Pour bien comprendre les informations transmises par les médias, il faut savoir lire entre les lignes, se questionner sur la validité de la logique et des faits rapportés par le ou la journaliste. Si on s’arrête quelques instants et qu’on examine les chiffres rapportés, on découvre souvent que la nouvelle a un double sens qui peut parfois aller à l’encontre même de l’annonce.
Selon les rapports officiels sur le pétrole, tout indique qu’il reste encore suffisamment de pétrole pour répondre à tous nos besoins pour les quarante prochaines années au moins. Ainsi, le niveau officiel des réserves de pétrole a augmenté de plus de 30 pour cent depuis trente ans, suivant de près le niveau de consommation annuelle, ce qui laisse supposer que l’on découvre chaque année un peu plus de pétrole qu’on en consomme.
Quand on y regarde de plus près, pourtant, ces chiffres semblent sortis tout droit d’Alice au pays des merveilles! Examinons, par exemple, l’état des réserves américaines dont on trace, dans la figure ci-contre, l’évolution officielle ainsi que celle de la production annuelle de pétrole depuis 1980.
La graduation verticale pour la courbe des réserves mondiales est donnée à gauche du tableau. La graduation à droite du tableau se réfère à la production annuelle. On voit que le niveau des réserves a baissé de 15 % environ entre 1980 et 1994, et qu’il est stable depuis à environ 3,6 milliards de tonnes (gigatonnes ou Gtep). Durant la même période, la production de pétrole a baissé légèrement, mais systématiquement, pour atteindre, environ 311 millions de tonnes (Mtep) en 2007. La production totale pour une période donnée est l’aire sous la courbe de la production durant cet intervalle de temps. Ainsi, sur une période de onze ans, de 1997 Ã 2007, on a pompé 3,7 milliards de tonnes de pétrole du sous-sol américain sur les 3,7 milliards de tonnes des réserves de 1997! Il reste encore 3,6 milliards de tonnes en réserve.
Comme on le voit, les mathématiques de l’industrie pétrolière détonnent par rapport aux mathématiques conventionnelles….
\begin{gather*}
\text{Mathématiques de l’industrie pétrolière} \\
\overbrace{3{,}7 \mathrm{\;Gtep}}^{\substack{\text{Réserves}, \\ 1997}}-\overbrace{3{,}7 \mathrm{\;Gtep}}^{\substack{\text{Production}, \\ 1997 \; à \; 2007}}=\overbrace{3{,}6 \mathrm{\;Gtep}}^{\substack{\text{Réserves}, \\ 2007}}
\end{gather*}
Avant de s’inquiéter, il faut se demander si ces chiffres s’expliquent. Les Américains ont peut-être fait des découvertes exceptionnelles? Malheureusement non! Aucun grand gisement n’a été trouvé aux États-Unis depuis plusieurs décennies. Il faut donc en conclure que le niveau des réserves officielles américaines est une donnée sans aucune crédibilité.
Et les réserves mondiales?
Est-ce que la situation est meilleure au niveau mondial? De 1995 à 2007, le niveau officiel des réserves est passé de \(140\)Gtep à \(164\)Gtep. Durant cette même période, on a brûlé 36 Gtep. En 12 ans, on aurait trouvé \(x\)Gtep, tel que :
\[140-36+x=164,\]
soit \(x = 60\)Gtep ce qui représente 42,8 % des réserves de 1995! A-t-on découvert de grands gisements récemment? Non, les nouveaux gisements trouvés depuis 12 ans ne représentent qu’au mieux \(9\)Gtep, soit le quart du pétrole consommée. L’amélioration des techniques de pompage depuis dix ans, permet aux pétrolières d’extraire peut-être 15 % plus de pétrole par puits. Il est donc possible de pomper \(21\)Gtep de plus des puits déjà en opération en 1995. Il manque :
\(60-9-21=30\)Gtep,
soit l’équivalent de 8 années de consommation au niveau actuel pour expliquer les chiffres officiels, ce qui est loin d’être banal!
Quelle est la réalité?
Une analyse des plus gros gisements de la planète publiée par l’Agence internationale de l’énergie en 2008 indique que 14 des 16 plus gros gisements, qui fournissent plus du quart du pétrole mondial, sont en déclin et produisent moins de pétrole d’année en année. Pire, ces gisements ne sont pas faciles à remplacer car le reste de la production de pétrole provient de 70 000 gisements, pour la plupart minuscules. Or, des États-Unis à l’Arabie Saoudite, tous les pays producteurs sauf le Mexique et la Colombie ont déclaré une augmentation ou une stabilisation de leurs réserves depuis 10 ans.
Que peut-on conclure de ces chiffres souvent contradictoires? Tout d’abord, qu’il est impossible de s’y fier. On ne sait pas combien de pétrole il reste sur notre planète. Par contre, il est facile de suivre la production. Les chiffres sont effarants : les grands gisements vieillissent à vue d’oeil et produisent de moins en moins chaque année. Cette perte n’est pas pleinement compensée par les nouveaux gisements qui entrent en activité ce qui fait que la production de pétrole va commencer à chuter d’ici quelques années, tout au plus, faisant bondir les prix et déstabilisant l’économie mondiale, qui ne peut pas croître dans un contexte de prix de l’énergie élevés.
Pour que l’économie puisse continuer à croître, il faudrait à la fois compenser le déclin de la production de pétrole et l’augmentation de la demande. Ce ne sera pas facile car le pétrole représente 37 % de l’énergie utilisée dans le monde. Si on veut éviter que les gens ne se tournent vers le charbon ou le gaz naturel, qui représentent les alternatives les plus faciles, il faut dès à présent agir.
Or, pour agir, il faudra encore une fois lire entre les lignes. Car toutes les solutions ne sont pas équivalentes et plusieurs, comme l’utilisation des biocarburants, ne résistent pas à une analyse logique, scientifique et mathématique.
Les mathématiques ne permettront pas d’éviter la crise énergétique qui nous attend. Sans elles, toutefois, il y a de forts risques que nous prenions de mauvaises décisions qui nous coûteront très cher. Il importe donc de rester sceptique face aux analyses et aux chiffres qui nous sont présentés et de toujours refaire les calculs. On s’aperçoit alors que la réalité est souvent bien différente de ce qu’on nous avait présenté.
Pour en s$\alpha$voir plus!
Normand Mousseau, Au bout du pétrole, tout ce que vous devez savoir sur la crise énergétique, éditions MultiMondes, 2008
Normand Mousseau, L’avenir du Québec passe par l’indépendance énergétique, éditions MultiMondes, 2009