L’idée fondamentale derrière la notion de logarithme est de simplifier
les « gros » calculs arithmétiques en transformant, par exemple, la multiplication en une addition. Or le logarithme n’est pas la seule façon qui a été proposée afin de rendre plus aisé le calcul d’un produit.
De l’art de la multiplication
De manière générale, une addition est vue à juste titre, dans la plupart des systèmes de numération, comme une opération plutôt simple à effectuer. Mais il n’en va pas forcément ainsi de la multiplication. Même en se restreignant à des entiers positifs, il ne serait ni judicieux ni efficace de ramener le calcul d’un produit tout bonnement à une série d’additions répétées. C’est ce qui explique la présence au fil des âges de diverses méthodes pour exécuter correctement, voire aisément, une multiplication.
Un cas remarquable est celui de la multiplication par jalousie1, qui a connu une forte popularité lors de la diffusion de l’écriture indo-arabe des nombres, notamment durant la première moitié du deuxième millénaire. Cette méthode repose sur une grille rappelant la forme d’une jalousie et qui vient soutenir les manipulations arithmétiques en cause. Le fonctionnement de la grille est on ne peut plus limpide, comme on peut l’observer sur la figure ci-haut2 montrant le calcul du produit de 934 et 314. (Voir aussi la Section problèmes.)
Une technique fort répandue accompagnant souvent un calcul multiplicatif est la preuve par neuf (aussi appelée preuve par l’abjection novenaire3), connue des mathématiciens indiens dès l’an mille: afin de valider un résultat, on reprend le calcul « modulo 9», c’est-à-dire en retranchant autant de fois 9 qu’il est possible de chacun des nombres en jeu — une telle manipulation arithmétique s’exécute très facilement (et par de simples additions) dans notre système de numération en prenant la somme des chiffres de chacun des nombres. Ainsi, revenant au calcul précédent, on voit que les restes du multiplicande 934 et du multiplicateur 314, en divisant par 9, sont respectivement 7 et 8, dont le produit, 56, a lui-même pour reste 2. Or le « candidat-produit » 293 276 a lui aussi pour reste 2 et passe donc le test. Mais cela montre-t-il hors de tout doute qu’il s’agit du produit recherché ? Attention ici aux faux positifs… (Voir à ce propos la Section problèmes).
Des tables pour la multiplication
Pour effectuer à la mitaine une multiplication, il faut bien sûr « connaître ses tables », la table de multiplication des nombres de 1 à 9 se retrouvant de ce fait à la base de l’arithmétique dans l’enseignement primaire. (La version montrée à la page suivante, qui a longtemps figuré au dos de cahiers d’exercices, se ramène dans la pratique à la table familière 9 × 9 à double entrée, dite table de Pythagore dans le jargon scolaire.) Certaines tables ont même été publiées donnant explicitement tous les produits de nombres pris deux à deux dans un intervalle donné. Un cas célèbre est dû au mathématicien allemand Leopold Crelle4 (1780- 1855), qui a publié en 1820 une table de tous les produits jusqu’à 1 000 × 1 000. Mais ce document de Crelle, il convient de le souligner, fait près de 2000 pages5! Pas vraiment commode à utiliser…
Il y a à peine un siècle, plusieurs voyaient les tables numériques pouvant aider à effectuer une multiplication comme des outils mathématiques utiles et pertinents. Si on dispose par exemple d’une table répertoriant les nombres triangulaires — de la forme \(T_n=1+2+3+\ldots+n\) pour n un entier positif —, on peut faire appel à une égalité telle
\[ab = T_{a+b} -T_a-T_b\]
(peut-être un brin ésotérique…) pour calculer le produit de deux entiers par addition et soustraction. (Voir la Section problèmes.) Une telle approche a effectivement été proposée au 18e siècle, mais sans grand impact, semble-t-il.
Une autre façon un peu singulière de multiplier deux nombres — dont d’aucuns faisaient la promotion encore vers la fin du 19e siècle — repose sur l’identité élémentaire
\[4ab = (a + b)^2 – (a – b)^2,\]
connue depuis fort longtemps (la figure ci-contre en donne une preuve visuelle sans doute d’origine ancienne).
Si on dispose d’une table des carrés, on peut donc obtenir le produit de deux nombres en calculant d’abord leur somme et leur différence, puis en trouvant dans la table les carrés correspondants dont on fait ensuite la différence, que l’on divise finalement par 4. Un processus qui peut sembler complexe, mais plus efficace pour de grands nombres que le calcul du produit directement à la main. Cette méthode de multiplication a été utilisée dès 1690 par le mathématicien allemand Johann Hiob Ludolf (1649-1711) dans son recueil Tetragonometria tabularia, une table donnant les carrés des entiers de 0 à 99 999. De fait l’approche proposée par Ludolf, afin de réduire la taille des nombres en jeu, revient plutôt à l’identité équivalente
\[ab= \left ( \frac{a+b}{2}\right )^2- \left ( \frac{a-b}{2}\right )^2\]
(voir l’encadré Un calcul à la Ludolf).
Un calcul à la Ludolf
Pour multiplier 89 013 par 479,
- on calcule d’abord la somme du multiplicande et du multiplicateur : 89 492;
- on en prend la moitié : 44 746 = 89 492/2, dont on trouve le carré dans la table : 2 002 204 516;
- on soustrait la demi-somme 44746 du multiplicande : 89 013 – 44 746 = 44 267, ce qui donne la demi-différence des deux nombres initiaux;
- on prend dans la table le carré de cette demi-différence : 1 959 567 289;
- finalement on trouve la différence des deux carrés : 42 637 227, qui est le produit recherché.
L’exemple qui précède est particulièrement sympathique car les deux facteurs étant de même parité, leur somme et leur différence sont donc paires. Ludolf présente d’autres exemples montrant comment prendre en compte le cas de facteurs de parité différente. (Voir la Section problèmes.)
Sous un tel angle, la méthode peut être vue comme faisant intervenir en pratique des valeurs numériques qui sont le quart de carrés d’entiers,
\[ab= \frac{(a+b)^2}{4}- \frac{(a-b)^2}{4}. \: (^*)\]
On voit ainsi surgir l’intérêt de construire des tables répertoriant de tels nombres, ce qui a été réalisé indépendamment en 1817 par Antoine Voisin (France) et par Anton Philipp Bürger (Allemagne). Le titre du recueil de Voisin est en soi assez remarquable : Tables de multiplications, ou logarithmes des nombres entiers depuis 1 jusqu’à 20 000, au moyen desquelles on peut multiplier tous les nombres qui n’excèdent pas 20 000, etc. (voir la figure ci-contre). Remarquable non seulement par sa verbosité — dans le style du temps, il faut le dire — mais surtout par l’emploi (erroné!) du mot logarithme : les « logarithmes » de Voisin n’ont absolument rien à voir avec cette notion telle qu’on la connaît aujourd’hui et dont il sera question plus bas. Quelques autres « tables de quarts de carrés » furent publiées au cours du 19e siècle, les plus prolifiques permettant de calculer des produits de nombres jusqu’à 200 000.
Tombée en désuétude aujourd’hui, la méthode des quarts de carrés demeure un témoignage historique éloquent quant au défi pratique qu’a pu représenter au fil des âges le calcul d’un produit, même pour des entiers assez modestes. Pouvoir ramener une multiplication à une soustraction de nombres pigés dans une table représente un atout majeur, en termes de la complexité des manipulations à accomplir. Il est frappant à cet égard de voir James Glaisher (1848-1928), théoricien des nombres réputé de l’Université de Cambridge, en faire la promotion en 1889 dans Nature, revue scientifique parmi les plus anciennes et les plus renommées (voir Pour en savoir plus).
S’intéressant au calcul d’un produit dont on souhaite connaître tous les chiffres, un par un — et non pas simplement un ordre de grandeur —, Glaisher déplore que la méthode des quarts de carrés soit si peu connue. Il insiste notamment sur la légèreté de l’instrument de travail sur lequel elle s’appuie : comme il s’agit d’une table à simple entrée, son volume est réduit de manière considérable, comparativement à une table à double entrée comme ce serait le cas avec une table de Pythagore usuelle jusqu’à un entier n donné6 . Il s’étonne par ailleurs qu’il ait fallu attendre le début du 19e siècle pour disposer de tables de quarts de carrés, étant donné la simplicité tant de la formule algébrique à la base de la méthode que des opérations arithmétiques intervenant dans la construction même de la table — voir à ce sujet l’encadré À propos de la méthode des quarts de carrés. (Insistons, concernant ce dernier point, sur le fait que la construction de tables de logarithmes — au sens usuel — est d’un niveau de complexité tout à fait autre. On y revient dans un prochain texte.)
À propos de la méthode des quarts de carrés
S’agissant de l’égalité (*)
\[ab= \frac{(a+b)^2}{4}- \frac{(a-b)^2}{4}.\]
notons que si a et b sont deux entiers de même parité, alors leur somme et leur différence sont toutes deux
paires, de sorte que les deux termes à la droite de l’égalité sont des entiers. Plus précisément, posant \(n = 2k,\) on a donc que \(\displaystyle \frac{1}{4}n^2 = k^2\). Mais si l’un des nombres est pair et l’autre impair, leur somme et leur différence sont alors impaires. Or pour \(n = 2k + 1,\) on a \(\displaystyle \frac{1}{4}n^2 = k^2 +k + \frac{1}{4}\). Lorsqu’on applique (*), on voit alors que les deux termes fractionnaires vont s’annuler.
Conséquemment il suffit, pour chaque entier positif donné, de connaître l’entier inférieur ou égal au quart de son carré. Autrement dit, une table de « quarts de carrés » répertorie de fait la partie entière de tels nombres, donnée par la fonction \(qc(n)\) définie comme suit, pour n un entier positif :
\[qc(n)= \left \{ \begin{array}{l c l} k^2 & \text{si} & n=2k\\k^2+k & \text{si} & 2k+1 \end{array} \right .\]
Et cette table est très facile à construire (même si cette construction est clairement fastidieuse pour de grands nombres), car les opérations arithmétiques en cause ne sont que des sommes — l’élévation au carré, ne l’oublions pas, est une somme d’impairs consécutifs :
\[n^2 = 1 + 3 + 5 + \ldots. + (2n – 1)\]
(voir la Section problèmes). Difficile de demander plus élémentaires comme outils de construction!
La figure de la page suivante présente la liste des quarts de carrés pour les entiers de 301 à 400, tels que donnés dans la table de Voisin. On peut s’en servir pour obtenir le produit 359 × 36 en effectuant simplement la soustraction des deux entrées correspondant à 359 + 36 = 395 et à 359 – 36 = 323 :
\[359×36 = 39006 – 26082 = 12924.\]
Bien sûr, les deux facteurs étant de parité différente, la transcription exacte de (*) serait plutôt
\[359×36 = 39006,25-26082,25=12924.\]
Mais Glaisher réalise pleinement que si les tables de quarts de carrés ont tant tardé, voire failli, à prendre leur essor, c’est en raison de l’arrivée spectaculaire des logarithmes au début du 17e siècle — épisode qui marqua indéniablement un point tournant dans l’histoire du calcul.
Une autre méthode de calcul qui a connu ses heures de gloire est la multiplication par prosthaphérèse7. On y fait intervenir des valeurs trigonométriques afin de trouver le produit ou le quotient de deux nombres (voir l’encadré Une curiosité historique : la prosthaphérèse). Mais cette méthode est rapidement tombée en désuétude, principalement, là encore, en raison de l’arrivée des logarithmes.
Une curiosité historique : la prosthaphérèse
Au 16e siècle, les développements scientifiques, conjugués à des besoins pratiques notamment en lien avec la navigation, avaient mené à la construction de tables trigonométriques d’une grande précision. C’est dans un tel contexte qu’a surgi l’idée d’utiliser ces tables afin d’exécuter rapidement — mais de manière approximative — des calculs arithmétiques.
Ainsi une identité telle
\[2 \sin \alpha \sin \beta = \cos(\alpha-\beta) – \cos(\alpha+\beta)\]
permet de transformer le calcul d’un produit en celui d’une différence de deux valeurs trigonométriques, dont il s’agira ensuite de prendre la moitié. La recherche du produit de deux nombres positifs a et b — que l’on peut supposer inférieurs à 1 — se fait en identifiant, à l’aide d’une table, des angles \(\alpha\) et \(\beta\) tels que \(a \approx \sin \alpha\) et \(b \approx \sin \beta\), puis en exécutant le calcul sur les valeurs du membre de droite de l’égalité, toukours avec la table à l’appui, pour les angles \(\alpha-\beta\) et \(\alpha+\beta\) (voir la Section problèmes).
La méthode de prosthaphérèse demeure d’origine un peu floue en raison de divergences quant à la priorité. On sait cenpendant qu’elle fut régulièrement utilisée vers la fin du 16e siècle, notamment par l’astronome Tycho Brahe qui s’en servit dès 1582. L’arrivée des logorithmes, une trentaine d’années plus tard, a définitivement relegué au cabinet de curiosités cette étrange façon d’effectuer une multiplication.
Une mirifique invention
Les développements majeurs survenus au 16e siècle, dans des domaines tels l’astronomie — sous l’influence du Danois Tycho Brahe (1546-1601) et de l’Allemand Johannes Kepler (1571-1630) — ou encore la navigation, rendaient impérieux le besoin de faciliter l’exécution de calculs longs et compliqués. De meilleurs outils permettant des observations plus fines, il fallait pouvoir en rendre compte aussi bien dans l’efficacité calculatoire que dans la précision des résultats obtenus. Si la prosthaphérèse a pu servir dans un tel contexte, c’est l’introduction par le baron écossais John Napier8 (1550-1617) du concept de logarithme9, dans son ouvrage Mirifici logarithmorum canonis descriptio10 (1614), qui vint révolutionner le paysage numérique, et ce de façon durable.
Nous reviendrons dans un prochain texte sur les origines de la notion de logarithme11 et sur l’apport d’autres contributeurs tels Jost Bürgi (1552- 1632) ou Henry Briggs (1556-1630), de même que sur la construction de tables de logarithmes, que nous tenons pour acquises dans ce qui suit.
Le but premier de ce nouvel outil était de transformer une multiplication en addition et une division en soustraction. Contrairement au contexte d’une multiplication par quarts de carrés (voir ci-haut), son emploi en astronomie ou en navigation visait non pas à connaître le nombre résultant d’un calcul dans sa totalité, chiffre par chiffre, mais plutôt à trouver son ordre de grandeur ainsi qu’une tranche de chiffres significatifs. C’est là le propre de calculs portant sur des nombres découlant de mesures physiques, obtenues selon un certain degré de précision. (Nous passons sous silence ici les règles de l’« arithmétique des chiffres significatifs ».)
Exprimée en notations modernes, l’idée sur laquelle s’appuie le concept de logarithme est de regarder un nombre en lien avec l’exposant dont il faut affecter une certaine « base » donnée pour le retrouver. Plus précisément, un réel b strictement positif et différent de 1 ayant été fixé (la base) et considérant un réel positif x, le logarithme de x dans la base b, noté \(\log_bx\), est par définition l’exposant (unique) u tel que \(b^u=x.\) De là suit immédiatement la propriété fondamentale des logarithmes : étant donné deux réels (positifs) x et y de logarithme respectif u et v, on a
\[xy=b^{u}\times b^v=b^{u+v},\]
et donc \(\log_b xy=\log_b x+\log y,\) tel que désiré. On vérifierait de même des relations analogues pour le logarithme d’un quotient ou d’une puissance.
Calculs logarithmiques
Nous proposons au lecteur un exercice sans doute suranné, mais qui conserve un charme indéniable : la recherche d’un produit à l’aide d’une table de logarithmes. L’occasion, somme toute, d’apprécier un savoir scolaire aujourd’hui disparu mais encore d’importance il y a moins de cinquante ans… Nous utiliserons à cette fin une table de logarithmes de base 10 — appelés dans la littérature logarithmes décimaux ou vulgaires, ou encore logarithmes de Briggs12. Dans ce qui suit, la notation log x représente donc \(\log_{10}x.\)
Considérons une valeur particulière de x, par exemple x = 578. Il est alors clair que 2 < log x < 3. Écrivant x en notation scientifique sous la forme \(x = 5,78 × 10^2,\) on a donc
\[\begin{array}{r c l} \log 578 &=& \log5,78+\log10^2 \\&=&\log 5,78+2.\end{array} \]
On voit ainsi que la recherche de log 578 fait intervenir le nombre log 5,78 qui est compris, lui, entre 0 et 1. On aurait de même
\[\begin{array}{r c l} \log 5\,780 &=& \log5,78+\log10^3 \\&=&\log 5,78+3.\end{array} \]
ou encore
\[\begin{array}{r c l} \log 0,00578 &=& \log5,78+\log10^{-3} \\&=&\log 5,78-3.\end{array} \]
Ces observations sont tout à fait générales : tout réel positif x peut se représenter sous la forme \(x = y×10^c\) avec y un réel tel que \(1≤y<10\) (la virgule décimale de y est alors dite en position standard) et c un entier (positif, négatif ou nul). L’exposant c — qui correspond à la partie entière du réel logx — s’appelle la caractéristique de logx, tandis que le réel logy – la partie décimale de logx – en est appelé la mantisse13. (Puisque \(1 ≤ y <10,\) on a évidemment \(0 ≤ \log y <1.\))
La recherche du logarithme d’un réel x donné porte donc essentiellement sur la recherche de sa mantisse, de sorte qu’une table de logarithmes (dans les faits, une « table de mantisses ») peut se restreindre à des réels entre 1 et 10. Mais selon le degré de précision visé, il est souvent plus commode de voir les nombres comme des entiers allant de 100 à 1000 (on considère alors des nombres ayant trois chiffres significatifs — cette table était fréquemment utilisée dans l’enseignement secondaire)14, ou encore de 1000 à 10 000 (avec quatre chiffres significatifs). De plus les logarithmes eux-mêmes pourront être précis à quatre positions décimales (cas encore une fois fréquent dans l’enseignement secondaire), ou à cinq décimales15.
La figure ci-contre montre un extrait d’une table de logarithmes à quatre positions décimales pour des nombres à trois chiffres significatifs (donc entre 100 et 1000). On y lit entre autres que log 5,78 = 0,7619, d’où on tire immédiatement que log 578 = 2,7619 et log 5780 = 3,7619. Quant à log 0,00578, on obtient bien sûr
\[\log 0,005 78 = 0,7619 – 3,\]
que l’on serait peut-être tenté d’écrire comme –2,2381. Mais l’usage montre qu’il vaut mieux dans ce contexte conserver les mantisses positives, de sorte que l’on ferait plutôt appel à une notation telle 3,7619 pour représenter ce logarithme.
Par exemple, si on s’intéresse au produit p = 59 × 0,005 78, on trouve
\[\begin{array}{r c l}\log p &= &\log 59+ \log 0,00578 \\&= &1,7709 + \bar{3},7619\\&=& (1 + \bar{3}) + (0,7709 + 0,7619)\\ & = &\bar{2} + 1,5328 \\&=& \bar{1},5328. \end{array}\]
On voit alors que p est l’antilogarithme de \(\bar{1},5328,\) c’est-à-dire le nombre dont le logarithme est \(\bar{1},5328.\) La caractéristique de ce log nous donne la puissance de 10 en cause : \(10^{–1}\). Quant à sa mantisse, la vie est parfois généreuse : on lit ici directement, en parcourant la table utilisée pour ce calcul, que \(\log 3,41 = 0,5328,\) de sorte que \(p = 0,341\) (en se ramenant à trois chiffres significatifs).
Mais il arrivera souvent que la mantisse obtenue lors d’un calcul ne figure pas comme telle dans la table : il faut dans ce cas recourir à des techniques d’interpolation linéaire entre deux valeurs de la table pour obtenir l’antilogarithme recherché (voir la Section problèmes).
Et la calculatrice vint…
Pendant plus de 350 ans, les tables de logarithmes — et leur pendant instrumental, la règle à calcul16 — ont été abondamment utilisées. Savoir effectuer un calcul à l’aide de ces tables figurait de ce fait au programme de l’école secondaire. Si l’arrivée des calculatrices, au milieu des années 1970, a rendu un tel apprentissage totalement obsolète, il demeure néanmoins pertinent de garder en mémoire le rôle que ces outils ont joué dans le développement des mathématiques et leur mise en application.
Une (autre) curiosité historique : les bâtons de Napier
On doit aussi à John Napier une méthode élémentaire pour ramener une multiplication à des additions : les bâtons de Napier. Son idée est de reproduire sur des réglettes la table de multiplication de chaque nombre à un chiffre, et de se servir de cet outil comme support pour le calcul. C’est un peu comme si on travaillait avec une jalousie à une seule ligne. Un produit se trouve alors par une série d’additions simples où on n’a qu’à gérer les positions des produits partiels l’un par rapport à l’autre — voir à ce propos l’article sur John Napier dans le présent numéro.
- De l’italien gelosia, de même origine que le mot « jaloux ». Une jalousie désigne un volet mobile composé de lattes orientables et parallèles permettant de voir sans être vu. ↩
- Figure tirée de L’Arte dell’Abbaco, recueil publié en 1478 et aussi connu sous le nom d’Arithmétique de Trévise. ↩
- Du latin abjectio, « suppression » (de la famille étymologique du mot « jeter »), et novem, le nombre « neuf ». Cette expression est utilisée notamment par le mathématicien allemand Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) dans sa Préface à la Science générale. ↩
- Crelle est connu pour avoir fondé à Berlin en 1826 le Journal für die reine und angewandte Mathematik (Journal de mathématiques pures et appliquées), une revue de mathématiques très prestigieuse et la plus ancienne encore en existence. On trouve au fil des ans dans le « Journal de Crelle » des articles de mathématiciens parmi les plus éminents, notamment Abel, Cantor ou Gauss. ↩
- Et pourtant Crelle y utilise de nombreux stratagèmes qui allègent considérablement sa table. ↩
- Pour rester dans le type de comparaison que propose Glaisher, on peut observer que la table de Voisin fait un maigre 123 pages, ce qui permet d’effectuer tous les produits de deux nombres dont la somme n’excède pas 20 000. C’est vraiment peu, si on compare avec la volumineuse table de Crelle qui couvre pourtant un intervalle de nombres beaucoup plus restreint. ↩
- Mot formé à partir du grec \(\pi\rho\omicron\sigma\theta\epsilon\sigma\iota\xi\), « addition », et \(\alpha\phi\alpha\iota\rho\epsilon\sigma\iota\xi\), « soustraction », deux étapes intervenant dans l’algorithme. ↩
- Le patronyme Napier a connu différentes graphies, notamment Naper et Neper. ↩
- Du grec \(\lambda\omicron\gamma\omicron\xi\), « rapport », et \(\alpha\rho\iota\theta\mu\omicron\xi\), « nombre ». ↩
- C’est-à-dire Description de la merveilleuse règle des logarithmes. ↩
- À propos de l’origine des logarithmes, voir aussi l’article sur John Napier dans ce numéro. ↩
- Par opposition aux logarithmes naturels (parfois dits népériens), de base e. ↩
- De mantissa, mot latin dont la signification exacte n’est pas attestée mais qui est relié à l’idée de « supplément » ou de « surplus » (par exemple surplus de poids). Utilisé par John Wallis dans son De algebra tractatus (1693) pour désigner la partie décimale d’un nombre, le mot mantisse se retrouve avec son sens moderne dans l’Introductio in analysin infinitorum de Leonhard Euler (1748). ↩
- Tout nombre inférieur à 100 a un logarithme de même mantisse que son produit par 10 ou 100 – qui sera alors un nombre entre 100 et 1000 –, selon que le nombre est entre 10 et 100 ou entre 1 et 10. ↩
- Des tables de logarithmes à six, voire sept, positions décimales étaient d’usage relativement courant. ↩
- Voir Marie Beaulieu et Bernard R. Hodgson, Accromath, vol. 10, hiver-printemps 2015, p. 23. ↩