} = e$$ où Q est la projection orthogonale de P sur $\delta$. La conique est une hyperbole si $e >1$, une parabole si e = 1, et une ellipse si $e <1$, le cas e = 0 étant le cas particulier du cercle. Ainsi les trois familles de coniques sont couvertes par cette définition.
Une ellipse et une hyperbole ont chacune deux foyers et deux directrices, contrairement à la parabole qui n’a qu’un foyer et qu’une directrice, l’autre foyer et l’autre directrice étant à l’infini. Le cercle est le cas limite où les deux foyers sont confondus et les deux directrices sont à l’infini.
Une troisième définition réconciliée
À nouveau, notre but est de montrer que :
une section d’un cône par un plan ne passant pas par le sommet du cône est une conique
mais cette fois-ci nous utiliserons la troisième définition à l’aide d’un foyer et d’une directrice. Ainsi, nous devrons trouver une droite (la directrice) et un point (le foyer) qui caractérisent l’intersection du plan et du cône selon la troisième définition. La figure ci-dessous est tracée pour le cas de la parabole.
Soit $\Pi$ le plan de coupe. On considère une sphère de Dandelin tangente simultanément au plan de coupe en un point, F, et au cône en un cercle, C. Le cercle C est contenu dans le plan $\Pi_{1}$. Soit $\delta$ la droite d’intersection des plans $\Pi_{1}$ et $\Pi$. Nous affirmons que la courbe d’intersection du cône et du plan $\Pi$ est une conique de foyer F et de directrice $\delta$ obtenue selon la troisième définition.
Soit $P$ un point sur la courbe d’intersection et $Q$ sa projection sur $\delta$. Nous devons montrer que $$\frac{|PF|}{|PQ|} = e$$, où $e$ est une constante indépendante de $P$. Soit $R$ la projection de $P$ sur $\Pi_{1}$. L’angle $PQR$ est égal à l’angle entre les plans $\Pi_{1}$ et $\Pi$. Appelons le $b$. Considérons maintenant la génératrice $D_{p}$ du cône passant par $P$. Elle coupe le cercle $C$ en $A$ et passe par le sommet du cône. L’angle $RPA$ est égal à l’angle entre $D_{p}$ et l’axe du cône que nous appellerons $a$. Notons que les angles $a$ et $b$ sont indépendants du point $P$ sur la courbe d’intersection. Les triangles $PQR$ et $RPA$ sont rectangles. Donc, $$\frac{|PR|}{|PA|} = \cos \alpha$$ et $$\frac{|PF|}{|PQ|} = \sin \beta$$ On en déduis $$\frac{|PA|}{|PQ|} = \frac{\sin \beta}{\cos \alpha}$$ D’autre part, l’outil de Dandelin donne $|PA| = |PF|$, et on a terminé si on prend $e =\frac{\sin \beta}{\cos \alpha}$.
Germinal Pierre Dandelin 1794-1847
Germinal Pierre Dandelin a été très influencé par son camarade de classe et ami Lambert Adolphe Jacques Quételet. Ils ont travaillé ensemble en géométrie analytique. Le dernier résultat que nous avons montré, à l’effet que les droites d’intersection des plans de tangence des sphères avec le plan $\Pi$ sont les directrices de la conique, est attribué à Quételet. Dandelin et Quételet ont tous deux été élus à l’Académie Royale des Sciences et des Belles-Lettres de Bruxelles en reconnaissance de leurs travaux en géométrie analytique. Plus tard, Quételet est devenu directeur de l’Observatoire royal de Bruxelles et secrétaire permanent de l’Académie Royale belge. Ses travaux les plus significatifs sont en statistique, qu’il a contribué à établir comme standard scientifique, en particulier dans les sciences sociales.
Les sections avec d’autres surfaces que le cône
Le cône n’est pas la seule surface dont les sections par un plan sont des coniques. C’est le cas de toutes les quadriques. Dans quel cas peut-on adapter les preuves ci-dessus ? La méthode de Dandelin fonctionnait parce que le cône était une surface de révolution qui est une réunion de génératrices. Le deuxième ingrédient était le suivant: lorsqu’on considérait deux sphères tangentes au cône le long de deux cercles, ces deux cercles découpaient sur chaque génératrice des segments de longueur constante. Tous ces ingrédients sont réunis pour le cylindre (voir problèmes), et aussi pour l’hyperboloïde à une nappe.
Des surfaces comme le cône, le cylindre et l’hyperboloïde à une nappe qui sont la réunion d’une famille de droites sont appelées surfaces réglées. Dans le cas de l’hyperboloïde à une nappe, on a deux familles de génératrices passant par chaque point de la surface. Regardez les figures, amusez-vous à énoncer les résultats sur la forme des sections de l’hyperboloïde à une nappe par un plan et à faire la preuve par la méthode de Dandelin.
- Dans ce Problème, ainfi que dans le Probl. 5. on pourroit fe contenter d’appliquer la conclu- fion trouvée pour le cas de l’ellipfe à celui de la Parabole & de l’hyperbole; mais à cause de l’importance de ce Probléme, & de l’étendue de fon ufage dans les Propofitions fuivantes, j’ai cru qu’il ne feroit pas inutile de démontrer en particulier les cas de la parabole & de l’hyperbole. Traduction de la Marquise du Chastellet, Principes mathématiques de la philosophie naturelle, chez Desaint & Saillant et Lambert (1761). ↩