Très tôt les États ont cherché à faire l’inventaire de leurs possessions, à connaître et à évaluer le nombre de leurs sujets et la quantité de biens. Cette pratique est à l’origine de la statistique dont l’avènement a eu une influence importante sur la gestion de l’État. Pour mettre en évidence l’information cachée dans des colonnes de chiffres, les statisticiens ont développé un langage visuel.
Joseph Priestley
Le but de la première représentation graphique utilisant une ligne du temps était avant tout pédagogique. En publiant A Chart of Biography en 1765, Joseph Priestley voulait donner à ses étudiants « une juste image de l’essor, du progrès, de l’étendue, de la durée et de l’état actuel de tous les grands empires ayant jamais existé de par le monde ». Dans cette charte, des barres superposées de différentes longueurs permettaient de comparer les époques et la durée de vie des grands penseurs. L’illustration ci-dessous est une reproduction d’une partie du tableau publié par Priestley.
Ce type de représentation graphique aide à développer une vision d’ensemble de l’évolution des idées, en philosophie, en mathématiques et dans les sciences.
Joseph Priestley (1733-1804)
D’abord formé comme théologien, Joseph Priestley s’est beaucoup intéressé à la « philosophie naturelle » comme on appelait la physique à l’époque. Priestley croyait que la science permettait de promouvoir la sécurité et le bonheur de l’être humain. Il a réalisé plusieurs expériences sur l’électricité et la chimie. Au cours de celles-ci, il a été le premier, en 1774, à découvrir l’oxygène et à donner quelques-unes de ses propriétés. Cependant, comme partisan de la théorie du phlogistique1, son interprétation de la nature de l’oxygène était erronée et la découverte officielle est attribuée à Antoine Laurent Lavoisier (1743-1794) qui a identifié ce gaz par son poids spécifique et lui a donné son nom.
William Playfair
L’ingénieur et économiste écossais, William Playfair reprend l’idée de la ligne du temps de Priestley pour concevoir une représentation graphique qui porte maintenant le nom de « chronogramme » pour représenter les « séries chronologiques » des importations et des exportations de l’Angleterre de 1700 à 1780. L’illustration à droit est une reproduction de ce premier chronogramme qui a été produit en 1786.
Dans The Commercial and Political Atlas (1786), William Playfair publie le premier diagramme en bâtons de l’histoire portant sur les échanges commerciaux de l’Écosse avec divers autres pays. L’illustration ci-contre est la reproduction (traduite) d’une partie de ce diagramme. Elle représente les importations et les exportations de l’Écosse pour l’année 1781 avec 17 pays. Ce diagramme est le premier graphique dans lequel l’axe horizontal n’est pas gradué en années. Il offre la possibilité de comparer des grandeurs discrètes.
En 1801, Playfair publie dans Statistical Breviary, un diagramme circulaire illustrant les proportions de l’Empire ottoman en Asie, en Europe et en Afrique avant 1789. La carte de cet Empire permet d’en constater l’étendue.
William Playfair
William Playfair, ingénieur et économiste écossais, est né en 1759 et décédé en 1823. On lui doit l’introduction de trois types de graphiques en statistique : la série chronologique et l’histogramme de données économiques en 1786, puis en 1801 le diagramme circulaire montrant les proportions relatives des parties au tout.
Florence Nightingale
Durant la guerre de Crimée (1854-1855), les premiers correspondants de presse suivent les armées. L’Angleterre apprend ainsi la piètre organisation des services sanitaires de l’armée britannique. Florence Nightingale monte alors une mission humanitaire pour se rendre en Crimée et obtient l’aval des autorités. En 1854, elle part avec un groupe de 38 infirmières pour la Crimée. Dès leur arrivée, elles procèdent à l’implantation de mesures sanitaires strictes. Nightingale en profite pour étudier les causes de décès des militaires britanniques durant cette campagne. Elle constate que le décès de la plupart des soldats aurait pu être évité, car il n’était pas causé par les blessures mais par les mauvaises conditions d’hygiène dans les hôpitaux militaires.
De retour en Angleterre, elle procède à une étude comparative de la mortalité des jeunes soldats et de celle des hommes anglais du même groupe d’âge.
Ces études montrent que, tant en Angleterre que sur le front, la mortalité des soldats pour cause de maladies est beaucoup plus élevée que dans la population. Nightingale diffuse ses résultats accompagnés de graphiques (voir reproduction ci-dessous). Cette diffusion provoque en Angleterre un important mouvement d’opinion qui force l’État-major à réformer le système de santé de l’armée.
Les graphiques de Playfair s’adressaient aux économistes et, à cet égard, ont eu une influence limitée. Ceux de Nightingale s’adressaient à la population en général et ont eu une influence plus grande. Grâce à Nightingale on a compris que pour apporter des modifications aux politiques, façons de faire et modes de vie, il fallait développer un langage visuel propre à la statistique.
Florence Nightingale
Florence Nightingale est née le 12 mai 1820 à Florence et est morte le 13 août 1910 à Londres. Elle est éduquée par ses parents qui lui apprennent le français, le latin, le grec, l’allemand, l’italien, ainsi que l’histoire et la philosophie.
En juin 1839, durant le séjour à la maison familiale d’un cousin qui étudie en mathématiques à Oxford, elle commence à s’intéresser à cette discipline. Ses parents désapprouvent cet intérêt pour les mathématiques et souhaitent la voir prendre un mari. Cependant, grâce à l’influence d’une de ses tantes, elle obtient qu’on lui donne un précepteur pour lui permettre de poursuivre son apprentissage de cette discipline.
Insatisfaite de l’avenir qu’on lui réserve, elle annonce à ses parents son désir de se consacrer au métier d’infirmière. Ceux-ci sont fortement opposés à ce projet. Dans la « bonne société » anglaise de l’époque, les malades des classes aisées sont soignés chez eux; les hôpitaux sont pour les pauvres.
Elle réitère sa demande à diverses reprises, recevant toujours la même réponse. Elle lit des ouvrages sur les hôpitaux et les questions de santé publique. Dans les années 1840, elle entreprend divers voyages avec un couple d’amis de la famille. Elle en profite pour visiter des hôpitaux; l’un de ceux-ci, à Düsseldorf en Prusse l’impressionne, par la qualité des soins qui y sont dispensés.
À son retour de ce voyage, déçue de ne pouvoir réaliser son rêve, elle sombre dans une profonde dépression et, craignant pour sa vie, ses parents l’autorisent enfin, en 1851, à suivre une formation de trois mois à l’hôpital qu’elle a visité à Düsseldorf. Elle y apprend la profession et acquiert la conviction qu’elle a trouvé sa voie. En 1852, ses parents l’autorisent enfin à se consacrer à la profession d’infirmière. Elle fait alors des stages hospitaliers à Paris, puis accepte un poste de surintendante à l’Institut pour les soins aux dames malades. Ce poste n’est pas rémunéré, mais son père lui verse une pension qui lui permet de vivre confortablement.
Les contributions de Florence Nightingale ne se limitent pas à la médecine et à la statistique. Pour consacrer sa vie à ces activités, elle a refusé le modèle imposé par la société anglaise et perpétué par sa famille qui souhaitait qu’elle marie un homme de la haute société. Ce refus fait d’elle une figure importante du féminisme anglais.
Conclusion
Les travaux de Playfair et de Nightingale marquent le début du développement du langage visuel de la statistique (dataviz). Ce langage fait maintenant partie de notre culture. Il a permis de prendre conscience de plusieurs inégalité sociales et de chercher des solutions.
Il permet également, dans certains cas, de mettre en évidence les contradictions des Québécois. Le diagramme suivant représente l’Inventaire québécois des émissions de gaz à effet de serre. On y voit que les transports occupent le premier rang parmi les facteurs qui contribuent à l’effet de serre. On s’attend donc à ce que les Québécois réduisent leur consommation d’essence, mais dans le diagramme suivant, on constate que le nombre de véhicules en circulation sur les routes du Québec de 2012 à 2018 montre une légère diminution du nombre d’automobiles et une forte augmentation du nombre de camions légers.
Les diagrammes permettent également de mettre en évidence l’importance de certaines catastrophes. Dans le diagramme suivant, on constate que de 2017 à 2019 le comportement saisonnier du nombre de passagers à l’aéroport Montréal-Trudeau. Pour l’année 2020, on aurait dû s’attendre au comportement illustré par la ligne pointillée, mais la pandémie a eu un impact majeur.
Ces quelques exemples mettent en lumière l’importance du langage visuel de la statistique, sans lequel il serait plus difficile d’appréhender le sens des données.
Pour en s\(\alpha\)voirplus !
- Les statistiques de l’aéroport Montréal-Trudeau
https://www.admtl.com/sites/default/files/2021/ADM_Statsdet_2021_FR.pdf - Notes historiques plus détaillées
Florence Nightingale, https://www.prodafor.com/copie-de-notes-historiques-m
William Playfair, https://www.prodafor.com/copie-de-notes-historiques-n-o
Joseph Priestley, https://www.prodafor.com/copie-de-notes-historiques-n-o
- La théorie du phlogistique est une théorie chimique qui expliquait la combustion en postulant l’existence d’un fluide nommé phlogistique, composé d’éléments appelés phlogistons, et présent au sein des corps combustibles. Lors de la combustion, les éléments perdaient des phlogistons. Plusieurs expériences ont mis en doute cette théorie. Par exemple, certains métaux, comme le magnésium, gagnaient de la masse en brûlant et ne pouvaient donc perdre des phlogistons. Cette théorie a été réfutée par la découverte du rôle de l’oxygène de l’air dans le processus de combustion, mis en évidence par Lavoisier au XVIIIe siècle. ↩