Vous aimez les jeux de stratégies et vous n’avez pas eu beaucoup de chance au jeu ces derniers temps. Vous vous demandez si les mathématiques pourraient vous aider. Effectivement, il y a une branche des mathématiques appelée la théorie des jeux.
Une figure marquante de ce domaine est John Forbes Nash Jr. Ce nom vous dit peut-être quelque chose. En 2002, l’Oscar du meilleur film a été décerné au film A Beautiful Mind (Un homme d’exception). Ce film porte sur la vie du brillant mathématicien John Nash qui reçut en 1994 le prix Nobel d’économie pour les travaux de sa thèse sur la théorie des jeux. Cet accomplissement est d’autant plus exceptionnel qu’il n’y a pas de prix Nobel de mathématiques.
Le domaine des mathématiques qu’est la théorie des jeux a d’abord été l’étude des jeux de société. Il a connu un essor important suite à la collaboration fructueuse du mathématicien John Von Neumann et de l’économiste Oskar Morgenstern. Grâce à eux, on a compris que la théorie des jeux n’est pas seulement amusante, elle est aussi très utile pour résoudre des problèmes en économie.
Regardons d’abord le jeu bien connu, roche, papier, ciseaux.
Le jeu de Roche, papier, ciseau
Deux joueurs font simultanément un des choix suivants:
R: roche;
P: papier;
C: ciseau.
Si le deux joueurs font le même choix, la partie est nulle. Si un joueur choisit roche, il donne 1\$ à l’autre joueur si ce dernier a choisi papier, par contre, il reçoit 1\$ de lui si ce dernier a choisi ciseau. Finalement, si un joueur choisit papier et l’autre ciseau, celui qui a choisi papier donne 1\$ à l’autre joueur.
On note les joueurs par \(J_1\) et \(J_2\). Les gains du joueur \(J_1\) peuvent être représentés dans un tableau appelé table des règlements1. Ce tableau représente aussi les pertes du joueur \(J_2\). Voici la table des règlements du joueur \(J_1\).
Par exemple, si le joueur \(J_1\) choisit roche et que le joueur \(J_2\) choisit papier, le gain du joueur \(J_1\) est indiqué à l’intersection de la première ligne et de la deuxième colonne du tableau. Ce gain est de –1, ce qui signifie que le joueur \(J_1\) donne 1\$ au joueur \(J_2\). Le jeu roche, papier, ciseau est ce qu’on appelle un jeu à somme nulle.
Jeu à deux joueurs à somme nulle
Un jeu de stratégies est appelé jeu à somme nulle si le gain d’un joueur est égal à la perte de l’autre joueur. En considérant une perte comme un gain négatif, en additionnant les gains des deux joueurs, on obtient zéro. On suppose que dans ce jeu de stratégies, chaque joueur ne dispose d’aucune information quant au choix de la stratégie de l’autre. Chaque joueur veut choisir la meilleure stratégie.
Voyons maintenant un problème de la vie courante qu’on peut écrire sous forme de jeu à deux joueurs à somme nulle.
Un jeu à deux joueurs à somme nulle en politique
Deux partis politiques s’affrontent dans une élection. Chacun a une base d’électeurs fidèles. Pour l’emporter, ils doivent convaincre des électeurs dont le choix n’est pas arrêté de voter pour eux. L’issue de l’élection dépendra de la position des partis sur une question de société importante (comme l’exploitation et le transport de pétrole, le réinvestissement en éducation,…).
Chaque parti peut :
- P : se prononcer pour,
- C : se prononcer contre,
- E : éluder la question (parler la langue de bois).
Ils doivent se décider sans savoir ce que fera l’autre parti. Une volte-face ferait mauvais effet.
Ils évaluent le pourcentage de votes qu’ils obtiendraient dans chacun des cas. Voici le tableau de ces résultats donné pour le parti \(P_1\).
Afin de considérer cette situation comme un jeu à somme nulle, on peut aussi récrire ce tableau en indiquant plutôt quel pourcentage de plus ou de moins de 50 % fera le parti \(P_1\).
Essayons maintenant de déterminer quelle serait la meilleure stratégie de chacun des partis.
En regardant le tableau, on constate que :
\(P_1\) n’a pas intérêt à éluder la question.
Quelque soit la stratégie de \(P_2\), \(P_1\) obtiendra toujours plus de votes en se prononçant contre.
En regardant le tableau, \(P_2\) a aussi compris que \(P_1\) ne choisira pas la stratégie d’éluder la question. L’examen des options de \(P_2\) permet alors de réaliser que:
\(P_2\) n’a pas intérêt à se prononcer contre.
Il fera toujours mieux en éludant la question.
\(P_1\) sait que \(P_2\) est aussi un fin stratège et qu’il ne choisira pas de se prononcer contre. C’est pourquoi
\(P_1\) n’a pas intérêt à se prononcer pour.
Il obtiendra plus de votes en se prononçant contre. Finalement,
\(P_2\) a intérêt à éluder la question.
En résumé, sous l’hypothèse que chacun des partis sait que l’autre est aussi un fin stratège, chaque parti a analysé sa meilleure stratégie ainsi que celle de l’autre. Ils en sont venus à la conclusion suivante :
- La meilleure stratégie pour \(P_1\) est de se prononcer contre.
- La meilleure stratégie pour \(P_2\) est d’éluder la question.
- Si chaque parti adopte sa stratégie optimale, \(P_1\) s’attend à obtenir 50+1 % des votes et \(P_2\) s’attend à obtenir 49% des votes.
Voici maintenant un exemple en économie.
Jeu à deux joueurs à somme nulle en économie
Deux manufacturiers sont en compétition pour la vente d’un appareil électronique.
La compagnie \(C_1\) peut fabriquer trois modèles: haut, milieu et bas de gamme. Elle peut produire un ou deux de ces produits. Voici ses stratégies possibles:
- H:produire seulement le modèle haut de gamme,
- M: produire seulement le modèle milieu de gamme,
- B: produire seulement le modèle bas de gamme,
- HM: produire les modèles haut et milieu de gamme,
- MB: produire les modèles milieu et bas de gamme.
La compagnie exclut la possibilité de produire les modèles haut et bas de gamme, car cela ne lui permettrait pas de bien définir son image auprès des consommateurs.
La compagnie \(C_2\) ne produit pas de modèle haut de gamme. Voici ses stratégies possibles:
- M: produire seulement le modèle milieu de gamme,
- B: produire seulement le modèle bas de gamme,
- MB:produire les modèles milieu et bas de gamme.
On suppose que ces deux manufacturiers se partagent le marché. Ainsi, les ventes faites par un manufacturier sont des ventes en moins pour l’autre. C’est pourquoi ce problème peut être interprété comme un jeu à deux joueurs à somme nulle. Les compagnies évaluent les gains (ou pertes) supplémentaires en fonction des différentes stratégies. Voici le tableau de ces résultats donnés (en milliers de dollars) pour la compagnie \(C_1\).
Contrairement à l’exemple précédent, il n’y a pas de stratégies qui en domine une autre. Autrement dit, on ne peut pas éliminer des stratégies comme on l’a fait dans l’exemple précédent.
Que faire alors? Chacune doit examiner les conséquences possibles en fonction de son choix de stratégies.
- Par exemple, \(C_1\) réfléchira avant de choisir la stratégie H, car elle pourrait perdre 30K\$ si \(C_2\) choisissait la stratégie M et elle pourrait perdre 50K\$ si \(C_2\) choisissait la stratégie MB.
- De même, \(C_2\) réfléchira avant de choisir la stratégie M, car elle pourrait perdre 20K\$ si \(C_1\) choisissait la stratégie HM et elle pourrait perdre 35K\$ si \(C_1\) choisissait la stratégie MB.
Hypothèse de base de la théorie des jeux
Chaque joueur est rationnel et il sait que l’autre l’est tout autant. Il ne choisit pas une stratégie au hasard. Chaque joueur examine pour chacune de ses stratégies ce qu’il peut gagner et surtout ce qu’il peut perdre. En effet, pour chaque stratégie qu’il adopterait, l’autre joueur (qui est intelligent) évitera de le laisser faire de gros gains. Il cherchera plutôt à lui faire faire la plus grosse perte possible.
Suite du jeu en économie
Chacune des compagnies doit examiner la situation de la façon suivante:
- Pour chaque stratégie, \(C_1\) évalue le gain minimal qu’elle peut faire. (Si ce gain est négatif, c’est une perte).
- Pour chaque stratégie, \(C_2\) évalue la perte maximale qu’elle peut faire. (Si cette perte est un nombre négatif, c’est un gain. En effet, la table des règlements donne les pertes de \(C_2\), i.e. les gains de \(C_1\)).
On inclut l’information obtenue dans la table des règlements.
Voyons comment interpréter les nouvelles informations incluses dans ce tableau.
Par exemple, en choisissant la stratégie H, \(C_1\) pourrait perdre jusqu’à 50K\$. Si \(C_2\) pense que \(C_1\) choisira H dans l’espoir de gagner 40K\$, \(C_2\) évitera de choisir B. Il choisira plutôt la stratégie MB, ce qui fera perdre 50K\$ à \(C_1\).
- De même, en choisissant la stratégie M, \(C_2\) pourrait perdre jusqu’à 35K\$. Il perdrait moins que cela si \(C_1\) choisissait une autre stratégie que MB.
- Par contre, en choisissant la stratégie HM, \(C_1\) gagnera au moins 5K\$ peu importe la stratégie choisie par \(C_2\). En fait, il gagnera plus que cela si \(C_2\) choisissait une autre stratégie que MB.
Comme le compétiteur est intelligent, chaque compagnie veut éviter les stratégies risquées qui pourraient lui faire perdre beaucoup d’argent. Elles examinent les stratégies qui sont des valeurs sures indépendamment du choix fait par l’autre compagnie. Rappelons que chaque compagnie ne connaît pas le choix qui sera fait par l’autre. Elles font donc l’évaluation suivante:
- \(C_1\) évalue le maximum des gains minimaux qu’elle peut faire.
- \(C_2\) évalue le minimum des pertes maximales qu’elle peut faire.
Après avoir fait ces évaluations, les compagnies font les constats suivants:
- \(C_1\) adoptera la stratégie HM: produire du haut et milieu de gamme.
- \(C_2\) adoptera la stratégie MB: produire du milieu et du bas de gamme.
- Avec ces stratégies, \(C_1\) fera un gain supplémentaire de 5K\$.
Font-elles vraiment le meilleur choix? Si une compagnie n’avait pas fait le bon choix, elle
voudrait en changer. Imaginons que \(C_2\) n’est pas contente de son choix et que \(C_1\) garde sa stratégie HM. Si \(C_2\) adopte une autre straté- gie que MB, elle perdra encore plus d’argent. Sa situation sera pire. De même, imaginons que C1 regrette son choix qu’elle trouve trop conservateur. Si \(C_1\) change sa stratégie et que \(C_2\) garde sa stratégie MB, \(C_1\) perdra de l’argent plutôt que de faire un gain de 5K\$. Lorsque les stratégies choisies sont telles que chacun fait pire en changeant seul sa stratégie, on dit que les stratégies sont en équilibre.
Dans ce cas, les deux protagonistes ne chercheront pas à déroger de leur stratégie d’équilibre.
Un jeu qui cause du mécontentement
On considère un jeu à somme nulle et à deux joueurs \(J_1\), \(J_2\) dont la table des règlements est donnée ci-contre.
- \(J_1\) a 2 stratégies possibles: \(A_1\), \(A_2\);
- \(J_2\) a 3 stratégies possibles: \(B_1\), \(B_2\), \(B_3\).
On évalue les gains minimaux de \(J_1\) et les pertes maximales de \(J_2\), comme dans l’exemple précédent.
Ensuite, on évalue le maximum des gains minimaux de \(J_1\) et le minimum des pertes maximales de \(J_2\).
En faisant ces évaluations, on constate que:
- la stratégie obtenue pour \(J_1\) est \(A_1\);
- la stratégie obtenue pour \(J_2\) est \(B_1\);
- avec ces choix, \(J_1\) gagne 2\$.
Les joueurs sont rationnels. Si \(J_2\) joue plusieurs fois à ce jeu et comprenant que \(J_1\) choisit chaque fois \(A_1\), il changera sa stratégie et choisira \(B_2\). Le joueur \(J_1\) perdra alors 1\$. Si le jeu continue et voyant que \(J_2\) a adopté la stratégie \(B_2\), \(J_1\) changera à son tour sa stratégie et choisira \(A_2\). Le joueur \(J_1\) gagnera alors 4\$. Si le jeu se poursuit, les joueurs changeront de nouveau de stratégies.
On remarque que, dans le tableau précédent,
–1 = maximum des minimums ≠
minimum des maximums = 2.
On dit que les stratégies obtenues \(A_1\) et \(B_1\) ne sont pas en équilibre. Cela explique pourquoi, dans ce jeu-ci, contrairement à l’exemple précédent, les joueurs voudront changer unilatéralement de stratégies. De plus, chaque joueur pourrait avoir avantage à ne pas choisir toujours la même stratégie. Par exemple, \(J_1\) pourrait vouloir choisir \(A_1\), 4 fois sur 10, et choisir \(A_2\), 6 fois sur 10. On dirait alors que \(J_1\) choisit \(A_1\) avec probabilité de 0,4 et choisit \(A_2\) avec probabilité de 0,6. Ainsi, 0,4 + 0,6 = 1.
Stratégie pure et stratégie mixte
Un joueur a un ensemble de n stratégies possibles: \(S_1, S_2, \ldots, S_n.\) Chacune de ces stratégies est appelée une stratégie pure. D’autre part, il pourrait choisir chacune de ces stratégies avec une certaine probabilité, c’est-à-dire choisir \(S_i\)avec probabilité \(p_1 \in [0, 1]\) de sorte que
\[p_1 + p_2 + \ldots + p_n = 1.\]
On peut identifier l’ensemble des choix de \(p = (p_1, p_2, \ldots, p_n)\) à l’ensemble des possibilités de choisir différentes stratégies. On appelle \(p = (p_1, p_2, \ldots, p_n)\) une stratégie mixte. On remarque que si une coordonnée de p égale 1, alors toutes les autres sont nulles; cela correspond à une stratégie pure.
Suite du jeu pour lequel on recherche un équilibre
On considère à nouveau le jeu précédent. On voudrait maintenant savoir, pour chacun des joueurs, quels seraient les meilleurs choix de probabilités pour l’adoption de ses stratégies.
On suppose que:
- \(J_1\) choisit\((A_1,A_2)\) avec une probabilité \(x= (x_1, x_2),\) où \(x_1 + x_2 = 1\);
- \(J_2\) choisit (\(B_1\), \(B_2\), \(B_3\)) avec une probabilité \(y = (y_1, y_2, y_3),\) où \(y_1 + y_2 + y_3 = 1.\)
Le gain de \(J_1\) avec la stratégie \(A_1\) est:
\[2y_1 +(-1)y_2 +(0)y_3,\]
puisque \(J_2\) choisit \(B_1\) avec une probabilité \(y_1\), \(B_2\) avec une probabilité \(y_2\) et \(B_3\) avec une probabilité \(y_3\).
De même, le gain de \(J_1\) avec la stratégie \(A_2\) est:
\[-2y_1 + 4y_2 + 3y_3.\]
Puisque \(J_1\) choisit \(A_1\) avec une probabilité \(x_1\) et \(A_2\) avec une probabilité \(x_2\), le gain total de \(J_1\) en fonction de \(x\) et \(y\) est:
\[f(x, y) = x_1(2y_1 + (-1)y_2 + (0)y_3)\\ + x_2(-2y_1 + 4y_2 + 3y_3).\]
Maintenant, chaque joueur examine les conséquences possibles pour chacune de ses stratégies mixtes.
- Pour chaque stratégie \(x,\) \(J_1\) évalue son gain minimal parmi toutes les stratégies mixtes possibles de \(J_2\). On note ce gain minimal par \(\underset{y} \min f(x,y)\).
- Pour chaque stratégie \(y,\) \(J_2\) évalue sa perte maximale parmi tous les choix possibles de \(J_1\). On note cette perte maximale par \(\underset{x}\max f(x,y).\)
Chaque joueur sait que l’autre est rationnel. Il veut faire le meilleur choix sachant que l’autre voudra faire de même. Il voudra éviter les risques pouvant être couteux.
- \(J_1\) évalue le maximum de ses gains minimaux qu’on note \(\underset{x} \max \underset{y} \min f (x,y).\)Il détermine pour quelle stratégie \(x*\) ce maximum est atteint, c’est-à-dire que
\(\underset{y} \min f(x*,y)=\underset{x}\max \underset{y} \min f(x,y).\) - \(J_2\) évalue le minimum de ses pertes maximales noté \(\underset{y} \min \underset{x}\max f(x,y).\)Il détermine pour quelle stratégie y* ce minimum est atteint, c’est-à-dire que
\(\underset{x}\max f(x,y*)=\underset{y} \min \underset{x}\max f(x,y).\)
Après ces évaluations, les joueurs pourront trouver les stratégies suivantes:
x* = (1/2, 1/2) et y* = (5/9, 4/9, 0).
Avec ces stratégies, le joueur J1 prévoit un gain de 2/3\$ car f (x*, y*) = 2/3
(voir l’encadré pour le calcul de x* et y*).
Les stratégies trouvées par \(J_1\) et \(J_2\),
\[x*=(x{_1}{^*}, x{_2}{^*})\]
et
\[y*=(y{_1}{^*}, y{_2}{^*}, y{_3}{^*})\]
vérifient
\[\underset{x}\max \underset{y} \min =f(x^*,y^*)=\underset{y} \min \underset{x}\max f(x,y).\]
Chaque joueur n’aura pas intérêt à changer seul de stratégie. De telles stratégies x* et y* sont dites en équilibre.
Couple de stratégies en équilibre
On note par x et y les stratégies mixtes des joueurs \(J_1\) et \(J_2\) dans un jeu à deux joueurs à somme nulle. On note f(x,y) le gain fait par \(J_1\) lorsqu’il adopte la stratégie x et \(J_2\) la stratégie y. Un couple de stratégies (x*, y*) est en équilibre si:
\[\underset{x}\max \underset{y} \min =f(x^*,y*)=\underset{y} \min \underset{x}\max f(x,y).\]
Ces stratégies vérifient:
\[f(x^*, y^*) \geq \underset{x}\max f(x,y^*)\]
(\(J_1\) ne peut pas gagner plus en changeant seul de stratégie);
\[f(x^*, y^*) \leq \underset{y} \min f(x^*,y)\]
(\(J_2\) ne peut pas perdre moins en changeant seul de stratégie).
Existence d’un couple de stratégies en équilibre
On peut procéder comme on l’a fait dans l’exemple précédent pour tout jeu fini à deux joueurs à somme nulle. On dit qu’un jeu est fini si chaque joueur dispose d’un nombre fini de stratégies pures. Par exemple, le joueur \(J_1\) pourrait avoir les stratégies \(A_1, \ldots, A_m,\) et \(J_2\) pourrait avoir les stratégies \(B_1,\ldots, B_n\). Il est naturel de se demander si un tel jeu possède toujours un point d’équilibre. La réponse est due à Von Neumann.
Théorème (Von Neumann)
Tout jeu fini à 2 joueurs à somme nulle admet un couple de stratégies mixtes en équilibre.
Et John Forbes Nash Jr. dans tout ça?
On peut facilement imaginer des jeux (ou des applications de ceux-ci) qui ne sont pas à somme nulle, c’est-à-dire que ce qu’un joueur perd n’est pas nécessairement donné à l’autre joueur.
Aussi, comme on l’a vu dans les exemples précédents, le fait de considérer seulement des jeux à deux joueurs limite grandement le nombre d’applications possibles.
En effet, il n’est pas rare qu’il y ait plus de deux partis politiques ou plus de deux compagnies luttant pour augmenter leur part de marché.
John Nash a généralisé le théorème de Von Neumann à des jeux pouvant ne pas être à somme nulle et pouvant comporter plus de deux joueurs. Ce faisant, il a considérablement augmenté le nombre d’applications possibles de la théorie des jeux à l’économie et aussi à d’autres disciplines.
Théorème (Nash)
Tout jeu fini à N joueurs admet un point d’équilibre.
En termes mathématiques, cela peut être écrit de la façon suivante. On considère un jeu à N joueurs, \(J_1, J_2, \ldots, J_N.\)
- Le joueur \(J_i\) a un ensemble de \(\{S_{i,1}, \ldots, S_{i,n_i}\}\) qu’il peut jouer avec probabilité \(x_i =(x_{i,1},\ldots, x_{i,n_i})\).
- Si les joueurs \(J_1, J_2, \ldots, J_N\) choisissent respectivement les stratégies \(x_1, \ldots, x_N,\) le joueur \(J_i\) gagnera \(f_i (x_1, \ldots, x_N).\)
- Le théorème de Nash assure qu’il existe un point d’équilibre \((x{_1}{^*}, \ldots, x{_N}{^*})\) tel que:\[f_1(x{_1}{^*}, \ldots, x{_N}{^*}) \geq \underset{x_1}\max f_1(x_1, x{_2}{^*}, \ldots, x{_N}{^*}) \\ \vdots \\ f_N(x{_1}{^*}, \ldots, x{_N}{^*}) \geq \underset{x_N}\max f_N(x{_1}{^*}, \ldots, x_{N-1}{^*}, x_N). \]
Ces inégalités signifient qu’aucun joueur n’a intérêt à être le seul à déroger de sa stratégie d’équilibre. Un tel point d’équilibre s’appelle un équilibre de Nash.
Calcul des stratégies d’équilibre
Dans l’exemple du jeu, avec les stratégies \(x = (x_1, x_2)\) et \(y = (y_1, y_2, y_3),\) le gain de \(J_1\) est:
\[f(x, y) = x_1(2y_1 – y_2) + x_2(-2y_1 + 4y_2 + 3y_3).\]
Puisque \(x_1+x_2=1\) et \(y_1+y_2+y_3=1,\) on remplace \(x_1\) par \((1 – x_2)\) et \(y_3\) par
\((1 – y_1 – y_2)\). On obtient alors:
\[f(x, y) = 2y_1 – y_2 + x_2(2y_2 – 7y_1 + 3).\]
Puisque \(x_2 \in [0, 1],\) pour chaque \(y\) fixé,
\[\underset{x}\max f(x,y)= \left \{ \begin{array} {l c l} 2y_1-y_2 & & \text{si}\:2y_2-7y_1+3 \leq 0, \\ 2y_1-y_2+2y_2-7y_1+3 & & \text{sinon.} \end{array} \right .\]
Le \(\underset{y} \min \underset{x}\max f(x,y)\) sera atteint pour \(y_{1}^{∗}\) et \(y_{2}^{∗}\) tels que \(y_{2}^{∗}\) est le plus grand des \((y_1, y_2)\) vérifiant \(2y_2 – 7y_1 + 3 \leq 0\) et \(y_1 + y_2 \leq 1\).
On déduit que
\[y^* = \left ( \frac{5}{9}, \frac{4}{9}, 0 \right ). \]
On remarque que \(f(x,y^∗)=2/3\) pour tout \(x.\) On peut choisir
\[x^* = \left ( \frac{1}{2}, \frac{1}{2} \right ). \]
mais n’importe quel \(x\) aurait fait l’affaire. On réalise ainsi que, pour ce jeu, il n’y a pas unicité du couple de stratégies en équilibre.
John Forbes Nash Jr.
John Nash est né en 1928 à Bluefield en Virginie occidentale. En 1945, il a entrepris un baccalauréat en mathématiques à Carnegie Institute of Technology à Pittsburg.
En 1948, il a été admis à l’université Princeton dans le programme de Ph.D. en mathématiques. R.L. Duffin, professeur à Carnegie, avait envoyé une lettre de recommandation. Celle-ci ne contenait qu’une phrase: « This man is a genious ». En 1950, il a soutenu sa thèse: Non-cooperative games.
John Nash souffrait de schizophrénie. Cette maladie a grandement entravé ses travaux et sa carrière. Malgré cela, la contribution mathématique de John Nash est exceptionnelle.
En 1994, John Nash a reçu le prix Nobel d’économie pour les travaux de sa thèse.
En 2015, il a reçu le prix Abel (décerné par l’Académie norvégienne des sciences et lettres) (conjointement avec Louis Nirenberg, un mathématicien de renommée internationale, né en Ontario et diplômé de McGill). À leur retour d’Oslo, Nash et sa femme mouraient dans un accident de taxi.
Pour en s\(\alpha\)voir plus!
- Davis, Morton D., La théorie des jeux, Armand Colin, Paris, 1973.
- Rapoport, A., Théorie des jeux à deux personnes, Dunod, Paris, 1969.
- The Essential John Nash, Edité par Harold W. Kuhn et Sylvia Nasar, Princeton University Press, 2002.
- On pourrait aussi représenter les gains de \(J_2\) dans un tableau mais ce n’est pas utile puisque les gains de \(J_2\) sont les pertes de \(J_1\) et que toute l’information est contenue dans un seul tableau. ↩