
Zia et Léo discutent d’un problème de probabilités soumis à la classe.
Zia
La prof de Maths nous a posé un problème. Elle a dit de réfléchir à « comment le résoudre ».
Léo
C’est quoi ce problème ?
Zia
En fait l’énoncé est assez simple. Il faut calculer la probabilité qu’une corde choisie au hasard dans le cercle de rayon unitaire soit plus longue que le côté du triangle équilatéral inscrit dans ce cercle.
Léo
Peut-être qu’en faisant une figure, on aurait une piste de solution. Je trace un cercle, je choisis au hasard un point A. Puis, j’inscris dans le cercle le triangle équilatéral dont le point A est un sommet. Je trace alors le diamètre du cercle à partir du point A et le diamètre perpendiculaire DE. En considérant cette image, je vois que les cordes plus longues que le côté du triangle ABC sont celles, en bleu, comprises entre le diamètre DE et le côté BC du triangle. Celles à l’extérieur, les cordes rouges, sont plus courtes.
Zia
Ça ne donne pas la probabilité cherchée.
Léo
Attends ! En considérant le rayon OF perpendiculaire au côté du triangle et en formant le triangle OCG, j’obtiens un triangle rectangle. L’angle en C mesure 30°, puisque le côté OC est la bissectrice d’un angle de 60°. Le côté OG opposé à cet angle est alors la moitié de l’hypoténuse qui est le rayon du cercle. Par conséquent, OG et GF sont de même longueur, 1/2. Il y a donc autant de cordes plus longues que le côté BC qu’il y en a de plus courtes. On peut refaire le même raisonnement en considérant que le point A peut être n’importe quel point du cercle. On a donc une probabilité d’une chance sur deux, soit 1/2.
Zia
En fait, ton approche revient à choisir au hasard un rayon du cercle. Tu traces les cordes perpendiculaires au rayon et le triangle équilatéral te permet de déterminer lesquelles sont plus longues que son côté. Tu établis alors la probabilité 1/2 et tu généralises à l’ensemble des rayons. J’avais pensé à une autre approche, mais je n’ai pas le même résultat.
Léo
C’est quoi ton approche ?
Zia
En fait, en prenant un point A au hasard sur la circonférence du cercle, je construis un triangle équilatéral inscrit dont le point A est un des sommets.
Je constate que les cordes les plus longues sont celles qui coupent le côté opposé BC du triangle. Puisque l’angle BAC divise le cercle en trois parties égales, il y a 1/3 des cordes qui sont plus longues que le côté du triangle équilatéral. Le point A étant quelconque, le raisonnement est valide pour tout point du cercle. J’ai donc une probabilité de 1/3, ou une chance sur trois.
Léo
Bizarre ! Pourtant ton raisonnement me semble correct mais ne donne pas la même réponse.
Zia
Il doit bien exister un autre raisonnement qui donnerait la bonne solution.
Léo
On partait tous les deux en choisissant un point sur le circonférence. Ce n’est peut-être pas ce qu’il fallait faire.
Zia
Tu choisirais un point à l’intérieur du cercle ?
Léo
Essayons, on n’a rien à perdre. Disons que le point choisi est le point-milieu de la corde. On doit se demander : à quelle condition la corde dont ce point est le milieu sera-t-elle plus longue que le côté du triangle équilatéral ?
Zia
Je vois ! Il faut que le point-milieu de la droite soit à l’intérieur du cercle inscrit dans le triangle équilatéral. Ça nous ferait quoi comme probabilité ?
Léo
Le rayon du cercle inscrit dans le triangle équilatéral est 1/2, son aire est donc le quart de celle du cercle circonscrit au triangle. Ce qui fait une probabilité de 1/4. Ça ne permet pas vraiment de décider…, on s’enfonce.
Zia
On a adopté trois approches géométriques; essayons numériquement.
Léo
D’accord ! Je calcule d’abord a l’hypoténuse du triangle ACD. Sa hauteur AD est égale à 3/2 et le côté opposé à l’angle de 30° est a/2. Par la relation de Pythagore, j’ai donc
\[a^2 = \displaystyle \frac{a^2}{4} + \frac{9}{4} \text{ d’où } a=\sqrt{3}.\]
Zia
La longueur d’une corde quelconque du cercle est comprise dans l’intervalle [0; 2] et elle est plus grande que le côté du triangle si elle est comprise dans l’intervalle \([\sqrt{3} ; 2]\). Les réels étant uniformément répartis, la probabilité doit être
\[\displaystyle \frac{2-\sqrt{3}}{2-0} = 0\,133\,974\ldots\]
Léo
Ça n’a pas de sens. En exprimant les valeurs obtenues en nombres réels, on a trouvé 0,5, 0,333…, 0,25, et 0,133 974…, je crois que c’est sans espoir. On s’enfonce encore ! Est-ce un paradoxe ?
Zia
Je pense plutôt que le problème n’est pas posé correctement. Choisir une corde au hasard n’est pas un énoncé très précis, puisqu’il donne lieu à diverses interprétations. La probabilité n’est pas déterminée par l’énoncé du problème.
Léo
Je pense que tous les raisonnements sont corrects, cependant l’énoncé du problème devrait préciser le protocole de choix d’une corde.
Zia
Évidemment, si la question précisait comment choisir une corde au hasard, il n’y aurait aucune ambiguïté. Je vais demander à ma prof de préciser la question, car les différentes longueurs n’ont pas la même probabilité selon la méthode utilisée.
Léo
Mais pourquoi le nombre de cordes, plus longues que le côté du triangle équilatéral inscrit dans le cercle est différent selon la façon de les choisir ?
Joseph Bertrand (1822-1900)
Joseph Louis François Bertrand est un mathématicien français intéressé aussi par la physique et l’économie. Il entre à l’École Polytechnique en 1839 et gradue comme ingénieur des Mines, mais il n’exerce pas dans ce domaine et se consacre à la recherche et à l’enseignement. Il enseigne au lycée Saint-Louis, à l’École Polytechnique, à l’École Normale Supérieure, et enfin au Collège de France où il remplace en 1862 Jean-Baptiste Biot (1774-1862) à la chaire de physique et mathématiques.
En 1845, après avoir analysé une table de nombres premiers jusqu’à 6 000 000, il énonce la conjecture qu’il existe au moins un nombre premier entre n et 2n, pour tout entier naturel n. Cette conjecture est prouvée en 1854 par le mathématicien russe Pafnouty Tchebychev (1821-1894). Bertrand réalise de nombreux travaux en géométrie différentielle et en calcul des probabilités, en astronomie et en thermodynamique.
En 1856, il entre à l’Académie des Sciences et en devient le secrétaire perpétuel à compter de 1874. En 1884, il est élu à l’Académie Française, ce qui est un privilège rare pour un scientifique.
En 1889, il a présenté, dans son ouvrage Calcul des probabilités, ce qui est maintenant appelé le paradoxe de Bertrand. Bertrand donne les trois premières approches décrites dans cet article. Il montre ainsi les écueils du recours à l’intuition pour déterminer la probabilité d’un événement lorsqu’íl y a une infinité de cas possibles.