Peut-on prendre au sérieux un mathématicien qui produit des objets comme celui ci-contre. On s’imagine facilement qu’il devrait plutôt faire carrière dans les arts. Mais, Roger Penrose a bel et bien
apporté des développements importants en mathématiques et en physique.
Diplômé avec mention en mathématiques de l’University College de Londres, le physicien et mathématicien Roger Penrose obtient son Ph.D. à Cambridge (St John’s College) en 1958, avec une thèse sur les méthodes tensorielles en géométrie algébrique. À la même époque, avec la complicité de son père, il produit quelques représentations paradoxales planes d’objets tridimensionnels comme le triangle de Penrose ou l’escalier de Penrose, qui ont inspiré l’artiste-graveur hollandais Maurits Cornelis Escher (1898-1972) avec lequel il devint ami.
Penrose enseigna les mathématiques au Birkbeck College de Londres de 1964 à 1973 et, en 1965, il démontra que des singularités gravitationnelles (comme celles au centre des trous noirs) peuvent être formées à partir de l’effondrement gravitationnel d’étoiles massives en fin de vie. À cette époque, il rencontra le physicien Stephen W. Hawking, son compatriote, auteur de l’ouvrage: Une brève histoire du temps, Trous noirs et bébés univers.
Penrose et Hawking travaillèrent ensemble sur une théorie de l’origine de l’univers et Pen- rose apporta la contribution mathématique à la théorie de la relativité générale appliquée à la cosmologie et à l’étude des trous noirs. Les deux savants reçurent, en 1975, la médaille Eddington de la Royal Astronomical Society et, en 1988, le prix de la fondation Wolf pour la physique.
En 1974, Penrose développa des pavages ayant la propriété de couvrir intégralement un plan de manière non périodique.
Les tuiles de base de ses pavages sont obtenues en regroupant deux à deux les triangles isocèles congruents dont le rapport des côtés donne le nombre d’or1. Le premier type de regroupement donne des tuiles, appelées cerf-volant et fléchette2
Ces triangles peuvent également être regroupés de façon à donner des losanges, qu’il dispose pour former des décagones à l’aide desquels il obtenait d’autres façons de paver le plan. Ces pavages ont la symétrie de rotation du pentagone, mais n’ont pas de symétrie de translation; ils sont non périodiques. Cette découverte a eu un impact important en cristallographie.
Des cristaux aux quasi-cristaux
Dès l’antiquité, les formes régulières des cristaux ont fasciné et ceux-ci ont été utilisés en joaillerie. La première tentative d’explication des formes est due à Kepler et portait sur la structure hexagonale des cristaux de neige. C’est par un empilement optimal de sphères3 représentant les atomes que Kepler expliquait la forme de ces cristaux. Ce n’est cependant qu’au XIXe siècle que la cristallographie a vraiment pris son essor. On remarqua d’abord que deux faces adjacentes d’un cristal font toujours des angles égaux, puis René Just Haüy, ayant échappé un cristal de calcite, constata que les fragments de différentes tailles présentaient toujours le même caractère facetté que le cristal d’origine. Il en conclut que le cristal est formé par l’empilement d’éléments semblables qui, à la suggestion d’un de ses élèves, furent appelés mailles élémentaires. Poursuivant dans cette voie, il fut possible d’expliquer diverses caractéristiques des cristaux.
En 1848, Auguste Bravais présenta une étude mathématique sur la classification des cristaux dans laquelle il décrivait l’ensemble des structures compatibles avec les propriétés de translation des cristaux dans les trois directions de l’espace. Il dénombrait 32 classes de symétrie réparties en 14 types de réseaux regroupés en 7 systèmes caractérisés par la forme de la maille élémentaire. Deux de ces mailles sont représentées ci-contre.
Tous les travaux réalisés en cristallographie confirmaient que ceux-ci étaient constitués par l’empilement de mailles élémentaires et les bases des mailles dans un même plan formaient un pavage du plan.
Les développements techniques ont permis de mettre au point un moyen relativement simple pour obtenir de l’information sur la structure d’un matériau, sa figure de diffraction. La présence de pics, appelés pics de Braggs, témoigne d’une structure fortement ordonnée. La figure de diffraction d’un cristal se caractérise par la distribution discrète de pics et on a longtemps considéré qu’un matériau présentant une figure de diffraction discrète était un cristal. De plus, on croyait bien établie la conjecture à l’effet que tout pavage du plan peut se ramener à un pavage périodique.
La découverte des pavages non périodiques de Penrose fut considérée au début comme une simple curiosité mathématique n’ayant aucune incidence en cristallographie. Cependant, en 1982, Dan Shechtman, travaillant avec ses collègues sur un alliage d’aluminium et de manganèse, observa un cliché de diffraction de symétrie pentagonale. Pour la première fois, on observait une figure de diffraction discrète et non périodique. L’expérience de Shechtman fut reprise dans plusieurs autres laboratoires et d’autres structures donnant des figures de diffraction discrètes mais non périodiques furent observées. On donna le nom de quasi-cristaux à ces structures.
Les pavages de Penrose n’étaient plus une simple curiosité mais un développement mathématique devançant la découverte de structures physiques jusqu’alors inconnues.
- Voir Nombre d’or dans ce numéro et Nautile, nombre d’or et spirale dorée, Accromath vol. 3, été-automne, 2008. ↩
- Voir De l’ordre au désordre, dans ce numéro. ↩
- Voir Savez-vous empiler des oranges, Accromath vol. 3, hiver-printemps, 2008. ↩