
Un vaisseau spatial est envoyé de la Terre dans l’espace $T^2$ et il voyage à une vitesse constante. Est-ce qu’il revient un jour au point de départ? Quelle est sa trajectoire?
Commotion dans le monde scientifique
Le célèbre explorateur spatial Platellan est de retour. Parti il y a quinze ans pour un voyage d’exploration qui devait le mener aux confins de l’univers, il a voyagé dans la même direction durant toute ces années. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il a constaté qu’il était revenu sur Terre sans avoir fait demi-tour. Tous les plastronomes réunis en congrès ont tenté d’expliquer ce phénomène. La théorie retenue lors de ce congrès est celle du professeur Platilei. Selon cette théorie, notre univers serait une maille sur un énorme « ballon ». Un ballon serait un objet ayant les mêmes caractéristiques qu’un cercle mais possédant une dimension de plus.
Les mathématiciens n’ont pas tardé à mettre cette théorie en équation. Ce ballon, auquel ils ont donné le 2 nom de « sphère » et qu’ils désignent par $S_R^2,$ serait décrit par l’équation:
\[x^2+y^2+z^2 =R^2\]
où $R$ est le rayon de la sphère (figure 1).

Figure 1: La terre circulaire plate est une maille dans un univers sphérique. Platellan croyait voyager en ligne droite. Sa trajectoire était en réalité un grand cercle sur la sphère.
L’Univers pourrait être un tore $T^3$ de dimension 3 défini comme produit cartésien $S^1×S^1×S^1$ de trois copies du cercle unitaire par rapport aux unités de grandeur astronomique. Le cercle unitaire est la partie du plan $\mathbf{R}^2$ décrite par l’équation $x^2 + y^2 = 1.$ Par analogie, le tore $T^3$ est une partie de l’espace $\mathbf{R}^2×\mathbf{R}^2×\mathbf{R}^2 = \mathbf{R}^6$ de dimension 6.
La forme de l’univers: Sphère ou beignet?
Plusieurs scientifiques considèrent que notre univers pourrait être une sphère $S^3$ de dimension 3 dans $R^4$ donnée par l’équation:
\[x^2 +y^2 +z^2 +u^2 =R2\]
où $R$ est le rayon de la sphère. Cette théorie a été remise en question au cours des dernières années.
Si l’Univers est limité, alors pourquoi doit-il être sphérique?
Plusieurs scientifiques adhèrent à une nouvelle théorie selon laquelle l’univers aurait la forme d’un beignet, appelé tore. Une sonde spatiale devrait être envoyée prochainement dans l’espace selon une trajectoire précise pour vérifier la validité de cette théorie.

Figure 2: La droite enroulée sur le cercle.

Figure 3 : Le carré est enroulé pour former un cylindre. Celui-ci
est étiré et enroulé, ses extrémités sont jointes pour former un tore.
On peut éviter de parler de dimensions si grandes en imaginant que la droite R est enroulée sur le cercle $S^1$ (figure 2). Puisque le cercle de rayon 1 a une circonférence de $2\pi$ radians, les nombres réels à intervalle $2\pi$ sont identifiés l’un avec l’autre. Deux voyageurs sur la droite réelle, l’un en $x$ et l’autre en $x’,$ sont au même endroit si:
\[x − x’ = 2\pi.\]
On peut procéder de façon analogue pour le tore $T^3.$ Considérons une feuille carrée constituée d’une membrane élastique et dont les cotés sont de longueur $2\pi$ radians. On peut rouler cette feuille pour en joindre les côtés et former un cylindre. En étirant ce cylindre, on peut en joindre les extrémités (figure 3). L’image de l’axe $OX$ est marqué par le cercle horizontal et celui de $OY$ par le cercle vertical.
En supposant que l’univers soit un tore, dans quelle direction doit-on lancer un vaisseau spatial pour qu’il revienne à son point de départ en conservant toujours la même direction?
Supposons que le point de départ soit (0; 0) et que l’équation de la trajectoire soit:
\[(x; y) = t \vec{v} = (t \upsilon_x; t \upsilon_y). \]
Si $\vec{v} = (1; 0)$ alors la trajectoire est le cercle horizontal sur le tore de la figure 2.
Si $\vec{v} = (0; 1),$ la trajectoire est le cercle vertical sur le tore de la figure 2.
Si $\vec{v} = (1; 2),$ la trajectoire passe au point $(\pi; 2\pi)$ sur le côté supérieur du carré qui est identifié avec le point $(\pi; 0)$ sur le côté inférieur.
En continuant dans la même direction, on passe par le point $(2\pi; 2\pi) ~ (0; 0)$ après avoir fait deux tours, donc on arrive au point de départ (figure 4).

Figure 4 : La trajectoire correspondante à la vitesse (2,1).
Nous laissons à titre d’exercice d’identifier la trajectoire correspondant à la vitesse $\vec{v} = (3; 2)$ et de déterminer le temps nécessaire pour arriver au point de départ.
On peut aussi vérifier que la vitesse $\vec{v} = (1; 2/3)$ donne la même trajectoire que la vitesse $\vec{v} = (3; 2),$ mais que le temps d’arrivée est triplé.
Il semble alors que la forme d’une trajectoire dépend seulement du rapport $\upsilon_y/\upsilon_x$ (représentant la tangente de l’angle d’inclinaison de la droite dans le carré).
Si ce nombre est rationnel, c’est-à-dire, s’il est une fraction de deux nombres entiers $m/n,$ il semble qu’on revient au point de départ. Cependant, si $m$ et $n$ sont relativement premiers, plus l’écart est grand entre $m$ et $n,$ plus le temps de retour est long et plus la trajectoire est dense sur le tore, dans le sens qu’elle passe proche de chaque point du tore. Que se passe-t-il si $\upsilon_y/\upsilon_x$ est un nombre irrationnel, par exemple $\sqrt{2}?$
Le théorème ci-après conduit à certaines réflexions troublantes concernant nos perspectives de voyager dans un univers toroïdal et de revenir un jour sur la Terre. Le choix du vecteur de vitesse est soumis aux erreurs numériques donc nous n’avons pas le pouvoir de choisir notre $\alpha$ d’une façon exacte. On sait que l’ensemble des nombres rationnels est dénombrable et l’ensemble des nombres irrationnels ne l’est pas. Dans un sens, il y a beaucoup plus de nombres irrationnels que de rationnels. La probabilité qu’un nombre choisi au hasard sur la droite réelle soit rationnel est zéro; la probabilité que ce soit un irrationnel est 1. Par conséquent, en partant dans un vaisseau comme décrit dans l’exemple, la probabilité qu’on revienne au point de départ est nulle. Est-ce que cela semble déprimant? Peut-être, mais d’un autre côté, la conclusion $b$ du théorème 1 implique que la probabilité qu’on revienne éventuellement à $\epsilon$ près du point de notre départ est 1! Il s’agit donc de choisir $\epsilon$ à la mesure de notre tolérance à l’erreur et d’être patient parce que ce retour peut prendre beaucoup de temps.
Théorème
Soit $\alpha = \upsilon_y/\upsilon_x.$
a) Le vaisseau revient au point de départ en un temps fini si et seulement si $\alpha \in \mathbf{Q}.$
b) Si $\alpha \in \mathbf{Q}$ alors sa trajectoire est dense dans $T^2,$ dans le sens que pour tout point $(x_0; y_0)$ dans le tore et tout $\epsilon > 0,$ la trajectoire passe à $\epsilon$ près de $(x_0; y_0).$
Démonstration:
Vu que seul le ratio $\alpha$ est important pour la forme de la trajectoire, nous pouvons simplifier les calculs en supposant que $\upsilon_x = 1,$ donc
\[\vec{v}=(1; \alpha) \]
a) L’hypothèse que le vaisseau revient au point de départ en un temps $t > 0$ est équivalente à dire que $(x(t); y(t)) = (t; t\alpha) ~ (0; 0).$ Ceci veut dire qu’il existe des nombres entiers m et n tels que:
\[x(t) = t = 2n\pi \text{ et } y(t) = t\alpha = 2m\pi.\]
Étant donné que $t \neq 0,$ on peut substituer t dans la dernière équation et on obtient $2n\pi \alpha = 2m\pi,$ équivaut à $\alpha = m/n \in \mathbf{Q}.$
b) Soit $(x; y)$ un point donné. Vu que $\upsilon_x = 1,$ la coordonnée $x(t)$ prend la valeur $x_0$ un nombre infini de fois aux temps:
\[t = x_0, x_0+2\pi, x_0+4\pi, x_0+6\pi, ….\]
Donc, il suffit de montrer que la coordonnée $y(t)$ de la trajectoire se trouve à $\epsilon$ près du point $y_0$ sur le cercle $S^1$ dans un temps donné par $t_k = x_0 +2k\pi$ pour un certain entier $k.$ Soit:
\[\theta k = y(t_k) = x_0\alpha + 2k\pi \alpha.\]
$k = 0, 1, 2, 3, …$ On veut montrer l’existence de $k$ tel que $\theta k$ se trouve dans un arc:
\[A = (y_0–\epsilon; y_0+\epsilon) \]
du cercle.
La longueur de l’arc A est $2\epsilon$ radians (voir la figure 5 à gauche). Notons que la longueur d’arc entre deux angles consécutifs de la suite de $\theta_k$ est $\theta_{k+1} –\theta_k =2\pi \alpha$ modulo $2\pi$ et elle ne dépend pas de $k.$ Par $a,$ la suite $\theta_0, \theta_1, \theta_2, …$ est infinie, donc les arcs $[\theta_{k}; \theta_{k+1}]$ doivent couvrir tout le cercle et l’un de ces arcs doit rencontrer A.
Cas 1: $2\pi \alpha < 2 \epsilon$ Dans ce cas, l’arc $[\theta_{k}; \theta_{k+1}]$ qui intersecte A est plus court que A donc l’un de ces points limites, $\theta_{k}$ ou $\theta_{k+1}$ doit être dans A. Cas 2: $2\pi \alpha > 2 \epsilon$
Dans ce cas, il se peut que l’arc $[\theta_{k}; \theta_{k+1}]$ qui intersecte A contienne A dans son intérieur, donc ni $\theta_{k}$ ni $\theta_{k+1}$ ne sont dans A. Cependant, pour un entier $n$ suffisamment grand, $2\pi/n < 2\epsilon.$ Vu que le cercle peut être couvert par $n$ arcs de longueur $2\pi/n$ et que la suite de $\theta_{k}$ est infinie, il existe ou moins deux indices $j > i$ tels que $\theta_{i}$ et $\theta_{j}$ se trouvent dans le même arc de longueur $2\pi/n.$ Soit $\beta < 2\pi/n$ la longueur de l’arc le plus court qui joint $\theta_{i}$ et $\theta_{j}$ (voir la figure 5 à droite). Alors:
\[\theta_{j} –\theta_{i} =\beta+2m\pi~\beta,\]
où m est un entier. Nous remplaçons la suite originale de $\theta_{k}$ par sa sous-suite
\[\gamma_k =\theta_{k(j–i)} =k\beta+2m\pi~k\beta.\]
La suite $\gamma_{k}$ a la propriété
\[\gamma_{k+1} –\gamma_{k} ~\beta<2\pi/n<2\epsilon;\]
donc les argument du Cas 1 montrent l’existence de $k$ tel que $\gamma_k = \theta_{k(j–i)}$ se trouve dans l’arc A.

Figure 5:
Les arcs discutés dans le théorème: Cas 1 à gauche
et cas 2 à droite.