
Avant la Révolution française, plusieurs systèmes de mesures étaient utilisés sur le territoire de la France, le seigneur ayant le pouvoir de statuer sur le système et les étalons à utiliser. Le premier étalon à fixer était celui de l’unité de longueur. La tâche fut confiée à Jean-Baptiste Delambre et Pierre François Méchain.
Avant le XVIIIe siècle, il n’existait aucun système de mesures unifié. Les unités de mesure différaient souvent d’un pays à l’autre, et même d’une région à l’autre à l’intérieur d’un pays. C’est en France que la diversité était la plus grande. Dans le système féodal, le seigneur avait le pouvoir de définir les unités de mesure en usage dans son domaine, ce qui a amené l’élaboration de plusieurs systèmes distincts. Le fractionnement graduel du pouvoir entre les seigneurs, les villes et les villages a accentué le problème. Plusieurs appellations venaient de la morphologie humaine: le doigt, le pied, la coudée, le pas, la brasse et la toise (longueur entre les extrémités des deux bras étendus); cependant, des mesures de même appellation représentaient souvent des grandeurs différentes d’une région à l’autre. On utilisait des mesures très peu précises comme le « journal » représentant l’étendue de terre travaillée en une journée par un paysan, le « galopin », la quantité de vin que l’on peut boire pendant un repas et le « picotin », soit la ration quotidienne d’avoine d’un cheval. Les unités de mesure étaient très variables. Ainsi, une lieue était à l’origine la distance que pouvait parcourir un homme ou un cheval en une heure, elle valait 3,248 km jusqu’en 1674. À partir de 1674, la lieue de Paris valait 3,898 km. En 1737, on définit la lieue des Postes d’une valeur de 4,288 km (les facteurs marchaient plus vite), et la lieue tarifaire pour le transport des grains, qui valait 4,678 km. En favorisant la fraude, la prolifération des mesures sans facteur commun devenait de plus en plus problématique dans les activités commerciales, administratives et industrielles.
À l’époque de la révolution française, les unités de mesure étaient depuis longtemps un sujet de plaintes. Les représentants politiques et les scientifiques ont alors unis leurs efforts pour mettre au point un système de mesures se rapportant à un étalon universel qui pourrait, selon le rêve du marquis de Condorcet, être adopté par tous les pays. Le 16 février 1791, une commission fut formée pour éliminer l’arbitraire des unités de mesure seigneuriales et s’assurer de l’universalité de l’étalon. La commission choisit de déterminer l’étalon à partir d’une fraction de la longueur du quart du méridien terrestre.
Jean-Baptiste Joseph Delambre (1749-1822)
Jean-Baptiste Joseph Delambre naquit à Amiens le 19 septembre 1749. À partir de 1774, il réside à Paris, où il suit les cours de l’astronome Lalande (Jérôme, 1732- 1807). Il installe un observatoire dans les combles de son hôtel et publie des tables d’Uranus, découverte par Herschel en 1781, ainsi que plusieurs Mémoires. En 1792, il est élu membre associé de l’Académie des sciences mathématiques dont il devient secrétaire perpétuel en 1803. Sa tâche dans le calcul de la Méridienne consistait à mesurer la section de Dunkerque à Rodez. Cette activité fut interrompue à plusieurs reprises par le zèle des comités révolutionnaires et l’absence de toute autorité scientifique entre 1793 et 1795. Soupçonné de faire des signaux à d’éventuels conspirateurs, on déclara lors de son arrestation: « Il n’y a plus de Cadémie, on est tous égal ».
La tâche de mesurer le quart d’un méridien fut confiée à deux savants: Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain. Ceux-ci décidèrent d’utiliser la règle bimétallique de Borda (Jean Charles de, 1733-1799), formée de deux tiges, l’une en laiton et l’autre en platine afin de calculer la variation de la longueur de la règle due à la dilatation lors des changements de température. Les graduations sont celles de la toise et les règles ont 12 pieds (environ 4m). Delambre et Méchain ne mesurèrent qu’un arc relativement long du quart d’un méridien. Puis, ils calculèrent, par proportionnalité, la longueur de tout le quart de façon précise. L’arc qu’ils mesurèrent, appelé la Méridienne, s’étend sur plus de 700 km, de Dunkerque en France à Barcelone en Espagne. Mais il fallait compter avec le relief.
Pierre François André Méchain (1744-1804)
Pierre François André Méchain est né à Laon le 16 août 1744. Il succède à l’astronome Lalande, qui l’avait aidé au début de sa carrière d’astronome. Il démontre le caractère planétaire de l’astre découvert par Herschel en 1781, et nommé plus tard Uranus. En 1782, il entre à l’Académie des sciences, qui lui confie la mission géodésique de la mesure de la Méridienne de Rodez à Barcelone.
Ses dernières années furent assombries par le fait qu’il ne réussit pas à « fermer » exactement sa triangulation: il y avait un écart de 3″ entre les latitudes géodésiques calculées pour un même point de Barcelone. Jugeant sa crédibilité remise en question, Méchain refait vainement ses calculs; il refuse de communiquer ses dossiers, sombre dans l’angoisse et repart en Espagne, le 26 avril 1803, pour reprendre ses mesures, mais il succombe à la fièvre jaune et à l’épuisement, le 20 septembre 1804, au nord de Valence. L’écart de 3″ était dû au cumul de petits effets: déviations locales des verticales, erreurs instrumentales, réfraction imprécise des étoiles basses. Méchain n’avait commis aucune erreur.
Les astronomes ne purent mesurer directement l’arc de méridien à cause du relief et de la rotondité de la Terre. Ils durent procéder par triangulation, une méthode qui consiste à construire un enchevêtrement de triangles (115 au total) recouvrant la Méridienne et ayant deux à deux un côté commun. L’illustration d’une portion de la ligne (voir ci-contre) donne une idée de l’ampleur de la tâche. C’est le 7 avril 1795 que le système métrique décimal fut institué. En prenant le mètre comme unité de base, on définit les autres unités: le mètre carré, le mètre cube, le litre (1 L = 1 000 cm3) et le kilogramme (masse d’un décimètre cube d’eau distillée à 4°C). Ce système était révolutionnaire non seulement parce qu’il éliminait le chaos, mais également parce que ses multiples et sous-multiples s’obtiennent en multipliant ou en divisant par 10. Pour convertir des pieds en pouces, il faut multiplier par 12 et la conversion inverse nécessite une division par 12. Pour convertir des verges en pouces, il faut multiplier par 36 et, pour convertir des pieds carrés en pouces carrés, il faut multiplier par 144, et ainsi de suite. Dans le système métrique décimal, pour exprimer une mesure de longueur en un multiple ou en un sous-multiple, on déplace simplement la virgule décimale d’une position; pour exprimer une mesure d’aire en un multiple ou en un sous-multiple, on déplace la virgule décimale de deux positions; pour exprimer une mesure de volume en un multiple ou en un sous-multiple, on déplace la virgule décimale de trois positions.
En 1875, fut créé le Bureau international des poids et mesures, qui prit le relais de la France dans la conservation des étalons et la production de copies des étalons pour répondre aux besoins des pays de plus en plus nombreux à adhérer à ce système. La précision de la définition du mètre étalon a une incidence sur la précision des mesures effectuées avec cet étalon.
Pour répondre aux exigences des sciences et des techniques, la définition des unités de mesure a depuis été modifiée pour apporter plus de précision. Le 14 août 1960, le mètre fut redéfini comme étant égal à 1 650 763,73 fois la longueur d’onde, dans le vide, d’une radiation orangée d’un atome de krypton 86. En 1983, dans la foulée des recherches sur la vitesse de la lumière et des horloges atomiques, le mètre fut défini comme la longueur du trajet parcouru par la lumière dans le vide pendant 1/299792458 de seconde. En 2018-2019, la seconde a été redéfinie en fixant la valeur du nombre de périodes de la radiation correspondant à la transition entre les deux niveaux hyperfins de l’état fondamental de l’atome de césium 133 à la température du zéro absolu à exactement 9 192 631 770 quand elle est exprimée en s−1. Le mètre a été redéfini en fixant la valeur de la vitesse de la lumière dans le vide à exactement 299 792 458 quand elle est exprimée en m⋅s–1.
La définition en fonction de la mesure du méridien permettait d’établir la longueur du mètre avec une précision de 10–4, la définition en fonction de la vitesse de la lumière donne une précision de 10–11. Ces définitions respectent l’objectif visé par les fondateurs du système métrique, soit un mètre étalon invariable, reproductible partout et ne possédant aucune caractéristique le rattachant à un pays en particulier.