Les formes symétriques, en 2D ou en 3D, ont toujours fasciné et intrigué les hommes. Cette fascination, manifeste dans l’étude des corps réguliers de Platon**1, a été utilisée par les artistes, les architectes, … et les charlatans pour des raisons très différentes. Comment sont constitués les cristaux ? Il a fallu deux siècles pour apporter des réponses satisfaisantes.
Les cristaux sont restés longtemps objets de fascination sans qu’on puisse expliquer leur structure. Johannes Kepler est le premier à s’intéresser à la question. En 1611, il publie L’Étrenne ou la neige sexangulaire (Strena, seu de nive sexangula), premier traité scientifique qui étudie les cristaux de neige. Kepler pense que l’on peut décrire leur arrangement hexagonal par un empilement optimal de sphères2. Dans Experimenta crystalli Islandici (1670), le danois Rasmus Bartholin (1625-1698) décrit la découverte de la biréfringence du spath d’Islande observable à l’œil nu.
Constance des angles
C’est à la fin du XVIIIe siècle que débute l’étude géométrique des cristaux. Romé de l’Isle (1736-1790) confie à Arnould Carangeot (1742-1806) la tâche de mesurer l’angle dièdre (un angle entre deux plans) de différents cristaux. Celui-ci conçoit un goniomètre muni d’une alidade ou réglette mobile qui permet de mesurer précisément les angles dièdres. Ces mesures permettent à Romé de l’Isle d’énoncer la première loi sur la structure des cristaux. Dans son traité de Cristallographie, ou description des formes propres à tous les corps du règne minéral, édité en 1772, il énonce la loi de la constance des angles:
Les angles entre les faces naturelles des cristaux se conservent, pour un corps donné, d’un échantillon à l’autre.
Cette loi est cependant insuffisante pour décrire les diverses formes cristallines.
Processus de croissance
Dans l’histoire des sciences, on rencontre parfois des événements fortuits qui ouvrent de nouvelles voies à la recherche. René-Just Haüy* (1743-1822), en examinant un échantillon de calcite, échappe malencontreusement le cristal qui se brise en plusieurs morceaux. Haüy constate que tous les morceaux conservent la même forme; il vient de découvrir le phénomène de clivage des cristaux. Pour étudier plus en détail ce phénomène, il procède, dit-on, à la multiplication des cristaux de sa collection à coups de marteau. Cette étude systématique lui permet de développer une théorie sur la structure des cristaux qu’il publie sept ans plus tard. Sa conclusion est que la régularité des formes extérieures d’un cristal reflète exactement l’arrangement des éléments qui le constituent. Il appelle « molécules constituantes » les unités de volume de matière qui, empilées forment le cristal, et il démontre la loi de constance des angles observée par Romé de l’Isle.
Il en vient à la conclusion que les cristaux naturels sont constitués par l’empilement régulier de plusieurs molécules constituantes qui s’emboîtent parfaitement pour constituer un solide homogène. Les molécules constituantes forment des couches parallèles qui sont des couches de croissance. Le nombre de parallépipèdes formant chacune des couches est décroissant, les faces d’un cristal sont donc formées de minuscules gradins, et l’empilement successif lui permet d’expliquer un grand nombre de formes naturelles comme l’illustrent les étapes de croissance des deux dodécaèdres à droite. Un élève de Haüy, Gabriel Delafosse a introduit le terme « maille élémentaire » pour désigner la molécule constituante.
Réseaux de Bravais
À partir des sept types de prismes susceptibles de remplir l’espace sans laisser de vide, Auguste Bravais* (1811-1863) a identifié 32 classes de symétrie. Celles-ci sont réparties en 14 types de réseaux regroupés en 7 systèmes cristallins caractérisés par la forme de la maille élémentaire3.
Pour étudier et décrire les systèmes cristallins, il est pratique de recourir à leurs axes de référence et à leurs symétries. Les axes de référence sont trois axes imaginaires parallèles aux faces du cristal. La direction et la longueur de ces trois axes sont en relation avec trois arêtes concourantes d’une maille élémentaire.
Structure atomique
La découverte des atomes au début du XXe siècle a permis de comprendre la nature des cristaux. En 1906, Willam Barlow et William Pope émettent l’hypothèse selon laquelle la forme des cristaux est définie par l’arrangement des atomes sphériques qui en sont les constituants élémentaires. Cette hypothèse a été confirmée par les travaux de Max von Laue* (1879-1960). À l’époque, la nature des rayons X était mystérieuse. S’agissait-t-il d’ondes ou de matière? Pour von Laue, si les rayons X étaient des ondes, ils devraient être diffractés par les cristaux. Ce phénomène se produit également avec la lumière, mais la longueur d’onde des rayons X est de 1000 à 10000 fois plus courte que celle de la lumière, et le phénomène de diffraction se produit avec des objets de même taille que les atomes ou les molécules de matière de l’ordre du nanomètre (10–9 m). Von Laue et ses collègues ont obtenu la première figure de diffraction des rayons X en faisant traverser un cristal de blende (sulfure de zinc) par un faisceau de rayons X. Cette expérience a montré que les rayons X sont bien des ondes et que les atomes sont périodiquement organisés au sein des cristaux, confirmant ainsi les résultats des travaux de Hauy et de Bravais. La diffraction des rayons X comme méthode d’étude des cristaux a été développée par Henry Bragg et son fils Laurence*. On sait maintenant que les figures de diffraction fournissent des informations précieuses sur la nature et la structure de l’objet causant cette diffraction.
La radiocristallographie est devenue la principale méthode d’étude de l’organisation des atomes et des molécules dans les cristaux. Elle a permis aux Anglais James Watson et Francis Crick de décrire la structure en double hélice de l’ADN et elle permet maintenant d’étudier, par exemple, la structure des protéines et des virus.
- Une astérisque accolée au nom d’un scientifique indique que l’on retrouve une note historique sur ce savant à l’adresse: http://www.lozedion.com/complements-dinfo/calcul-differentiel-sciences-nature/
Lorsque le nom est suivi de deux astérisques, on retrouve également une vidéo historique sur ce savant à la même adresse. ↩ - Voir « Savez-vous empiler des oranges? » dans le numéro 3, hiver-printemps 2008 d’Accromath. ↩
- Voir la description des réseaux de Bravais dans l’article « Cristaux » de ce numéro. ↩