
Dans un pays lointain, les femmes ont des enfants qui sont de sexe masculin dans 50 % des cas exactement et, bien sûr, de sexe féminin dans 50 % des cas. Aucun biais d’aucune sorte n’a jamais été observé chez aucune femme ou catégorie de femmes. Autrement dit, tout se passe comme si le sexe d’un enfant à naître était tiré au hasard avec une pièce de monnaie non truquée. Le gouvernement décide que seuls les couples ayant eu au moins une fille toucheront leur retraite. En réaction à cette mesure, chaque couple adopte alors la stratégie suivante :
– si leur premier enfant est une fille, il n’en a pas d’autres;
– si le premier enfant est un garçon, le couple a un second enfant qui sera le dernier si c’est une fille;
– et ainsi de suite, chaque couple ayant des enfants jusqu’à avoir une fille qui est alors leur dernier enfant.
Cette stratégie a en particulier deux conséquences :
a) il n’y a aucune famille sans fille;
b) une famille sur deux n’a pas de garçon.
Cela favorise donc clairement les filles. Pourtant, au bout de quelques années, lorsque le ministère des statistiques évalue le rapport [nombre de filles]/[nombre de garçons] depuis que la mesure a été adoptée, il trouve qu’à très peu de chose près il y a eu autant de garçons que de filles.
Comment expliquer ce paradoxe ?
Solution
Les stratégies des familles n’ont aucune influence sur la proportion de filles et, d’ailleurs, il en serait de même si la probabilté de naissance des filles était différente de 50 %. Aussi surprenant que cela paraisse, au premier abord, les stratégies familiales appliquées par les couples n’ont absolument aucun effet sur la rapport garçon/filles. On peut s’en rendre compte sans faire le moindre calcul, car si l’on s’interroge sur la probabilité qu’a un enfant à naître d’être une fille, il est clair que :
– quel que soit son rang dans une famille, cette probabilité est 1/2;
Le passé n’influe pas sur la naissance à venir (c’est du moins l’hypothèse qu’on a adoptée et que l’énoncé explicitait en disant qu’aucun biais n’avait jamais été observé).
Tout enfant à naître ayant une probabilité de 50 % d’être une fille, il naît donc en moyenne une fille pour deux naissances. Quelles que soient les règles adoptées par les familles pour cesser d’avoir des enfants en fonction des précédentes naissances dans la famille, les proportions de filles et de garçons restent inchangées. C’est encore vrai si le ratio des naissances fille/garçon n’est pas 1, et c’est vrai encore pour toute autre stratégie familiale: toutes se valent et aucune n’a le moindre effet perturbateur.
Il se peut que vous ayez des doutes. Pour vous convaincre, nous allons étudier un calcul où, pour simplifier, nous supposerons que les familles n’ont jamais plus de quatre enfants (mais vous pouvez reprendre le calcul avec 5, 6 ou n enfants ou même sans limitation de nombres d’enfants).
– Probabilité qu’une famille possède un seul enfant : 1/2. La famille est alors du type : [fille].
– Probabilité qu’une famille possède deux enfants : 1/4. La famille est du type [garçon, fille].
– Probabilité qu’une famille possède trois enfants : 1/8. La famille est du type [garçon, garçon, fille].
– Probabilité qu’une famille possède quatre enfants : 1/16. La famille est une fois sur deux du type [garçon, garçon, garçon, fille] et une fois sur deux du type [garçon. garçon, garçon, garçon].
Donc sur 16 familles, il y a en moyenne 8 familles du type [fille], 4 du type [garçon, fille], 2 du type [garçon, garçon, fille], 1 du type [garçon, garçon, garçon, fille] et 1 du type [garçon,garçon, garçon, garçon]. Cela fait au total 8+4+2+1=15 filles et 4+4+3+4=15 garçons.
L’effort fait par chaque famille pour avoir une fille ne change pas la proportion de garçons et de filles, mais conduit cependant à une situation où la plupart des familles sont satisfaites, car elles ont au moins une fille (dans notre exemple, 15 familles sur 16 ont une fille).
Signalons que, dans la réalité d’aujourd’hui en Inde et en Chine, les règles traditionnelles sur les dots et d’autres raisons socioculturelles font que les familles souhaitent avoir en priorité des garçons. Il en résulte que la proportion de filles à la naissance est nettement inférieure aux garçons. Cela n’est pas la conséquence de stratégies analogues à celle envisagée plus haut mais est dû à des avortements sélectifs organisés par les familles qui, grâce aux échographies, savent au bout de quelques semaines de grossesse le sexe de l’enfant à naître. Ces comportements sont combattus par les autorités car ils conduisent à un déséquilibre entre hommes et femmes susceptibles à terme de créer des problèmes sociaux. Dans plusieurs régions d’Inde, on compte déjà plus de 110 garçons pour 100 filles.