Le nombre est le concept mathématique le plus couramment utilisé pour faire des calculs. C’est un merveilleux outil pour représenter des quantités, mais certains osent associer des pouvoirs à des nombres en lien avec la chance, la beauté ou le malheur. D’autres croient que les nombres ont un pouvoir sur le monde, car tout peut être ramené à un nombre. On peut penser au film Le nombre 23, où le protagoniste est obsédé par ce nombre. Dans cet article, on tentera de déconstruire le mythe sur le nombre de la bête : 666.
Dans l’Apocalypse de Jean, chapitre 13, versets 11 à 18, on présente la bête, monstre de la fin du monde, et son nombre.
Puis je vis monter de la terre une autre bête, qui avait deux cornes semblables à celles d’un agneau, et qui parlait comme un dragon. […] Que celui qui a de l’intelligence calcule le nombre de la bête. Car c’est un nombre d’homme, et son nombre est six cent soixante-six1.
Depuis, plusieurs personnes tentent de trouver des signes de la bête en retrouvant ce nombre à des endroits inusités : 666 est la somme des entiers de 1 à 36,
\[1+2+3+ \ldots +36=666\]
et la somme des carrés des sept premiers nombres premiers
\[2^2+3^2+5^2+7^2+11^2+13^2+17^2=666.\]
On n’obtient quand même pas 666 en additionnant les premiers nombres premiers, les premiers nombres carrés, ni les premiers nombres cubiques… 666 n’a pas toutes les propriétés ! Sur le site http://oeis.org2 L’Encyclopédie en ligne des suites de nombres entiers, on peut entrer quelques termes d’une suite et le site retrouve toutes les suites recensées ayant ces termes. Si on entre un seul nombre, on retrouve toutes les suites qui le contiennent. Par exemple, pour 666, on obtient la suite :
\[1,3,6,10,15, …, 666, …\]
dont le \(n^{\text{ième}}\) terme est la somme des \(n\) premiers naturels, et la suite :
\[4, 13, 38, 87, …, 666, …\]
dont le \(n^{\text{ième}}\) terme est la somme des \(n\) premiers carrés de nombres premiers. Sur ce site, le nombre 666 se trouve dans 1777 suites sur un total de 367187 suites recensées, ce qui est quand même beaucoup. Comme point de comparaison, le nombre 661 se retrouve dans 2 283 suites. De 601 à 700, il y a 25 nombres qui se trouvent dans plus de suites que 666. Le nombre 666 n’est donc pas le plus spécial.
Nombres réels
Quittons les entiers pour nous diriger vers les nombres réels. On peut remarquer que la somme des 144 premières décimales de \(\pi\) donne 666, de même que la somme des 139 premières décimales de \(\sqrt{6}\). Cela peut sembler surprenant, mais est-ce le cas ?
Soit un nombre où les décimales sont obtenues au hasard avec la même probabilité pour chaque décimale, alors on peut calculer la probabilité que la somme des premières décimales donne 666 (ou tout autre nombre). Cette probabilité se rapproche beaucoup d’une chance sur cinq (voir l’encadré : Rouler les décimales aux dés). Si on s’intéresse à la somme des décimales des racines carrées, on constate que dans les 5 000 premiers naturels non carrés, il y en a 974 avec lesquels on peut atteindre 666 en faisant la somme des premières décimales \((\sqrt{3}, \sqrt{6}, \sqrt{24}, \sqrt{31}, \ldots, \sqrt{5072})\). On est très près de la probabilité théorique de 1 sur 5. Comme point de comparaison, si on recherche plutôt la somme 661 dans les premières décimales des racines carrées, il y en a 1026 dans les 5000 premiers naturels non carrés, donc davantage que pour 666, mais ça reste très près du 1 sur 5 théorique. De plus, cette propriété est vraie seulement si on représente les nombres en base 10. (Voir l’encadré : Compter dans différentes bases pour des exemples dans d’autres bases).
En conclusion, on ne devrait pas s’inquiéter de la bête, le fait qu’on retrouve le nombre 666 régulièrement est dû au hasard. Il y a une infinité de nombres et pour chacun, on peut découvrir une multitude de propriétés. Il est donc toujours possible de trouver des particularités étranges à n’importe quel nombre : une année de naissance, année en cours, une adresse… Méfiez-vous des théories du complot, il y a beaucoup de coïncidences en mathématiques !
Rouler les décimales aux dés
Quelle est la probabilité que la somme des premières décimales d’un nombre dont les décimales sont aléatoires arrivent à un total N choisi à l’avance ? On peut voir le problème d’une autre manière : on prend un dé à 10 faces (numérotées de 0 à 9) et on le lance tant que la somme des valeurs obtenues est strictement inférieure à N. Ici chaque lancer représente une décimale du nombre aléatoire. Quelle est la probabilité que cette somme arrive exactement à N ?
Soit \(p_i\) la probabilité d’obtenir éventuellement la somme N si présentement la somme est N–i. Calculons \(p_1\), la probabilité d’obtenir éventuellement la somme N si présentement la somme est N–1. Bien que le dé ait dix faces, il n’y a que neuf valeurs qui font augmenter le total. On relancera donc le dé chaque fois que le lancer donne 0, ce qui élimine cette dixième possibilité. Les neuf autres possibilités sont équiprobables : elles ont toutes une chance sur neuf de se produire. On a par conséquent une chance sur neuf (1/9) d’avoir 1 (et d’ainsi obtenir la somme N) et huit chances sur neuf (8/9) d’obtenir un chiffre plus grand que 1 (et d’ainsi ne jamais obtenir la somme désirée).
On a donc :
\[p_1 = \displaystyle \frac{1}{9} \approx 0,1111\]
Calculons maintenant \(p_2\), la probabilité d’obtenir éventuellement N si le total est présentement N – 2. On a une chance sur neuf, lors du prochain lancer différent de 0, d’avoir un 2 qui nous permettra d’obtenir directement la somme N. On a aussi une chance sur neuf d’avoir un 1 et d’ainsi se retrouver à N – 1, correspondant à la situation précédente qui mène à \(p_1=1/9\). On a donc :
\[p_2 = \displaystyle \frac{1}{9} + \frac{1}{9} \left ( \frac{1}{9} \right ) = \frac {10}{81} \approx 0,1235.\]
Continuons sur notre lancée :
\[p_3 = \displaystyle \frac{100}{728} = \frac{10^2}{9^3} \approx 0,1372,\]
\[p_4 = \displaystyle \frac{1000}{6561} = \frac{10^3}{9^4} \approx 0,1524,\]
\[\begin{array}{l l l l} p_5 & \approx & 0,1694, \: p_6 & \approx & 0,1882, \\ p_7 & \approx & 0,2091, \: p_8 & \approx & 0,2323, \\ p_9 & \approx & 0,2581. && \end{array} \]
Pour les prochaines valeurs des \(p_i\), il est impossible d’obtenir directement N puisqu’il faudrait obtenir 10 ou plus lors du prochain lancer, ce qui est impossible avec notre dé. Le prochain lancer non nul aura une valeur entre 1 et 9 qui nous rapprochera du total N et nous mènera à l’une des situations dont nous avons déjà calculé les probabilités. Chacune des valeurs de 1 à 9 étant équiprobable, la valeur de \(p_i\) avant ce lancer est la moyenne des probabilités des 9 situations auxquelles on peut arriver. Il suffit donc de faire la somme de ces probabilités multipliées par 1/9. On obtient ainsi la valeur de \(p_i\). On continue de la même façon pour trouver les \(p_i\) qui suivent. Voici un graphique qui présente les 50 premiers \(p_i\). On voit que ceux-ci se stabilisent autour de 0,2.
Compter dans différentes bases
Habituellement, les nombres sont représentés en base 10 dans notre système de numération par position. Par exemple, 666 représente
\[6 \times 100 + 6 × 10 + 6,\]
ou
\[666 = 6 \times 10^2 + 6 \times 10^1 + 6 \times 10^0.\]
La numération par position signifie que chacun des chiffres 6 a une valeur différente : le premier 6 vaut 600, le deuxième vaut 60 et le troisième vaut 6. Ce n’est pas le cas en chiffres romains : dans 8 = VIII, chacun des I vaut 1. Le fait qu’on utilise 10 chiffres et qu’on fasse des regroupements de 10 est purement arbitraire. Les Mayas utilisaient une numération en base 20. La numération en octal est une numération qui utilise seulement 8 chiffres (de 0 à 7), faisant des regroupements de 8. Par exemple, le nombre 666 s’écrit en octal 1\,232 car
\[1 × 8^3 + 2 × 8^2 + 3 × 8^1 + 2 × 8^0 = 666.\]
On a vu qu’on obtient 666 en additionnant les premières décimales de \(\pi\). Ce résultat est vrai en base 10, mais est-il vrai peu importe la base ? En octal, le premier chiffre après la virgule représente le nombre de huitièmes, le deuxième le nombre de soixante-quatrièmes, etc. Voici \(\pi\) avec 208 chiffres après la virgule en octal.
\(\pi\) =3, 11037 55242 10264 30215 14230 63050 56006 70163 21122 01116 02105 14763 07200 20273 72461 66116 33104 50512 02074 61615 00233 57371 24315 47464 72206 15460 12605 15574 45742 41564 77411 52665 55243 41105 71102 66535 46113 63754 33642 30413 51514 337…
Si on s’intéresse aux 5 premiers chiffres après la virgule, cela signifie que
\[\pi \approx 3+1/8+1/8^2 +0/8^3 +3/8^4+7/8^5 \approx 3,14157.\]
Si on fait la somme des 207 premiers chiffres après la virgule, on obtient 660 et si on ajoute le chiffre suivant qui est un 7, on obtient 667. Il est donc impossible d’obtenir 666 en additionnant les premières décimales de \(\pi\) en base 8. Le nombre \(\pi\) est donc relié à la bête en base 10, mais pas en base 8.
En base 2, il n’y a que deux chiffres : 0 et 1. Avec n’importe quel nombre aléatoire sous forme binaire avec une infinité de décimales non nulles, il est possible d’atteindre 666 en additionnant les premières décimales. Effectivement, comme on n’additionne que des 1 et des 0, on va inévitablement atteindre 666 (ou n’importe quelle autre valeur).
Faites vous-même des sommes de décimales
Pour obtenir les valeurs de cet article pour les différentes sommes de décimales,
les calculs ont été faits en Python avec la bibliothèque Sympy. L’idée de base
pour obtenir la somme est cette formule :
\[\displaystyle \sum^n_{i=1} \Bigl \lfloor N \times b^i – b \times \bigl \lfloor N \times b^{i-1} \bigl \rfloor \Bigl \rfloor\]
où \(\sum\) est un opérateur de somme, N est le nombre dont on veut faire la somme des décimales, n est le nombre de décimales à additionner, b est la base (habituellement b = 10) et \(\bigl \lfloor x \bigl \rfloor\) est la fonction plancher qui retourne le plus grand entier inférieur ou égal à x. On peut également entrer cette formule sur le site wolframalpha.com et obtenir la somme désirée. Par exemple, pour faire la somme des 144 premières décimales de \(\pi\), on peut écrire cette commande.
- http://www.bible-en-ligne.net/bible,66N-13,apocalypse.php ↩
- Consulté en novembre 2023 ↩