La solution
Monsieur A. propose à Monsieur B. le marché suivant : ils vont comparer les longueurs de leurs cravates et celui qui aura la plus longue cravate la donnera à l’autre qui se retrouvera donc avec deux cravates. Monsieur B. raisonne ainsi : « Ma cravate a pour longueur \(L.\) Si ma cravate est la plus longue, ce qui a une chance sur deux de se produire, je la perds donc je perds une cravate de longueur \(L.\)
Sinon je gagne la cravate de Monsieur A. dont la longueur est \(L’\) avec \(L’ > L.\) Donc : une fois sur deux je perds \(L\) et une fois sur deux je gagne plus que \(L.\) En moyenne, je suis gagnant, comme si une fois sur deux je perdais un euro et qu’une fois sur deux je gagnais deux euros. J’accepte donc l’offre ».
Pourtant le jeu est parfaitement symétrique et donc A. peut raisonner de la même façon et conclure que le jeu lui est favorable. Ce n’est pas possible : un jeu ne peut pas être favorable aux deux joueurs car ce que l’un gagne, l’autre le perd. Comment sortir de cette contradiction?
Plusieurs analyses de ce paradoxe ont été proposées dont la plus simple est la suivante : B. se trompe quand il dit qu’il y a une chance sur deux que la cravate de A. soit plus longue que la sienne.
Si, une fois le pari accepté, sa cravate était choisie au hasard ainsi que celle de A., il serait possible de dire qu’il y a une chance sur deux que la cravate de A. soit plus longue, mais au moment du pari, la longueur de la cravate de B. est déjà fixée et connue de lui, et c’est cette longueur comparée à la répartition des longueurs des cravates en circulation qui permet, selon les cas, de conclure qu’il faut accepter ou pas la proposition. Imaginons par exemple que la longueur de la cravate de B. soit 1 m et que, parmi toutes les cravates vendues, il y en ait 55% de plus de 1 m et 45% de moins de 1 m, alors il est clair que B. doit accepter. Le principe d’indifférence (considérer qu’en l’absence de données précises, les probabilités entre les différents cas sont égales) conduit fréquemment à des erreurs ou à des contradictions et donc il faut s’en méfier. Le paradoxe de la cravate est un de ces cas, en voici un autre, plus simple.
En choisissant une lettre de l’alphabet au hasard, quelle est la probabilité Pr de tomber sur un A?
Réponse 1 : il y a 26 lettres, donc Pr = 1/26 (application du principe d’indifférence aux 26 possibilités A, B, … Z).
Réponse 2 : il y a une chance sur 2 que la lettre soit une voyelle (application du principe d’indifférence entre les deux possibilités voyelle/consonne) et il y a une chance sur 6 pour qu’une voyelle soit un A, car il y a 6 voyelles A, E, I, O, U et Y (principe d’indifférence entre les 6 voyelles), donc en combinant les deux, cela fait une chance sur 12 : Pr = 1/12.
Réponse 3 : Pr = 1/13 car, dans les lettres d’un texte en français, il y a à peu près un A toutes les 13 lettres (principe d’indifférence appliqué aux lettres rencontrées dans des textes en français). En réalité, en l’absence de précision, il est impossible de trancher entre les diverses applications du principe d’indifférence qui conduisent à des résultats contradictoires. Comme dans le cas des cravates, trop peu d’informations sont disponibles pour qu’on puisse raisonner en termes probabilistes.