Pour échapper aux persécutions religieuses menées par les Espagnols aux Pays-Bas, la famille Bernoulli quitte Anvers en 1583 pour se réfugier à Francfort et s’établir définitivement à Bâle en Suisse en 1622. Parmi les descendants, il y aura huit mathématiciens de talent sur trois générations, dont les plus célèbres sont les frères Jacques et Jean, qui sont également les deux premiers mathématiciens de la lignée, et leur neveu Daniel. Jacques Bernoulli est né à Bâle le 27 décembre 1654 et y est mort le 16 août 1705.
Pour répondre aux attentes de son père, Jacques Bernoulli a d’abord étudié la théologie. Cependant, il ne put résister longtemps à son intérêt pour les disciplines scientifiques. À partir des travaux de Wallis, de Barrow et des articles de Leibniz publiés en 1684 et 1687 dans les Acta Eruditorum1, il a assimilé par lui-même le calcul différentiel et intégral. En 1687, il devint professeur de mathématiques à l’université de Bâle jusqu’à sa mort. C’est dans les Acta Eruditorum que l’on retrouve la plupart des travaux de Jacques Bernoulli.
Étude de courbes
En 1690, il a résolu le problème de la courbe isochrone proposé par Leibniz en 1686. Ce problème consistait à trouver l’équation de la courbe suivant laquelle un mobile descend avec une vitesse verticale uniforme. L’équation est \(x^3 = ay^2\).
Dans la solution de ce problème, Bernoulli a, pour la première fois, utilisé le terme « calcul intégral » qui a remplacé le « calcul sommatoire » de Leibniz.
En 1691, Bernoulli proposa le problème suivant à la communauté scientifique:
On suppose une lame élastique attachée perpendiculairement à un plan par une de ses extrémités et pliée par un poids attaché à l’autre extrémité (figure ci-contre). Quelle forme prend ce ressort?
Bernoulli trouva pour équation de la courbe l’équation différentielle suivante:
\[dy=\frac{x^2dx}{\sqrt{a^4-x^4}}\]
qu’il faut résoudre par un développement en série.
En 1694, il fait, dans les Acta, la description d’une courbe appelée aujourd’hui lemniscate de Bernoulli. Cette courbe est le lieu des points dont le produit des distances à deux points fixes F et F’, distants de 2a, est constant et égal à \(a^2\). L’équation cartésienne est:
\[(x^2 +y^2)^2 =a^2 (x^2 –y^2)\]
et en coordonnées polaires2:
\[r^2 = a \cos 2\theta\]
C’est la première utilisation de coordonnées polaires dans un texte publié.
Bernoulli a également étudié les hypocycloïdes qui sont les courbes engendrées par un point d’un cercle de rayon r et de centre c roulant sans glisser à l’intérieur et sur la circonférence d’un cercle de rayon R et de centre C. Lorsque R = 3r, la courbe s’appelle une deltoïde, lorsque R = 4r, on a une astroïde.
On peut engendrer diverses courbes en modifiant le rapport des rayons et la position du point générateur qui peut être n’importe où sur le rayon du petit cercle, pas nécessairement à son extrémité. C’est le genre de courbes que l’on peut tracer à l’aide d’un spirographe.
Brachistochrone
Jacques et Jean Bernoulli se sont également intéressés au problème suivant:
Étant donnés deux points A et B à des hauteurs et sur des verticales distinctes, quelle est la trajectoire permettant la descente la plus rapide du point A au point B?
La solution de ce problème est une courbe appelée brachistochrone dont la forme est celle d’une cycloïde3 inversée. La brachistochrone est la forme que devrait avoir une rampe de skateboard pour que la descente soit la plus rapide possible.
Les travaux de Bernoulli sur la brachistochrone ont posé les fondements de ce qu’Euler a appelé le calcul des variations, qui est un ensemble de méthodes pour déterminer des fonctions qui, sujettes à certaines conditions, maximisent ou minimisent une certaine grandeur, comme ici le temps de descente. La courbe qui a le plus fasciné Bernoulli est la spirale logarithmique4 dont il démontra plusieurs propriétés.
Ars Conjectandi
Le principal ouvrage de Jacques Bernoulli est intitulé Ars Conjectandi. Il fut édité en 1713 – huit ans après la mort de Jacques – par Daniel Bernoulli, son neveu. Dans la dernière partie de cet ouvrage, on trouve le Théorème de Bernoulli ou Loi des grands nombres.
Cette loi est à l’effet qu’en répétant une expérience aléatoire un grand nombre de fois, le nombre de succès s’approche de la probabilité théorique. Ainsi, en lançant une pièce de monnaie un grand nombre de fois, la fréquence observée pour le résultat « pile » devrait s’approcher de 0,5 (50 %). De même pour la fréquence du résultat « face ».
Grâce à ce théorème, on peut estimer expérimentalement la probabilité de certains événements dont on ne pourrait obtenir la probabilité autrement. C’est ainsi que l’on peut estimer la probabilité de survie d’une personne de 35 ans et déterminer en conséquence le montant de ses primes d’assurance. Il y a plusieurs phénomènes physiques qui illustrent cette loi des grands nombres. C’est le cas des molécules d’un gaz qui ont des trajectoires et des vitesses aléatoires mais qui exercent sur les parois d’un récipient une pression pratiquement constante puisque le nombre de molécules est très grand.
- Revue scientifique allemande, les Acta Eruditorum, à l’instigation de Leibniz, ont été éditées mensuellement de 1682 à 1782 à Leipzig par le savant Otto Mencke d’abord, puis par son fils et son petit-fils. Rédigée en latin, langue savante de l’époque, c’est la première revue scientifique allemande de l’histoire. ↩
- En coordonnées polaires, la position d’un point est décrite par un couple \((r, \theta)\), où \(r\) est la longueur du segment de droite joignant ce point à l’origine et \(\theta\) l’angle qu’il fait avec l’axe horizontal. ↩
- La cycloïde est la trajectoire d’un point sur la circonférence d’un cercle qui roule sans glisser sur une droite. ↩
- Voir l’article de Christiane Rousseau, Nautile, nombre d’or et spirale dorée dans ce numéro. ↩