Théologien, physicien, astronome et mathématicien écossais, John Napier est né en 1550 à Merchiston, près d’Édimbourg. Il est mort au même endroit en 1617. Issu d’une riche famille, il est, comme son père, baron de Merchiston. On sait qu’il est entré à l’université de St-Andrews à l’âge de 13 ans, mais il n’a pas reçu de diplôme de cette institution. On pense qu’il est allé poursuivre sa forma- tion sur le continent européen, peut-être à Paris ou en Italie.
John Napier (1550-1617)
John Napier a d’abord étudié en théologie avant d’acquérir une formation en mathématiques. Pour alléger les procédures de calcul des produits, quotients, racines et puissances, il a inventé les logarithmes et a conçu les réglettes ou batônnets de Napier.
Aujourd’hui, Napier est surtout reconnu pour avoir inventé les logarithmes mais, pour ses contemporains, Napier est un théologien protestant qui craint les agissements de Philippe, roi catholique d’Espagne. Il soupçonne celui-ci de conspirer avec le pape pour envahir l’Écosse et conquérir ensuite la Grande-Bretagne toute entière. Napier met en garde le roi Jacques VI d’Écosse contre toute collusion avec l’ennemi.
En 1593, Napier rédige A Plaine Discovery of the Whole Revelation of Saint John1 dans lequel il fait une analyse du Livre de la Révélation en condamnant vivement l’Église de Rome et faisant même du pape l’antéchrist de l’Apocalypse. Cet ouvrage lui vaut une certaine réputation jusque sur le continent auprès des protestants.
Bien que les mathématiques ne soient pas son activité principale, il a établi quelques formules de trigonométrie sphérique (analogies de Napier) et popularisé l’usage du point pour la notation anglo-saxonne des nombres décimaux.
L’avènement des logarithmes
Napier était préoccupé par le fait que le progrès scientifique était difficile à cause des calculs fastidieux que suppose toute recherche scientifique et plus particulièrement les calculs en trigonométrie sphérique, indispensables en astronomie. Il a consacré ses énergies au développement de méthodes permettant de simplifier les calculs.
C’est en 1614 que Napier fit paraître son traité Mirifici Logarithmorum canonis descriptio (Description de la merveilleuse règle des logarithmes2) qui décrit son système de logarithmes. Il y indique que deux considérations l’ont amené à l’invention des logarithmes. La relation entre une progression arithmétique et une progression géométrique3 est la première de ces considérations.
La deuxième considération est celle des points mouvants. Il considère un segment de droite AB de longueur \(10^7\) et une demi-droite HF de longueur infinie. Un point C et un point E partent simultanément de A et H respectivement. La vitesse initiale de C est \(10^7\), mais elle diminue progressivement pour être en tout temps égale à la longueur CB. La vitesse du point E est constante et égale à \(10^7\).
La démarche de la construction des tables de logarithmes4 tel qu’imaginés par Napier est décrite dans l’ouvrage Mirifici logarithmorum canonis constructio, publiée à titre posthume en 1619.
La découverte des logarithmes a, comme le souhaitait Napier, grandement allégé le temps à consacrer aux calculs.
Trigonométrie sphérique
La trigonométrie sphérique est l’étude des relations entre les angles et les côtés dans un triangle sphérique. Un triangle sphérique est une portion de la surface d’une sphère limitée par les arcs de trois de ses grands cercles, c’est-à-dire des cercles ayant le même centre que la sphère. Les côtés du triangle sphérique sont donc des portions d’arcs de grands cercles. Il est à noter qu’un triangle sur une sphère n’est pas toujours sphérique, si au moins un de ses côtés n’est pas une portion d’un arc de grand cercle, il est dit triangle curviligne.
Dans la figure du bas, A, B et C, points d’intersection de trois grands cercles, sont les sommets d’un triangle sphérique. On note \(\alpha\), \(\beta\) et \(\gamma\), les angles du triangle aux sommets A, B et C, respectivement. On note a, b et c les angles sous-tendus au centre O de la sphère par la partie de grand cercle correspondante. Ainsi, a désigne l’angle BOC, b désigne l’angle AOC et c, l’angle AOB. Les longueurs des côtés sont obtenues en multipliant les mesures en radians des angles a, b et c par le rayon de la sphère.
Les relations en trigonométrie sphérique sont analogues à celles de la trigonométrie euclidienne. Ainsi, en trigonométrie euclidienne, la relation des sinus s’écrit :
\[\frac{a}{\sin \alpha} = \frac {b}{\sin \beta} = \frac {c}{\sin \gamma}. \]
et en trigonométrie sphérique elle s’écrit :
\[\frac{\sin a}{\sin \alpha} = \frac {\sin b}{\sin \beta} = \frac {\sin c}{\sin \gamma}. \]
Dans son De Varorium publié en 1593, François Viète donne l’importante loi des cosinus :
\[\cos c = \cos a \cos b + \sin a \sin b \cos \gamma\]
qui relie la longueur d’un côté à celles des deux autres côtés ainsi qu’à l’angle entre eux.
Les analogies de Napier, expressions plus élaborées, s’écrivent :
\[\tan \frac{c}{2} \cos \frac{\alpha-\beta}{2} = \tan \frac{a+b}{2} \cos \frac{\alpha + \beta}{2}, \\ \tan \frac{c}{2} \sin \frac{\alpha-\beta}{2} = \tan \frac{a-b}{2} \sin \frac{\alpha + \beta}{2},\\ \cot \frac{\gamma}{2} \cos \frac{a-b}{2} = \tan \frac{\alpha+\beta}{2} \cos \frac{a + b}{2},\\ \cot \frac{\gamma}{2} \sin \frac{a-b}{2} = \tan \frac{\alpha-\beta}{2} \sin \frac{a + b}{2}.\]
Bâtons de Napier
En 1617, Napier publie Rabdologiae seu numerationis per virgulas libri duo (Deux livres sur la rhabdologie5 et sur la numération avec virgules). Il y présente un abaque, appelé maintenant bâtons ou réglettes de Napier, pour faciliter le calcul des produits, quotients, puissances et racines.
Les réglettes sont divisées en neuf cases. La case supérieure porte un chiffre de 0 à 9. Les huit autres cases sont divisées en deux par un trait diagonal. Sur chaque réglette est portée la table de multiplication du nombre qui apparaît sur la case supérieure.
L’abaque comporte un plateau à rebord sur lequel peuvent être placées les réglettes gravées. Le bord gauche du plateau est gravé lui aussi et divisé en neuf cases numérotées de 1 à 9.
On dispose sur le plateau les réglettes représentant l’opération à effectuer de telle sorte que celle-ci se ramène à de simples additions.
Considérons les réglettes 4 et 7, illustrées ci-contre et disposons celles-ci dans le plateau. Effectuons la somme de chacune des diagonales apparaissant sur la ligne 3, La première diagonale à droite ne comporte que le chiffre 1. La deuxième diagonale donne 2 + 2 = 4. Dans la troisième, on a encore un seul chiffre,1. Les trois chiffres obtenus forment le nombre 141, soit 3 × 47.
Sur la ligne 7, la première diagonale ne comporte que le chiffre 9, la seconde comporte les chiffres 8 et 4 dont la somme est 12. On conserve 2 en deuxième position et on reporte une unité dans la diagonale suivante qui donne 2+1=3. On obtient 329, soit 7 × 47. Si on considère la ligne 8, la première diagonale à droite donne 6. La somme des chiffres de la deuxième diagonale donne 7 et la troisième 3, soit 376 = 8 × 47.
Pour obtenir le résultat du produit 378 × 47, on écrit le résultat du produit par le nombre d’unités du multiplicateur, 8, et on décale vers la gauche d’une colonne pour le résultat du produit par le chiffre des dizaines, 7, puis par le chiffre des centaines, 3. En additionnant ces nombres, on obtient 17 766 soit le produit 378 × 47.
Pour effectuer le produit
7 035 × 384,
on dispose dans l’ordre les réglettes 7, 0, 3 et 5 et on détermine les chiffres des produits par 3, par 4 et par 8 en additionnant les chiffres des diagonales à partir de la colonne de droite.
Il reste à disposer les nombres obtenus en plaçant d’abord le résultat du produit par le nombre des unités et on décale vers la gauche d’une colonne pour le résultat du produit par le chiffre des dizaines, puis par le chiffre des centaines. Il ne reste qu’à effectuer la somme.
On obtient 7035 × 384 = 2 701 440.
Et la jalousie?
Conceptuellement, l’utilisation des réglettes de Napier pour effectuer une multiplication se compare à la multiplication par jalousie (voir à ce propos l’article Émergence logarithmique tables et calculs dans ce numéro).
La multiplication de 934 par 314 à l’aide des réglettes donne :
La ligne 4 représente le produit 934 par le chiffre des unités. La ligne 1 représente le résultat de la multiplication par le chiffre des dizaines – on décale donc ce nombre d’une colonne vers la gauche. La ligne 3 représentant le résultat de la multiplication par le chiffre des centaines, on décale ce nombre de deux colonnes vers la gauche. Il reste à additionner pour obtenir le résultat de la multiplication, soit 293 276.
Dans la multiplication par jalousie, on écrit seulement les lignes des chiffres du multiplicateur 314. Soit dans l’ordre les lignes 3, 1 et 4 des réglettes 9, 3 et 4. Ce qui donne :
On additionne ensuite en suivant les diagonales à partir de celle du bas à droite. Lorsque la somme des chiffres d’une diagonale est supérieure à 9, on reporte la retenue dans la somme de la diagonale suivante. On obtient :
On remarque que ces deux façons de procéder utilisent la propriété de distributivité de la multiplication sur l’addition, soit :
934 × 314 = 934 × (300 + 10 + 4)
= 934 × 300 + 934 × 10 + 934 × 4.
Division
Pour diviser 1342 par 47, on dispose dans l’ordre les réglettes du diviseur et on peut lire directement les produits
du diviseur par les chiffres de 1 à 9.
Le diviseur est plus grand que la tranche des deux premiers chiffres du dividende, on considère la tranche des trois premiers chiffres, soit 134. Les réglettes permettent de lire que 2×47=94 est le plus grand multiple de 47 inférieur à 134. Le premier chiffre du quotient est 2 et on soustrait 94 de la tranche des trois premiers chiffres, ce qui donne 40. On abaisse le chiffre restant et on obtient 402. Le plus grand multiple de 47 inférieur à 402 est 376, soit 8 × 47. Le deuxième chiffre du quotient est 8 et on soustrait 376 de 402. On obtient un reste de 26.
On pourrait aussi poursuivre le calcul afin d’exprimer le reste sous forme décimale. On vérifierait ainsi qu’à trois décimales près, le quotient est 28,253.
Ces exemples illustrent comment utiliser les réglettes dans des cas simples. Cependant, elles permettaient d’alléger les calculs sur des nombres beaucoup plus grands que ceux de ces exemples. Elles permettaient également d’extraire des racines; nous y reviendrons dans un prochain numéro.
- Le Livre de la Révélation, également appelé Apocalypse de Jean est le dernier livre du Nouveau Testament. Il dévoilerait des choses qui avaient été cachées et la prédiction d’évènements dont plusieurs ne se sont pas encore produits. ↩
- L’ouvrage est rédigé en latin, langue des sciences de l’époque. Étant donné l’importance de cet ouvrage, il fut rapidement traduit en anglais pour une diffusion plus large. ↩
- Cette relation avait été étudiée par Michaël Stifel (1486-1567), mais celui-ci n’avait pas eu l’idée de calculer des correspondances suffisamment denses pour pouvoir utiliser efficacement cette relation. ↩
- Voir dans ce numéro Émergence logarithmique : tables et calculs. ↩
- Du grec \(\rho \alpha \beta \delta \omicron \sigma\) (baguette) et \(\lambda \omicron \gamma \omicron \sigma\) (science). Dans cet ouvrage, il explique comment utiliser des bâtonnets pour effectuer des calculs; il présente aussi la notation décimale actuelle des nombres décimaux, au lieu de la notation fractionnaire, soit 2,8 au lieu de 2 4/5. ↩