Qui de nous n’a pas déjà regardé le soleil pour une évaluation sommaire du temps à notre disposition avant la tombée de la nuit? Avant l’avènement des horloges mécaniques et, plus récemment, des montres et horloges digitales, l’homme a longtemps utilisé le soleil pour savoir l’heure. En témoignent les nombreux cadrans solaires que l’on peut observer lorsque on parcourt la planète. Comment sont-ils construits?
Il existe de nombreux types de cadrans solaires: cadran vertical, horizontal, équatorial, etc. Il peut sembler simple de construire un cadran solaire: il suffit de planter un bâton dans la Terre et de tracer sur le sol les lignes de l’ombre du bâton aux différentes heures. On pourrait faire la même chose avec un élément porte-ombre, aussi appelé style ou gnomon installé dans un mur. Effectivement, le lendemain à midi, l’ombre du bâton ou du gnomon sera sur la ligne que vous aurez tracée la veille à midi. Mais en sera-t-il encore de même quelques mois plus tard lorsque le Soleil ne sera plus à la même hauteur dans le ciel parce qu’on a changé de saison? On comprend vite que pour qu’un cadran solaire soit exact toute l’année, il faut être précis dans sa construction.
Un cadran solaire indique l’heure solaire.
Qu’est-ce que l’heure solaire? Commençons par le midi solaire en un lieu donné sur la Terre. C’est le moment de la journée où le Soleil est le plus haut dans le ciel. Concrètement, cela correspond au moment où le Soleil passe dans le plan méridien du lieu.
Une première contrainte
On veut que, quelle que soit la hauteur du Soleil au midi solaire, l’ombre du style soit toujours le long de la même ligne dessinée sur le cadran. Puisqu’au midi solaire le Soleil est dans le plan méridien \(P_m\) du lieu, si le style est aussi dans ce plan, alors l’ombre du style sera dans ce plan. On a donc identifié notre première contrainte: le style doit être dans le plan méridien du lieu.
Et les autres heures?
Que signifie qu’il est 11h solaire en un lieu donné? La Terre fait un tour sur elle-même, soit une rotation de 360 degrés, en 24 heures. En une heure, la Terre tourne sur elle-même de 15 degrés.
Il est 11h solaire en un lieu donné quand il est midi en un lieu situé 15 degrés de longitude plus à l’est.
Il est 13h solaire, lorsqu’il est midi dans un lieu situé 15 degrés de longitude plus à l’ouest, etc.
Mais, le Soleil est très loin de la Terre… Alors, lorsqu’il est 11h solaire, on peut presque dire que le Soleil est dans un plan P’ faisant un angle de 15 degrés avec le plan méridien \(P_m\) du lieu. Appelons P’ le plan horaire de 11h. L’intersection de ce plan avec le plan méridien est une droite parallèle à l’axe de la Terre. Pour que l’ombre du Soleil soit toujours le long de la même ligne à 11h solaire tout au long de l’année, le style doit être dans le plan P’. Comme le style doit aussi être dans le plan P, le style doit être parallèle à la droite d’intersection des deux plans.
Le style doit donc être parallèle à l’axe de la Terre!
Mais, alors on a gagné ! Le style se trouve simultanément dans tous les plans horaires. La contrainte
que le style soit parallèle à l’axe de la Terre est la seule contrainte incontournable. Les autres sont plus des questions pratiques. Par exemple, on a intérêt à installer un cadran solaire dans un endroit où le style recevra le Soleil le plus longtemps possible pendant la journée.
La construction élémentaire d’un cadran solaire
On installe le plan du cadran et on fixe sur le cadran le style, de telle sorte qu’il soit parallèle à l’axe de la Terre. Le style doit pointer vers le nord et faire un angle de 90° – φ avec l’horizontale, où φ est la latitude. Ensuite, par une belle journée ensoleillée, on trace sur le cadran les lignes de l’ombre portée du style à chaque heure du jour. Mais, attention ! Il faut utiliser l’heure solaire et non l’heure de votre montre. Vous aurez deviné que, lorsque nous sommes à l’heure avancée, l’heure officielle n’est plus l’heure solaire. Il existe une deuxième cause d’erreur: l’heure solaire dépend exactement de la longitude du lieu et il faut ajuster dès qu’on se déplace vers l’ouest ou vers l’est. Il existe une troisième cause d’erreur, beaucoup plus subtile: l’équation du temps1. Nous y reviendrons ci-dessous.
Peut-on tracer les lignes horaires avant d’installer le cadran?
Oui! Mais à condition de bien placer le cadran. La façon de tracer les lignes du cadran dépend du type de cadran. Rappelons-nous la règle de base. Les lignes des heures doivent être dans les plans horaires qui sont parallèles aux plans méridiens correspondants. Donc, les lignes des heures sont les droites d’intersection des plans horaires contenant le style avec le plan du cadran.
Le cadran équatorial
Comme son nom l’indique, le plan du cadran équatorial est parallèle au plan de l’équateur.
Comme les plans méridiens sont perpendiculaires au plan de l’équateur, c’est également le cas des plans horaires. Les angles entre deux lignes horaires consécutives sont tous de 15 degrés. On peut donc les dessiner à l’avance: ces lignes se coupent en un point qui est la base du style. Le style est perpendiculaire au plan du cadran.
Au moment d’installer le cadran, il faut faire attention à le placer dans un plan parallèle à l’équateur, c’est-à-dire perpendiculaire au style, et à bien orienter la ligne correspondant à midi.
Le cadran vertical
C’est le cadran le plus commun. Si les lignes horaires sont tracées à l’avance, alors il faut installer le cadran orienté plein sud.
Si \(\phi\) est la latitude du lieu où le cadran sera installé, alors le style doit faire un angle de 90° – \(\phi\) avec le plan du cadran.La ligne correspondant à midi est verticale. Calculons la position des autres lignes horaires.
Les plans horaires sont perpendiculaires au plan équatorial et font des angles de 15° entre eux. Le plan du cadran fait un angle \(\phi\) avec le plan équatorial. Soit \(\alpha\) l’angle entre un plan horaire et le plan de midi qui est perpendiculaire à la droite D.
On voit que \(\tan \alpha = \displaystyle \frac{a}{b}\) et \(\tan \phi = \displaystyle \frac{c}{b}.\)
Soit \(\beta\) l’angle sur le cadran entre le plan horaire et le plan de midi. Alors, on a
\[\begin{array} {r c l} \tan \beta & = & \frac{a}{\sqrt{b^2+c^2}} = \frac{a}{\sqrt{b^2 \left ( 1+ \frac{c^2}{b^2} \right ) }} \\ &=& \frac{a}{b} \frac{1}{\sqrt{1+ \frac{c^2}{b^2}}} = \frac{\tan \alpha}{\sqrt{1+ \tan^2 \phi}}. \end{array}\]
Mais, \(1+ \tan^2 \phi = \displaystyle \frac {1}{\cos^2 \phi}.\). Donc, on obtient finalement
\[ \tan \beta = \tan \alpha \cos \phi.\]
On prend pour \(\alpha\) des multiples de 15 degrés de part et d’autre de la ligne du midi solaire.
Le cadran horizontal
C’est le même principe et nous vous laissons calculer dans la section problèmes que si \(\alpha\) est l’angle entre un plan horaire et le plan de midi, alors l’angle correspondant \(\beta\) dessiné sur le cadran est tel que
\[\tan \beta = \tan \alpha \sin \phi.\]
De l’heure solaire à l’heure officielle
Tel que mentionné plus haut, il faut ajuster l’heure. Les fuseaux horaires ont une largeur de 15°. Le fuseau de Greenwich est centré sur le méridien de longitude 0, et les autres fuseaux horaires sont en général centrés sur les méridiens de longitude 15, 30, 45, etc. Il y a des exceptions dues, entre autres, au fait qu’on évite le plus possible de changer de fuseau à l’intérieur d’un pays ou d’une province. L’heure officielle est déterminée par le centre du fuseau. Ainsi, la longitude de Montréal est 73,5° ouest, donc à 1,5° à l’est du centre du fuseau. Ceci confère à Montréal une avance de 6 minutes sur l’heure officielle du fuseau. Il est facile d’intégrer la correction de longitude dans la construction du cadran : il suffit de décaler les lignes horaires de 6 minutes.
Il faut aussi bien sûr tenir compte de l’heure avancée pendant la saison estivale et ajouter une heure à l’heure lue sur le cadran solaire.
La dernière correction est beaucoup plus subtile. On s’entend que les jours durent 24 heures mais, en fait, ce n’est que la du- rée moyenne des jours. La première cause de ce décalage est le fait que la Terre tourne autour du Soleil sur une ellipse. Lorsqu’elle est proche du Soleil, autour du 4 janvier, elle va plus vite sur son orbite et les jours sont plus longs. On accumule un retard sur l’heure officielle pendant cette période. La deuxième cause du décalage est l’obliquité de l’axe de la Terre. Les détails se trouvent dans l’article « L’équation du temps2 »: on appelle équation du temps la différence entre le midi officiel (ou midi moyen) et le midi solaire. Sa valeur en tout temps de l’année est donnée par le graphique ci-dessous qui illustre bien les deux composantes.
On obtient donc finalement l’équation
Heure officielle = heure solaire
+ correction de longitude (en minutes)
+ nombre d’heures d’avance sur le soleil
+ équation du temps
On remarque l’analemme sur ce cadran, soit la courbe dessinée par les positions de l’ombre du style au midi solaire en chaque jour de l’année. Il permet de faire visuellement la correction de l’équation du temps mais cela requiert un peu de gymnastique: il faut déterminer sur quel point de l’analemme on est à midi et appliquer, pour toutes les lignes horaires, le même décalage latéral que pour la ligne de midi.
Chaque jour l’ombre de l’extrémité du style décrit une conique ou une droite.
Sur quel type de cadran? Nous verrons que c’est sur tous les types de cadran!
Pour cela, il nous faut faire un peu de gymnastique, du même type que celle utilisée lors de l’étude de l’équation du temps3. Imaginons un repère centré au centre de la Terre, dont les axes x et y sont dans le plan de l’équateur, l’axe x pointant vers la longitude 0, et dont l’axe des pôles est vertical. Alors, pendant une journée, nous voyons le Soleil faire un tour autour de la Terre. Pendant cette rotation, le Soleil fait un angle fixe avec le plan équatorial. Cet angle est appelé la déclinaison. Il varie selon la saison de –23,5° à 23,5°, prenant la valeur 0 aux équinoxes. La demi-droite joignant le Soleil au centre de la sphère décrit un cône.
Maintenant, poussons la gymnastique un peu plus loin. Le Soleil est si loin de la Terre que nous pouvons considérer que le Soleil tourne autour de la pointe du style. La demi-droite joignant le Soleil à la pointe du style balaie donc un cône à peu près en 24 heures. Le prolongement de chaque demi-droite correspond précisément aux points qui sont dans l’ombre portée du style en un instant donné. Les prolongements de ces demi-droites décrivent aussi un cône, que nous appellerons le cône d’ombre.
Et maintenant, nous avons gagné: la courbe décrite par l’ombre de l’extrémité du style est la courbe d’intersection du cône d’ombre avec le plan du cadran.
La courbe d’intersection d’un cône avec un plan est une conique.4
Quelles coniques pouvons-nous obtenir?
Cela dépend de la forme du cône, en particulier de son angle au sommet, et de l’angle du plan avec l’axe du cône.
Supposons que l’angle au sommet du cône soit \(2\theta\) et que le plan fasse un angle de \(\beta\) avec l’axe du cône et ne passe pas par le sommet du cône.
- Si \(\beta < \theta\), alors l’intersection est une branche d’hyperbole.
- Si \(\beta = \theta\), l’intersection est une parabole.
- Si \(\beta > \theta\), alors l’intersection est une ellipse.
Il y a aussi le cas limite où la déclinaison est nulle, ce qui correspond à un cône plat (soit \(2\theta\) = 180°). Dans ce cas-ci, l’intersection est simplement une droite.
Aux équinoxes, pendant une journée l’ombre de l’extrémité du style parcourt un segment de droite.
Regardons maintenant un cadran vertical comme sur la figure précédente. Si \(\phi\) est la latitude du cadran, nous avons vu que le cadran fait un angle de \(\phi\) avec le plan équatorial, donc un angle de \(\beta\) = 90° – \(\phi\) avec l’axe du cône d’ombre. De plus, si \(\delta\) est la déclinaison alors, θ = 90° – \(\delta\). On a donc:
- une branche d’hyperbole, si \(\phi\) > \(\delta\);
- une parabole, si \(\phi\) = \(\delta\);
- une ellipse, si \(\phi\) < \(\delta\).
Nous avons triché un peu ici, car nos angles, tant la latitude que la déclinaison, ont un signe. Le dessin précédent et les conditions ci-dessus sont valables pour l’été dans l’hémisphère nord.
Regardons maintenant la situation en hiver dans l’hémisphère nord.
Il faut rajouter des valeurs absolues pour couvrir toutes les saisons et les deux hémisphères. On a donc:
- une branche d’hyperbole, si \(|\phi|> |\delta|; \)
- une parabole, si \(|\phi|= |\delta|;\)
- une ellipse, si \(|\phi|< |\delta|.\)
Puisque la déclinaison ne dépasse pas 23,5° en valeur absolue, alors on est limité à une branche d’hyperbole (et le cas limite d’une droite) en dehors de la zone entre les tropiques du Cancer et du Capricorne, soit lorsque \(|\phi| >\) 23,5°. Par contre, entre les tr piques, on peut observer toute la panoplie des coniques selon la saison de l’année.
À vous maintenant de déterminer dans la section problèmes la forme des courbes décrites par l’ombre de l’extrémité du style pour les cadrans équatoriaux et horizontaux, ainsi que les conditions particulières (période de l’année et latitude) pour lesquelles on peut observer des paraboles et des ellipses.