Dans son cours de philosophie, Zia a vu pourquoi Platon croyait qu’il n’existait que quatre éléments et les formes géométriques qu’il leur associait. Elle partage cette connaissance avec Léo.
Zia
Dans mon cours de philosophie, on a vu comment Platon justifiait l’existence des quatre éléments d’Empédocle.
Léo
C’est qui Empédocle ?
Zia
C’était aussi un philosophe grec qui vécut de –490 à –435. Il affirmait que tout était constitué de quatre éléments : terre, eau, air et feu.
Léo
C’est peu, comparé aux éléments que l’on retrouve dans le tableau périodique. Et il justifiait ça comment ?
Zia
Platon affirme :
C’est évidemment corporel que doit être le monde engendré, c’est-à-dire visible et tangible. Or, sans feu rien ne saurait devenir visible; et rien ne saurait devenir tangible sans quelque chose qui soit solide; or rien ne saurait être solide sans terre. De là vient que c’est avec du feu et avec de la terre que le dieu, lorsqu’il commença de le constituer, fabriqua le corps du monde1.
Léo
Ça fait juste deux éléments.
Zia
Tout à fait d’accord ! Il poursuit :
Mais deux éléments ne peuvent seuls former une composition qui soit belle, sans l’intervention d’un troisième.
Léo
De quoi parle-t-il ?
Zia
Prenons deux carrés, un de côté a et un de coté b. On joint ces deux carrés par un sommet de telle sorte que leurs côtés soient parallèles, sans superposition des côtés. Pour compléter le carré de cette figure, il faut ajouter deux rectangles de dimensions a par b, placés de façon telle qu’ils relient ces éléments dans un troisième carré de côté a + b.
Il écrit alors :
Or, de tous les liens, le plus beau, c’est celui qui impose à lui-même et aux éléments qu’il relie l’unité la plus complète, ce que, par nature, la proportion réalise de la façon la plus parfaite.2
Tu vois, le terme ajouté forme avec les deux autres une proportion qu’il appelle
géométrique
\[\frac{a^2}{ab} + \frac{ab}{b^2} = \frac{a}{b},\]
le grand carré est donc, selon Platon, une « unité parfaite ».
Léo
Ces trois termes sont également reliés par un développement binomial
\[(a + b)^2 = a^2 + 2ab + b^2.\]
Mais quel est le lien ?
Zia
Platon était influencé par les Pythagoriciens, qui croyaient que tout est explicable par les nombres et les rapports entre eux. Il poursuit :
Cela dit, si le corps de l’univers avait dû être une surface, dépourvue de toute profondeur, une seule médiété3 eut suffi à établir un lien entre les autres termes qui l’accompagnent et lui-même. Il convenait que ce monde fut un solide et, en ce qui concerne les solides, ce n’est jamais une seule médiété, mais toujours deux qui établissent une proportion.
Il parle alors de la proportion
\[\frac{a^3}{a^2b} = \frac{ab^2}{b^3},\]
et établit un parallèle avec la représentation géométrique suivante.
Il poursuit :
Voilà bien pourquoi le dieu, ayant placé au milieu entre le feu et la terre, l’eau et l’air, et ayant introduit entre eux, autant que c’était possible, le même rapport, qui fasse ce que le feu est à l’air, l’air le soit à l’eau, et que ce que l’air est à l’eau, l’eau le soit à la terre, a constitué à l’aide de ces liens un monde visible et tangible.
Dans ce paragraphe, il fait remarquer que
\[\frac{a^3}{a^2b} = \frac{a^2b}{ab^2} = \frac{ab^2}{b^3} = \frac{a}{b},\]
Ainsi, pour construire un univers solide (tridimensionnel), il faut quatre composantes soit \(a^3, a^2b, ab^2, b^3\) qui sont dans le rapport suivant :
\[\frac{\text{feu}}{\text{air}} = \frac{\text{air}}{\text{eau}}= \frac{\text{eau}}{\text{terre}}.\]
Il poursuit :
L’accord qu’il manifeste, il le tient de la proportion géométrique; et les rapports instaurés par cette proportion lui apportent l’amitié, de sorte que, rendu identique à lui-même, il ne peut être dissous par personne d’autre que par celui qui a établi ces liens.
Qu’est-ce que tu en penses ?
Léo
Il fait un raisonnement de complotiste, ce cher Platon. Il connaît la conclusion d’avance et choisit ce qui semble en accord avec sa théorie en passant le reste sous silence. Les quatre termes qu’il utilise, \(a^3, a^2b, ab^2, b^3\) sont également reliés par le développement
\[ (a + b)^3 = a^3 + 3a^2b + 3ab^2 + b^3.\]
Dans sa proportion, ne devrait-il pas utiliser plutôt les termes \(3a^2b\) pour l’air et \(3ab^2\) pour l’eau ? Dans ce cas, la proportion ne tient plus, puisque
\[\frac{a^3}{3a^2b} \neq \frac{3ab^2}{b^3}.\]
Zia
Tu as raison, mais c’est cohérent avec sa théorie de la connaissance. Pour lui la connaissance est une réminiscence, c’est-à-dire un souvenir d’une connaissance acquise quand l’âme vivait dans le monde des Idées entre deux réincarnations. Il indique :
Si nous proposons des explications qui ne sont pas des images plus infidèles qu’une autre, il faut nous en contenter, en nous souvenant que moi qui vous parle et vous qui êtes mes juges sommes d’humaine nature, de sorte que si, en ces matières, on nous propose un mythe vraisemblable, il ne sied pas de chercher plus loin.
C’est le postulat qu’il fait endosser par Socrate dans le Timée4
Léo
Autrement dit, « une explication plausible doit être la bonne » ! Heureusement, on ne pense plus comme ça aujourd’hui, sauf si on est complotiste.
Zia
Effectivement, le changement s’est fait grâce à son disciple, Aristote, qui rejetait le monde des Idées et considérait que la connaissance s’acquérait à partir de l’observation du monde réel. C’est lui aussi qui a développé la première démarche logique d’acquisition des connaissances qu’il a présentée dans l’Organon. Il croyait cependant à l’existence des quatre éléments qui, mélangés en proportion variable, donnaient tout ce que les sens peuvent percevoir.
Mais je dois aller en classe, on s’en reparle après les cours. Je vais t’expliquer comment il concevait la forme de chacun de ces quatre éléments.
- Luc Brisson, Timée, Critias, 5e édition, Flammarion, 2001, pp. 120-121. ↩
- Voir les vidéos 01-Platon et 02-Platon à l’adresse https://www.youtube.com/@Accromath/featured ↩
- Les Pythagoriciens distinguaient dix sortes de « médiétés » ou moyennes. Parmi celles-ci, on utilise encore les moyennes arithmétique, géométrique et harmonique. Platon fait référence ici à la moyenne géométrique. ↩
- Luc Brisson, Timée, Critias, 5e édition, Flammarion, 2001, pp. 117-118. ↩