Les phénomènes optiques fascinaient déjà les philosophes de l’Antiquité. Leur étude est le domaine le plus ancien des sciences physiques. Certains chercheurs en ont fait leur tasse de thé.
Lorsque la lumière du Soleil se réfléchit sur le bord d’une tasse de thé, elle forme à la surface du liquide une courbe.
Quelle est cette courbe et pourquoi en est-il ainsi ?
On sait que les rayons lumineux sont réfléchis de telle sorte que l’angle de réflexion est égal à l’angle d’incidence formé avec la normale à la courbe. Dans le cas d’une surface incurvée, la normale à la courbe en un point est perpendiculaire à la tangente à la courbe en ce point.
La tasse agit comme un miroir cylindrique. Les rayons incidents provenant du Soleil sont parallèles mais, après réflexion, ils ne le sont plus. Ils continuent cependant leur cheminement en ligne droite et dessinent une courbe. En fait, la courbe que l’on perçoit est définie par l’ensemble de ses tangentes.
Une courbe formée par la réflexion des rayons lumineux sur une surface ou par la réfraction des rayons lumineux traversant un milieu transparent est appelée caustique qui vient du latin « causticus » et du grec « kaustikos » qui signifie « qui brûle ». Cette appellation vient du physicien allemand Ehrenfried Walther von Tschirnhausen (1651-1708) dont les recherches ont porté sur l’optique géométrique et la fabrication de lentilles et de miroirs pour l’astronomie.
Lorsque les rayons lumineux sont issus d’une source à une distance infinie, les rayons lumineux sont parallèles, on a une caustique au Soleil. La caustique au Soleil de la tasse de thé ou d’un miroir cylindrique est une néphroïde1. En fait, sous sa forme mathématique la caustique au Soleil est complétée par symétrie, on ne voit donc que la moitié de la néphroïde dans une vraie tasse de thé.
Néphroïde et tasse de thé
Pourquoi les rayons de soleil, une fois réfléchis sur la surface cylindrique, délimitent-ils la courbe décrite par la trajectoire d’un point fixe sur la circonférence d’un cercle de rayon $r$ qui roule sans glisser à l’extérieur de la circonférence d’un cercle de rayon $2r$? Pour le voir, commençons par analyser cette courbe.
Dans la figure de gauche, on a la situation de départ. Les deux cercles se touchent en un point, que l’on marque sur les deux cercles : $M$ sur le petit cercle de centre $P$, et $A$ sur le grand cercle de centre $O$. Dans la figure de droite, le premier cercle a roulé sans glisser le long du grand cercle et les deux cercles se touchent maintenant en un point $C$. On considère la courbe tracée par le point $M$ : on dira plutôt la courbe décrite par $M$.
Comme le cercle a roulé sans glisser, les arcs $AC$ et $CM$ sont de la même longueur. Et comme le rayon du petit cercle est la moitié de celui du grand cercle, l’angle $AOC$ est la moitié de l’angle $CPM$ : en effet, la longueur d’un arc de cercle est égale à la mesure de l’angle au centre (en radians) multipliée par le rayon du cercle.
Considérons maintenant un rayon de soleil, parallèle à $AO$, et qui vient frapper la tasse (le cercle rouge) au point E. On veut montrer que ce rayon, une fois réfléchi, passe par $M$ et qu’il est tangent à la courbe décrite par $M$.
Soit $a = m(\angle AOC)$, la mesure de l’angle $AOC$ : alors $m(\angle SEP)= a$ puisque $SE$ est parallèle à $AO$. Aussi puisque $m(\angle CPM)= 2a$ alors $m(\angle CEM)= a$ car un angle inscrit vaut la moitié de l’angle au centre. Le rayon de soleil est bien réfléchi en direction de $M$ puisque l’angle d’incidence est ainsi égal à l’angle de réflexion.
Il nous reste à voir pourquoi $EM$ est bien tangent à la courbe décrite par $M$. Le prouver est un peu plus délicat mais on s’en convainc facilement : en effet, $\angle CME$ est un angle droit car $CE$ est un diamètre, et le mouvement de $M$ à ce moment est perpendiculaire à $CM$ car $CM$ agit comme un levier autour duquel tourne le point $M$.
Le défi est de déterminer l’équation de la caustique d’une courbe algébrique. Quelles sont les caractéristiques géométriques de la courbe ? Peut-on l’engendrer autrement ?
La trajectoire d’un point fixe sur la circonférence d’un cercle de rayon r qui roule sans glisser à l’extérieur de la circonférence d’un cercle de rayon $2r$ est une néphroïde. C’est la caractéristique étudiée par Christiaan Huygens (1629-1695), dans son traité d’optique intitulé Traité de la Lumière, qu’il a d’ailleurs démontré. Ce résultat, prouvé de nos jours en géométrie différentielle, peut cependant être démontré simplement.
L’équation paramétrique de la néphroïde est : $$x(\theta )=r[3\cos \theta −\cos (3\theta )]$$ $$y(\theta )=r[3 \sin \theta −\sin (3\theta )]$$
Les courbes engendrées par un point sur un cercle qui roule sans glisser à l’extérieur d’un autre cercle sont appelées des épicycloïdes. La néphroïde est une épicycloïde à deux points de rebroussement.
Caustique au flambeau
Une caustique au flambeau est une caustique obtenue par des rayons lumineux issus d’une source à une distance finie. Quételet les dési- gnait par l’appellation caustique secondaire. La caustique au flambeau de la tasse de thé dont la source lumineuse est un point de la circonférence de la tasse est une cardioïde.
On classe la cardioïde parmi les épicycloïdes puisque cette courbe est également la trajectoire d’un point fixe sur la circonférence d’un cercle de rayon $r$ qui roule sans glisser à l’extérieur de la circonférence d’un cercle de même rayon $r$. C’est une épycycloïde à un point de
rebroussement.
De la même manière que cela a été fait pour la néphroïde, on peut montrer que la caustique obtenue est bien la cardioïde selon cette dernière définition.
L’équation paramétrique de la cardioïde est : $$x(\theta)=r[2\cos \theta −\cos (2 \theta)]$$ $$y(θ)=r[2\sin \theta −\sin (2\theta)]$$
Épicycle et épicycloïde
La notion d’épicycle remonte à l’Antiquité. Les astronomes grecs Hipparque (~190 à ~120) et Ptolémée (environ 90 à 168) avaient déjà utilisé la trajectoire d’un point sur un cercle en rotation pour tenter de décrire le mouvement des planètes qui semblaient parfois ralentir, s’arrêter et repartir en sens inverse.
Pour tenter d’expliquer ce comportement, Hipparque a développé les notions d’épicycle et de déférent. L’épicycle est un cercle en rotation à une vitesse constante dont le centre se déplace à vitesse constante sur la circonférence d’un autre cercle appelé déférent. La trajectoire de la planète est expliquée par la trajectoire d’un point sur la circonférence de l’épicycle.
L’appellation épicycloïde est due à l’astronome danois Ole Christensen Rømer (1644–1710), qui a travaillé à l’Observatoire de Paris à partir de 1671. Rømer a effectué des travaux sur les profils des dents d’engrenages. Il cherchait à minimiser l’aire des surfaces de contact, de façon à minimiser la friction entre les dents. Dans ces recherches, il a découvert, en 1674, une courbe qu’il a appelé épicycloïde et il a démontré qu’en dessinant les dents d’un engrenage avec des segments courbes d’épicycloïde, deux roues d’engrenages tournent avec une friction minimale, donc avec moins de perte d’énergie. Ce profilage de dents d’engrenage est utilisé depuis.
Comme astronome, Rømer a étudié les éclipses du satellite Io de Jupiter, il a remarqué que celles-ci se produisaient parfois à l’heure prévue selon les lois de Kepler, parfois 10 minutes en avance et parfois 10 minutes en retard. Il a trouvé l’explication de ce mystère, en considérant les positions respectives de la Terre et de Jupiter par rapport au Soleil. Cette découverte a permis de développer une méthode pour calculer la vitesse de la lumière.
Équation de l’épicycloïde
Une épicycloïde est formée d’arcs isométriques (appelés arches) séparés par des points de rebroussements. On caractérise une épicycloïde par q le rapport simplifié du rayon du cercle de base $R$ sur le cercle roulant $r$. Une fois simplifié, ce rapport s’écrit $q = \frac{a}{b}$. Ainsi, pour une cardioïde, le rapport est 1 puisque les rayons des deux cercles sont égaux et pour une néphroïde, le rapport est 2 puisque $R = 2r$. On peut aussi voir ce rapport de la façon suivante : a représente le nombre de rotations du cercle roulant nécessaires pour ramener le point mobile à sa position de départ (donc le nombre d’arches) alors que $b$ représente le nombre de fois que le cercle roulant fait le tour du cercle de base pour revenir au point de départ. Pour que le cercle de base revienne à sa position de départ, q doit être un nombre rationnel. L’angle entre deux points de rebroussements est $\theta = \frac{2 \pi }{q}.
La description paramétrique d’une épicycloïde est : $$x(\theta) = r[(q+1) \cos \theta – \cos ( q + 1) \theta)]$$ $$y(\theta) = r[(q + 1) \sin \theta – \sin (q + 1) \theta) ]$$
Caustiques d’une parabole
On sait que les rayons lumineux issus d’une source à l’infini et parallèles à l’axe d’une parabole sont réfléchis au foyer de celle-ci. De même, si la source est au foyer, les rayons émis sont parallèles à l’axe de la parabole. C’est cette propriété qui est utilisée dans les antennes para- boliques, dans les phares d’automobile et les lampes de poche. Dans ce cas, la caustique est un point.
Quelle est la caustique si les rayons lumineux sont perpendiculaires à l’axe d’un miroir parabolique ?
La figure ci-contre illustre le comportement des rayons perpendiculaires à l’axe de la parabole. Les rayons réfléchis définissent une courbe appelée cubique de Tschirnhausen, son équation est :
$$27ay^{2} = x{2}^(9a – x)$$
Une caustique dans le paysage québécois
La caustique de la fonction exponentielle d’équation
$$y = ae^{\frac{x}{a}}$$
est la courbe appelée chaînette. Elle ressemble un peu à une parabole mais ce n’en est pas une. Pour une même longueur, la parabole est plus « pointue » que la chaînette. C’est la forme prise par un fil pesant flexible suspendu entre deux points, comme les câbles d’Hydro-Québec.
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
HILBERT, D. et S. Cohn-Vaussen, Geometry and the Imagination, Chelsea Publishing Co, NY, 1952.
Traduction de l’original Anschauliche geometrie, publié en 1932.
- Le nom néphroïde est tiré du grec néphros qui signifie rein. La courbe ressemble en effet à celle d’un rein. ↩