Avez-vous déjà remarqué que le midi solaire, soit le moment où le soleil est au zénith, n’est pas toujours à la même heure selon la période de l’année ? La différence entre le midi solaire, soit le temps affiché par un cadran solaire, et le midi officiel (ou midi moyen) affiché par nos horloges, est appelée équation du temps. Ce phénomène a deux causes, l’une donnant un cycle de 365 jours, et l’autre un cycle de 182,5 jours.
Le Soleil est au zénith quand il est au plus haut au dessus de l’horizon. Ce moment, appelé midi solaire, se produit approximativement au milieu de la journée. Nous pouvons trouver sur Internet l’heure de lever et de coucher du Soleil à Montréal, chaque jour de l’année. Pour obtenir des chiffres comparables, nous considérerons toujours l’heure normale. Nous soustrairons donc une heure chaque fois que l’heure avancée aura été utilisée, soit entre le premier dimanche de mars et le premier dimanche de novembre. Nous calculons l’heure du milieu de la journée. Le tableau ci-dessous présente quelques données sur l’heure du midi solaire.
Les données montrent des oscillations d’amplitude d’au moins 30 minutes entre 11:38 le 1er novembre et 12:08 le 1er février et nous n’avons pas regardé tous les jours de l’année!
Nous voyons que nous avons deux manières de donner le temps. Le temps moyen est celui affiché par nos horloges. Le temps vrai est celui obtenu en divisant en 24 intervalles de durée égale le temps entre deux midis solaires consécutifs. On introduit donc la quantité:
temps moyen − temps vrai.
Cette quantité est appelée équation du temps. (En astronomie ancienne, on utilisait le mot « équation » pour désigner une correction ajoutée à une valeur moyenne pour obtenir une valeur vraie.)
Commençons par nous demander pourquoi nous supposons que le milieu du jour est toujours à la même heure. Nous faisons deux hypothèses:
- que la Terre tourne autour de son axe à vitesse constante dans le sens positif si son axe est dirigé vers le haut,
- que la Terre tourne autour du Soleil à vitesse constante dans le sens positif.
Sous ces hypothèses, la durée du jour, soit 24 heures, devrait être l’intervalle de temps entre deux moments successifs où le Soleil est au zénith en un point donné de la Terre. Si l’on tient compte de la rotation de la Terre autour du soleil, cette durée est un peu plus que la période de rotation de la Terre autour de son axe, car la Terre fait 366 tours sur elle-même en 365 jours.
Un premier effet: l’ellipticité de l’orbite terrestre
La deuxième hypothèse est fausse : par la première loi de Kepler, nous savons que la Terre parcourt une ellipse dont le Soleil est à un foyer. La deuxième loi de Kepler nous dit que le rayon vecteur balaie des aires égales en des temps égaux.
Alors, plus la Terre est près du Soleil, et plus sa vitesse est grande. En 2013, la Terre sera au périhélie, soit le plus près du Soleil, le 4 janvier, et à l’aphélie, soit le plus loin du Soleil, le 5 juillet. Donc, près du périhélie, comme la Terre va plus vite, les jours solaires sont plus longs que 24 heures. Par conséquent, d’un jour à l’autre, le midi solaire est de plus en plus tard. Ce phénomène nous donne le premier cycle de 365 jours annoncé.
Un deuxième effet: l’obliquité de l’axe de la Terre
La modélisation de la deuxième cause de l’équation du temps nous donnera un peu plus de fil à retordre. Ci-dessus, nous n’avons pas tenu compte du fait que l’axe de la Terre est incliné de 23,5 degrés par rapport au plan de l’écliptique, soit le plan dans lequel la Terre tourne autour du Soleil. La direction de l’axe de la Terre est fixe pendant sa révolution autour du soleil.
Suivant les périodes de l’année, ceci change l’heure du midi solaire, selon que l’axe est penché vers le soleil ou non. Pour réussir à quantifier cet effet, il va nous falloir faire un peu de gymnastique intellectuelle. Pour simplifier, nous allons travailler sous les hypothèses 1 et 2 ci-dessus.
Plaçons-nous dans un système d’axes dont l’origine est au centre de la Terre, dont le plan horizontal est le plan de l’équateur, et dont l’axe vertical est l’axe de rotation de la Terre passant par les pôles. Nous nous imaginons au centre d’une immense sphère, la sphère céleste, sur laquelle se trouvent le Soleil et les étoiles.
Alors, nous voyons le Soleil tourner autour de la Terre. Si l’axe de la Terre n’était pas incliné, nous verrions le soleil décrire l’équateur de la sphère céleste à vitesse constante. Nous appelons ce mouvement le Soleil moyen. Mais, comme l’axe de la Terre est incliné, le Soleil décrit, également à vitesse constante, un grand cercle de la sphère céleste situé dans le plan de l’écliptique, lequel fait un angle de \(\delta\) = 23,5° avec le plan horizontal.
Ces deux plans se coupent selon l’axe vernal, et les points d’intersection des deux cercles correspondent à la position du Soleil aux équinoxes. Le Soleil vrai parcourt le grand allons maintenant considérer le vecteur \(\vec{S}_m\) joignant le centre de la sphère au soleil moyen, et le vecteur \(\vec{S}_v\) joignant le centre de la sphère au soleil vrai. Maintenant, la Terre tourne sur elle-même autour de son axe. Considérons un demi-plan méridien passant par un point de la Terre: c’est un plan vertical contenant l’axe de la Terre qui coupe la Terre selon un méridien.
Il est midi sur ce méridien quand le Soleil, et donc le vecteur \(\vec{S}_v,\) sont contenus dans ce demi-plan.
Projetons maintenant le grand cercle incliné et le vecteur \(\vec{S}_v\) sur le plan de l’équateur que l’on va regarder du dessus (voir figure). Soit \(\vec{s}_v,\) la projection du vecteur \(\vec{S}_v\) dans le plan équatorial: ce vecteur est aussi dans le plan méridien. L’angle \(\alpha\) entre le vecteur \(\vec{S}_m\) et le vecteur \(\vec{s}_v\) correspond au décalage entre le midi solaire et le midi moyen. Si cet angle est négatif, ce qui est le cas au printemps et à l’automne, comme la Terre tourne dans le sens positif, un point de la Terre passe au soleil vrai, avant de passer au soleil moyen, et donc le midi solaire est plus tôt que le midi moyen. Si cet angle est positif, c’est le contraire. On voit que l’angle \(\alpha\) s’annule quatre fois par an, soit aux équinoxes et aux solstices.
Quel est le décalage en temps entre le midi solaire et le midi moyen? La Terre fait une rotation de 360 degrés en 24 heures, soit 15 degrés à l’heure, ou encore 1 degré en 4 minutes. Donc le décalage en minutes est donné par \(4\alpha,\) où l’angle \(\alpha\) est donné en degrés. Il ne nous reste plus qu’à calculer \(\alpha.\)
Calcul de l’angle \(\alpha\)
Pour cela nous allons prendre deux repères orthonormés. Dans le premier, les axes x et y sont dans le plan de l’équateur, que nous supposerons horizontal. L’axe x est l’axe vernal orienté du centre vers l’équinoxe de printemps. L’axe y est perpendiculaire et dirigé vers le solstice d’été et l’axe z vertical dirigé vers le haut. Dans le deuxième, les axes x’ et y’ sont dans le plan de l’écliptique qui contient le Soleil vrai et qui est incliné de \(\delta\) =23,5° par rapport au plan précédent. L’axe x’ est encore l’axe vernal, l’axe y’ fait un angle de 90° avec l’axe x’ dans ce plan, et l’axe z’ est perpendiculaire à ce plan et dirigé vers le haut. Pour faire les calculs nous supposerons que le rayon de la sphère céleste est 1, ce qui n’a aucune incidence sur le résultat.
Le Soleil moyen tourne à une vitesse angulaire de 360° par an. Si le temps t est en années, alors la position du soleil moyen au temps t est donnée par
\[(x, y, z) = (\cos 360t, \sin 360t, 0).\]
Par le même argument, la position du soleil vrai dans le deuxième système d’axes est donné par
\[(x’, y’, z’) = (\cos 360t, \sin 360t, 0). (^*)\]
Si \(\vec{i}’, \vec{j}’\) et \(\vec{k}’\) sont les vecteurs du deuxième repère, on a donc
\[\vec{S}_v =\cos 360t \vec{i}’ + \sin360t \vec{j}’.\]
Soient \(\vec{i}’, \vec{j}’\) et \(\vec{k}’\) les vecteurs du premier repère. Aors \( \vec{i}’ = \vec{i} , \vec{j}’= \cos \delta j + \sin \delta \vec{k}.\)
On en tire
\[\vec{S}_v = \cos 360t \vec{i} + \sin 360t(\cos \delta \vec{j} + \sin \delta \vec{k}),\]
ce qui donne
\[\vec{s}_v = \cos 360t \vec{i} + \sin 360t \cos \delta \vec{j}.\]
On a aussi:
\[\vec{S}_m = \cos 360t \vec{i} + \sin 360t \vec{j}.\]
Le produit scalaire de ces deux vecteurs est donc
\[\vec{s}_v \cdot \vec{S}_m = (\cos 360t)^2+ (\sin 360t)^2 \cos \delta.\]
Il vaut aussi
\[\vec{s}_v \cdot \vec{S}_m = \cos \alpha |\vec{s}_v| |\vec{S}_m|.\]
D’où
\[\cos \alpha = \displaystyle \frac{ (\cos 360t)^2 +(\sin 360t)^2 \cos \delta}{\sqrt{(\cos 360t)^2 +(\sin 360t \cos \delta)^2}}.\]
En tenant compte du signe de \(\alpha\) (négatif au printemps et à l’automne et positif en été et en hiver), ceci nous permet de calculer \(\alpha(t)\) (en degrés), où \(t = 0\) correspond à l’équinoxe de printemps:
Le décalage en minutes par rapport au midi moyen est donné par 4 fois \(\alpha(t).\) Voici son graphe:
Comment composer les deux effets?
L’effet composé est un peu différent de la somme des deux effets, même si cette somme fournit une bonne approximation du phénomène. En fait, il suffit de modifier le développement de notre encadré. La seule chose qui change c’est l’équation (*). La vitesse du Soleil étant variable, on doit remplacer 360t par la fonction \(\theta(t),\) où \(\theta(t)\) représente l’angle du soleil sur son orbite au temps t. Tout le reste du raisonnement est identique, mais le calcul de \(\theta(t)\) est numérique. Même numériquement ce n’est pas simple, car ce qui se calcule naturellement, c’est la fonction inverse \(t(\theta).\) Ceci est fait dans l’encadré sur la vitesse angulaire.
Voici enfin le graphe de l’équation du temps qui résume l’ensemble du phénomène sur une année.
Lorsque les anciens explorateurs calculaient la longitude de leur position, ils évaluaient l’heure du midi solaire de leur position en utilisant que c’est le moment où le soleil est au zénith. Ils comparaient ensuite cette heure à l’heure du midi solaire au méridien de Greenwich. Si leur montre marquait l’heure moyenne du méridien de Greenwich, il leur fallait tenir compte de l’équation du temps!
Vitesse angulaire de la Terre sur son orbite elliptique
Pour faire le calcul aisément, il faut considérer l’équation de l’ellipse en coordonnées polaires dans un repère centré à un foyer de l’ellipse. Si la demi-droite issue du foyer à l’origine vers l’autre foyer fait un angle \(\theta_0\) avec le demi-axe x horizontal, et si \((r, \theta)\) sont les coordonnées polaires d’un point de l’ellipse, alors celles-ci satisfont à
\[r= \displaystyle \frac{A}{1−e \cos(\theta−\theta_0)}, \]
où e est l’excentricité de l’ellipse. (Rappelons que si $a$ et $b$ sont les demi-axes de l’ellipse et si $a > b,$ alors
\[e= \displaystyle \frac{\sqrt{a^2−b^2}}{a}.\]
Considérons un petit secteur balayé par le rayon vecteur d’angle $d \theta.$ Il est facile de se convaincre que l’aire de ce secteur est environ \(\displaystyle \frac{1}{2}r^2 d \theta\) Comme \(d \theta = \displaystyle \frac{d \theta}{dt}dt,\) l’aire parcourue en un temps $dt$ est environ \(\displaystyle \frac{1}{2}r^2 \displaystyle \frac{d \theta}{dt}dt.\) Par la deuxième loi de Kepler, cette aire est proportionnelle à $dt.$ Il faut donc que la quantité \(\displaystyle \frac{1}{2}r^2 \displaystyle \frac{d \theta}{dt}\) soit constante, égale à un nombre C. D’où
\[\displaystyle \frac{d \theta}{dt}= \frac{2C}{r^2}= \frac{2C}{A^2}(1-e \cos (\theta-\theta_0))^2\]
qui est une équation différentielle à variables séparables.
Pour la résoudre, on l’écrit sous la forme
\[\displaystyle \frac{A^2}{2C} \frac{d \theta}{ (1−e \cos(\theta-\theta_0))^2}=dt,\]
Si \(\theta(0) = 0\) alors, en intégrant des deux côtés on obtient
\[\int_{0}^t ds = \int_0^{\theta}\frac{A^2}{2C} \frac{d \tau}{ (1−e \cos(\tau-\theta_0))^2}.\]
L’excentricité e de l’orbite terrestre est variable. En ce moment, elle vaut environ 0,017. Aussi \(\theta_0 ≈ 104,55°.\) Le côté droit ne peut s’intégrer que numériquement. Pour déterminer les valeurs de A et de C, on utilise que la période est un an. Donc, on veut \(t = 1\) quand \(\theta = 360°.\) Comme
\[\int_0^{2 \pi} \frac{d \tau}{ (1−e \cos(\tau-\theta_0))^2} = 6,285 \, 91,\]
on prend donc \(\displaystyle \frac{2C}{A^2}= 6,285\,91.\)