Au Canada, toutes les pièces de monnaie sont rondes, à l’exception de la pièce de 1 dollar qui est un polygone régulier à 11 côtés. Les pièces rondes ont plusieurs avantages : elles sont plus faciles à rouler (emballer dans des rouleaux) et n’ont pas de coins qui peuvent piquer les poches des personnes qui les transportent.
Les machines peuvent facilement trier et compter les pièces de monnaies rondes car, quand l’une d’elles se présente, elle a toujours la même largeur, peu importe son orientation. Ce n’est pas le cas des autres figures classiques, comme on le constate sur les images ci-bas.
Une forme qui a la même largeur peu importe son orientation est dite à diamètre constant. Le cercle n’est pas la seule forme à diamètre constant.
Polygones de Reuleaux
Les polygones de Reuleaux sont une famille de figures à diamètre constant1. Ils se construisent à partir d’arcs de cercle centrés aux sommets d’un polygone avec un nombre impair de côtés. Tout comme le cercle, ils sont à diamètre constant.
Toutes les figures à diamètre constant ont un périmètre égal à \(\pi d\)
Ce résultat est le théorème de Barbier. Par exemple, le cercle de diamètre d a une circonférence de \(\pi d\). Le contour d’un triangle de Reuleaux est fait de trois arcs de cercle de rayon \(d\) faisant le sixième du cercle. Le périmètre du triangle de Reuleaux est donc
\[3 \times \displaystyle \left ( \frac{2 \pi d}{6} \right ) = \pi d.\]
Voir l’encadré « Idée de la démonstration de la longueur du contour d’une figure à diamètre
constant » pour plus de détails sur l’origine de cette formule.
Parmi les figures à diamètre constant, le triangle de Reuleaux a la plus petite surface.
Ce résultat a été montré indépendamment par Henri Lebesgue en 1914 et Wilhelm Blaschke en 1915.
Les pièces sont de tailles différentes et de masses différentes afin de pouvoir les distinguer facilement. Elles doivent avoir une taille minimale pour être facilement manipulables et des diamètres de valeurs distinctes pour pouvoir les différencier. Pour la même valeur de diamètre, le triangle de Reuleaux a une surface environ 10 % plus petite que celle du cercle (voir problème). Pour un diamètre constant donné, c’est la figure ayant la plus petite surface. On économiserait donc des ressources matérielles en faisant nos pièces de monnaie en triangles de Reuleaux.
Tourner les coins ronds
Peut-on imaginer une pièce de monnaie à diamètre constant, sans coins ? Et sans axes de symétrie ? Oui, il est possible d’avoir de telles pièces !
En voici deux : la première est symétrique, la seconde ne l’est pas.
L’encadré « Construction d’une forme sans coin et à diamètre constant » présente une méthode de construction qui permet d’obtenir une famille de formes sans coins et à diamètre constant.
Pièces de monnaie
Au Royaume-Uni la pièce de 20 pence et la pièce de 50 pence sont des polygones de Reuleaux à 7 côtés. Cela permet d’économiser 1,7 % de matières premières par rapport à une pièce ronde de même diamètre.
La pièce de 1 dollar du Canada est un polygone régulier à 11 côtés (hendécagone). Ce n’est pas un polygone de Reuleaux. Le polygone a 11 côtés n’est pas une figure à diamètre constant, mais l’écart entre la plus grande largeur possible et la plus petite largeur est d’environ ¼ mm pour la pièce de 1 dollar. On peut supposer que la Monnaie royale canadienne a choisi cette forme polygonale pour que les non-voyants puissent la reconnaître plus facilement au toucher par ses coins.
Joseph-Émile Barbier
Joseph-Émile Barbier est né à Saint-Hilaire-Cottes le 18 mars 1839. Après avoir enseigné dans un lycée à Nice, il travailla à l’Observatoire de Paris. Il assistait les astronomes dans leurs calculs et il a conçu un nouveau type de thermomètre. Ses principaux travaux concernent la géométrie de l’espace et la trigonométrie sphérique. Il quitta l’observatoire en 1865. Il cessa toute relation avec ses amis, mais il fut retrouvé par un de ses anciens élèves à l’asile de Charenton en 1880. Encouragé par son ancien élève à reprendre ces travaux en mathématiques, il a écrit plus de 10 articles entre 1882 et 1887 sur les polyèdres, le calcul intégral et la théorie des nombres. Il est mort le 28 janvier 1889 à Saint-Genest-Lerpt.
Idée de la démonstration de la longueur du contour d’une figure à diamètre constant
Georges-Louis Leclerc de Buffon a démontré un résultat étonnant sur une expérience qui consiste à lancer aléatoirement des aiguilles de même longueur sur un plancher sur lequel sont tracées des lignes parallèles à égale distance.
Soit \(n\) le nombre d’intersections entre les aiguilles et les lignes du plancher, \(N\) le nombre de lancers d’aiguille, \(l\) la longueur des aiguilles, \(L\) la distance entre les lignes du plancher. Buffon a démontré que :
\[\displaystyle n \approx \frac{N2L}{\pi L}.\]
On peut se servir de cette approximation pour estimer \(\pi\).
\[\displaystyle \pi \approx \frac{N2L}{nL}.\]
Dans l’exemple de la figure ci-contre, on a \(L = 1, l = 1, N = 200\) et \(n=121\), donc on a une approximation de \(\pi\) :
\[\pi \approx \displaystyle \frac{2 \times 200 \times 1}{121 \times 1} \approx 3,31.\]
Dans l’exemple, ce n’est pas une bonne approximation, mais plus le \(N\) est grand, meilleure est l’approximation.
On peut aussi se servir de la formule de Buffon pour trouver la longueur commune des aiguilles :
\[\begin{array}{l c r}&l \approx \displaystyle \frac{n \pi L}{2n}& (^*) \end{array} \]
Joseph-Émile Barbier s’est inspiré de ce résultat. L’idée fut de généraliser le résultat à n’importe quelle courbe du plan qu’on lance sur le plancher. Soit \(l\) la longueur de la courbe, on peut la diviser en \(m\) petites courbes de longueur \(l_i\), qui ressemblent à des segments de droite si \(m\) est assez grand. Soit \(n_i\) le nombre d’intersections de la \(i\)-ème petite courbe avec les lignes du plancher. Alors
\[l_i \approx \displaystyle \frac{n_i \pi L}{2N}. \]
En faisant la somme pour tous les segments, on obtient que la formule \((^*)\) est encore valide pour une courbe quelconque.
Appliquons cette généralisation au contour d’une figure à diamètre constant \(d\) et supposons que la distance entre deux lignes du plancher est aussi \(d\). \(l\) représente maintenant le contour d’une figure à diamètre constant. Peu importe l’orientation et la position de la figure, il y aura toujours 2 intersections. Soit la figure croise une ligne à deux endroits, soit elle est tangente à deux lignes différentes.
Donc après \(N\) lancers, il y aura \(n = 2N\) intersections.
\[l \approx \displaystyle \frac{(2N) \pi d}{2N}.\]
En simplifiant, on peut conclure que
\[l=\pi d.\]
\(N\) n’intervient plus dans l’équation, donc on peut le supposer infini et quand \(N\) tend vers l’infini, l’approximation de base devient une égalité. Cette dernière égalité révèle que le contour de n’importe quelle figure à diamètre constant \(d\) à un contour de \(\pi d\).
Georges Louis Leclerc, compte de Buffon.
Georges Leclerc est né à Montbard le 7 septembre 1707. Son père voulait qu’il étudie le droit, mais il se démarquait seulement dans ses cours de mathématiques. Après la mort de sa mère, il devint un homme influent dans Paris. Il travailla sur des navires de guerre, il fut nommé gardien du jardin botanique royal. Il a écrit plusieurs livres sur les mathématiques, la théorie des probabilités, l’astronomie, l’optique et surtout sur l’histoire naturelle. Il voulait écrire une série de 50 livres sur l’histoire naturelle, et au moment de sa mort le 16 avril 1788, il en avait écrit 36 sous le nom de Georges Louis-Leclerc de Buffon, Buffon est le nom d’un domaine dont sa mère avait hérité quand Georges était enfant.
Construction d’une forme sans coin et à diamètre constant
Soit un triangle ABC et le point D sur le prolongement du côté AB. Si le triangle est scalène, la figure finale n’aura pas d’axes de symétrie.
On trace les droites qui portent les trois côtés du triangle. On trace un arc de cercle de centre A qui commence en D et qui s’arrête au point E situé sur la droite qui porte AC.
Du point E, on trace un arc de cercle de centre C jusqu’à l’intersection avec la droite suivante.
On répète le processus pour faire d’autres arcs de cercle centrés respectivement aux points B, A, C et B à nouveau afin d’obtenir la figure complète.
Remarques
On note que la jonction des arcs de cercle se fait sans former de « coin ». Le premier arc de cercle a le point A comme centre et le deuxième a le point C comme centre. La tangente en un point d’un arc de cercle est toujours perpendiculaire au rayon qui passe par ce point. Comme les rayons sont sur la même droite, les deux arcs de cercle sont tangents à la même droite et il n’y a pas de « coin ».
Peu importe l’angle avec lequel on place la figure, celle-ci a toujours la même largeur, ce qui en fait une figure à diamètre constant.
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
- Voir « Le triangle de Reuleaux », Accromath 5.2, été-automne 2010 ↩