La constante 22/7 a longtemps été utilisée afin d’exprimer la circonférence du cercle en fonction de son diamètre. Connue de tous les écoliers jusqu’à des temps très récents, c’est dans un court traité dû à l’un des mathématiciens les plus importants de l’Antiquité que cette remarquable approximation de \(\pi\) a été introduite, sa justification faisant intervenir tant des arguments géométriques élémentaires que de fascinantes prouesses numériques.
On doit au Grec Archimède1 (~287-~212) et à son appétit insatiable des mathématiques une douzaine de traités qui constituent autant de monuments de la littérature mathématique de l’Antiquité. Plusieurs de ces ouvrages se présentent sous des titres résolument évocateurs, tels que De la sphère et du cylindre, Des spirales, La quadrature de la parabole ou encore La méthode relative aux théorèmes mécaniques, pour n’en nommer que quelques-uns.
Dans son opuscule intitulé De la mesure du cercle, Archimède expose trois propositions
dépeignant le cercle de manière aussi astucieuse que jolie2. Nous abordons ici la dernière de ces propositions, dans laquelle le Syracusain coince la circonférence du cercle entre deux bornes remarquablement fines. L’argumentation que déploie Archimède afin de justifier ce résultat, bien que passablement dense, permet de goûter la saveur des mathématiques de l’époque. Nous suivons de près dans ce texte la démarche archimédienne.
Une circonférence bien encadrée
La troisième proposition du traité De la mesure du cercle renferme l’une des plus célèbres approximations du nombre \(\pi\) le fameux 22/7, toujours d’intérêt aujourd’hui en raison de sa grande simplicité et susceptible même d’être utilisé en pratique, quand le niveau de précision visé n’est pas trop élevé. Cette valeur a été abondamment utilisée au fil des âges, notamment par Héron d’Alexandrie, au premier siècle de notre ère, ou encore par al-Khwarizmi, plus de mille ans après Archimède.
« Pour tout cercle, la multiplication du diamètre par trois et un septième est la circonférence qui l’entoure; ceci est une convention entre les gens, sans nécessité. »
– Al-Khwarizmi, Livre d’algèbre et d’al-muqabala, c. 820.3
De fait, Archimède introduit dans cette troisième proposition deux bornes pour la circonférence d’un cercle en termes de son diamètre, bornes qui, il convient de le souligner, font non seulement montre d’une précision inégalée dans un tel contexte historique, mais sont également les plus anciennes dont la justification nous soit parvenue. En dépit de son caractère un brin vieillot, il convient sans doute de s’arrêter à la façon même dont l’éminent géomètre grec énonce son résultat:
Le périmètre de tout cercle vaut le triple du diamètre augmenté de moins de la septième partie, mais de plus des dix soixante et onzièmes parties du diamètre.
On aura reconnu dans la première partie de cet énoncé le 22/7 au cœur du présent texte. Étant donné un cercle de circonférence C et de diamètre d, le résultat d’Archimède peut donc s’écrire, en notation moderne:
\[3 \frac{10}{71} \times d < C < 3 \frac{10}{70} \times d.\]
(On a utilisé ici deux fractions de même numérateur afin de mieux faire ressortir la finesse de l’encadrement obtenu par Archimède.) Habitués comme nous le sommes aujourd’hui de penser à \(\pi\) via une représentation décimale telle 3,1416 (voire 3,1415926536, valeur que nous révèle immédiatement la plus élémentaire des calculatrices), les deux approximations obtenues par Archimède peuvent, à première vue, ne nous sembler que modérément percutantes. Il suffit pourtant de se rappeler le cadre dans lequel évoluait Archimède, et en particulier le système de numération peu performant utilisé en Grèce antique, pour apprécier toute la force de son résultat, et comprendre les prouesses numériques qu’il doit déployer pour l’obtenir.
L’argument d’Archimède est l’archétype des méthodes géométriques visant à obtenir \(\pi\)avec une précision de plus en plus fine. Il repose, dans un premier temps, sur l’idée d’approximer le cercle donné par des polygones réguliers bien choisis (circonscrits ou inscrits, selon la partie de la double inégalité précédente sous discussion). À cette fin, Archimède démarre avec un hexagone régulier, qu’il remplace successivement, en effectuant les bissections appropriées, par des polygones réguliers de 12, 24, 48, et enfin 96 côtés. À ce stade, il a atteint le niveau de précision souhaité, tout en demeurant dans un cadre numérique qui ne rend pas les calculs inabordables.
Un Québécois au \(\pi\)-nacle
En 1975, le Québécois Simon Plouffe (prix Reconnaissance 2004 de l’UQAM) s’est rendu célèbre en figurant dans le Livre des records Guinness pour avoir récité par cœur les 4096 premières décimales de \(\pi\) – une jolie puissance de 2, selon ses dires. Il a alors détenu le record mondial jusqu’en 1977. (Le record à ce jour, datant de 2005, dépasse les 67 000 décimales!!!) Simon Plouffe est reconnu aujourd’hui notamment pour la mise au point de méthodes numériques permettant de connaître la n-ième décimale de \(\pi\) sans avoir à calculer les précédentes, de même que pour l’« inverseur de Plouffe », un programme informatique permettant, à partir d’une suite de décimales, d’identifier un « réel remarquable » qui lui correspond en révélant une ou des formules dont il peut être issu (voir http://pi.lacim.uqam.ca/fra/).
La base géométrique de l’encadrement archimédien
Voyons comment Archimède obtient
\[3 \frac{1}{7} \times d\]
à titre de borne supérieure pour la circonférence. Considérons un cercle de centre O et de diamètre \(\overline{AH}\), ainsi que la tangente au cercle en A (coupant donc perpendiculairement le diamètre). Plaçons un point B sur cette tangente de telle sorte que l’angle BOA corresponde au tiers de l’angle droit, c’est-à-dire 30°.
Soulignons dès maintenant que les côtés du triangle rectangle BAO sont dans des rapports fort singuliers. En effet, comme ce triangle peut être vu comme un « demi-triangle équilatéral », on a
\[\frac{m(\overline{BO})}{m(\overline{AB})} = 2 \: \text{et} \: \frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AB})} = \sqrt{3}.\]
Cette dernière valeur numérique jouera un rôle-clé un peu plus loin. En raison de la valeur particulière choisie pour l’angle BOA, le segment \(\overline{AB}\) peut être vu comme le demi-côté de l’hexagone régulier circonscrit au cercle. Archimède amorce alors une série de bissections. Il introduit tout d’abord un point C sur \(\overline{AB}\) tel que le segment \(\overline{CO}\) coupe l’angle BOA en deux parties égales: le segment \(\overline{AC}\) est donc le demi-côté du dodécagone4 régulier circonscrit au cercle. De même, Archimède introduit les points D, E et F obtenus par bissections successives d’angles de sommet O, de sorte que finalement l’angle FOA vaut \((\angle BOA)/2^4\), soit 1/48 de l’angle droit.
Appelant G le point situé sur le prolongement de \(\overline{AB}\) et tel que l’angle AOG soit lui aussi égal à 1/48 de l’angle droit, on en conclut que l’angle FOG vaut la vingt-quatrième partie de l’angle droit, c’est-à-dire le quatre-vingt- seizième de l’angle plein: \(\overline{GF}\) est donc le côté du 96-gone régulier circonscrit au cercle.
La démarche purement géométrique à laquelle recourt Archimède jusqu’ici, en vue d’établir sa troisième proposition, n’a rien de vraiment étonnant et est assez typique de ce que savaient faire les géomètres de son temps. Mais là où l’argumentation prend une allure résolument nouvelle, c’est dans la façon dont Archimède « bricole » les cinq polygones réguliers qu’il a introduits afin d’en tirer des valeurs numériques audacieuses.
Prouesses numériques d’Archimède
Le véritable objectif d’Archimède n’est pas simplement de jouer avec des figures géométriques s’approchant du cercle, mais bien de mettre en lumière des valeurs numériques précises. Il lui faut donc introduire des longueurs bien choisies pour les côtés du triangle rectangle initial BAO, à l’origine de sa construction géométrique. Et c’est là que va intervenir le nombre \(\sqrt{3}\) mentionné précédemment, mais sous un déguisement numérique assez inusité.
Il n’existe aucun texte dans lequel Archimède explique comment il a obtenu les approximations dont il fait usage. Il ressort toutefois de ses propos qu’il disposait par exemple de l’encadrement
\[\frac{265}{153} < \sqrt{3} < \frac{1\,351}{780}\]
(dont le lecteur pourra à sa guise apprécier la précision décimale). Les spéculations quant à l’évaluation archimédienne de ces deux approximations abondent (voir, pour une lecture possible, l’encadré D’intrigantes approximations numériques).
S’inspirant de l’inégalité de gauche, Archimède démarre donc avec un triangle rectangle BAO tel que
\[\frac{m(\overline{BO})}{m(\overline{AB})}= 2 = \frac{306}{153},\]
de sorte que
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AB})}= \sqrt{3} > \frac{265}{153}.\]
L’environnement numérique de l’hexagone régulier circonscrit étant établi, s’enclenche alors un processus à la fois géométrique et numérique qu’Archimède répète pour chacun des polygones circonscrits, respectivement de 12, 24, 48 et 96 côtés (voir l’encadré Le cœur de l’argument d’Archimède).
Ultimement, dans le 96-gone régulier, Archimède obtient l’inégalité
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AF})} > \frac{4\,673\; 1/2}{153}.\]
Comme le diamètre \(\overline{AF}\) du cercle et le côté \(\overline{GF}\) de ce polygone satisfont la même inégalité, on en tire que
\[\frac{m(\overline{AH})}{96 \times m(\overline{GF})} > \frac{4\,673 \;1/2}{96 \times 153} = \frac{4\,673\; 1/2}{14\,688}.\]
D’intrigantes approximations numériques
Un des aspects marquants de l’éclatante démonstration que donne Archimède de sa troisième proposition réside dans l’utilisation – fort étonnante pour son époque – qu’il fait de certaines approximations numériques. Les deux approximations suivantes de \(\sqrt{3}\), qui semblent à prime abord issues de nulle part, inspirent le cours de l’argumentation archimédienne et se révèlent rien de moins que son point d’appui:
\[\frac{265}{153} < \sqrt{3} < \frac{1\,351}{780}.\: \: \: (^*)\]
Il n’existe cependant aucun argument éclairant de façon définitive la manière dont Archimède aurait obtenu ces deux valeurs d’encadrement. Une explication possible, voire plausible, repose sur des « formules » devenues populaires plusieurs siècles après Archimède. Nous ne disposons toutefois d’aucune certitude à l’égard du bagage connu à son époque quant aux relations numériques qui sous-tendent ces formules.
Ainsi (avec un soupçon d’anachronisme) permettons-nous de faire appel à la double inégalité5 suivante:
\[a \pm \frac{b}{2a} > \sqrt{a^2 \pm b} > a \pm \frac{b}{2a \pm 1}.\]
Les réflexions d’Archimède l’auront peut-être guidé successivement vers des approximations toujours plus serrées de part et d’autre de \sqrt{3}, un peu comme suit. Partant tout d’abord du fait que
\[3 = \frac{27}{9} = \frac{25+2}{9} = \frac{5^2}{3^2} + \frac{2}{9}, \]
on obtient
\[\sqrt{3} = \sqrt{ \left ( \frac{5}{3} \right )^2 + \frac{2}{9}} < \frac{5}{3} + \frac{2/9}{2(5/3)} = \frac{26}{15},\]
d’où il suit comme premier encadrement
\[\frac{5}{3} < \sqrt{3} < \frac{26}{15}.\]
De là, reprenant le 26/15 et misant cette fois sur le fait que
\[3 = \frac{675}{225} = \frac{26^2-1}{15^2},\]
on trouve
\[\sqrt{3} = \frac{1}{15} \sqrt{26^2-1} < \frac{1}{15} \left ( 26- \frac{1}{52} \right ) = \frac{1\,351}{780};\] et enfin, toujours à partir de 26/15, \[\sqrt{3} = \frac{1}{15} \sqrt{26^2-1} > \frac{1}{15} \left ( 26- \frac{1}{52-1} \right ) = \frac{265}{153},\]
ce qui nous donne la double inégalité \((^*)\).
Bien sûr, tout cela peut sembler un brin arbitraire. Mais on voit bien comment certains bricolages, à partir de méthodes de calcul faisant peut-être partie du folklore mathématique de son époque, auraient pu permettre à Archimède d’aboutir aux approximations qu’il introduit sans la moindre piste d’explication.
Archimède se voit aussi contraint, dans sa démarche, d’approximer des racines carrées de grands nombres et il lance, encore une fois sans explication, des valeurs telles que
\[\sqrt{349\,450} >591 \frac{1}{8}\]
ou encore
\[\sqrt{5\, 472 \, 132 \frac{1}{16}} > 2\,339 \frac{1}{4}.\]
Ces approximations pourraient également se justifier par des raisonnements semblables à ceux que nous venons d’évoquer.6
Quels qu’aient été les moyens dont a effectivement usé Archimède pour pondre de telles approximations, l’important pour le lecteur d’aujourd’hui est de savoir apprécier toute l’ingéniosité numérique dont ce virtuose des mathématiques a dû faire preuve, considérant les limitations du système de numération avec lequel il devait composer.
Le cœur de l’argument d’Archimède
Plongeons-nous dans la portion de la preuve d’Archimède où le raisonnement porte sur le dodécagone régulier circonscrit au cercle. On sait déjà, en vertu des données sur l’hexagone, que
\[\frac{m(\overline{BO})}{m(\overline{AB})} = 2 = \frac{306}{153} \: \text{et} \: \frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AB})} = \sqrt{3} > \frac{265}{153}.\]
Comme \(\overline{CO}\) bissecte l’angle BOA, il s’avère, grâce à un théorème relatif à la bissectrice de l’angle d’un triangle7, que \(\overline{BO}\) est à \(\overline{AO}\) comme \(\overline{BC}\) est à \(\overline{AC}\). Ainsi
\[\frac{m(\overline{AO})+m(\overline{BO})}{m(\overline{AO})}= \frac{m(\overline{AC})+m(\overline{BC})}{m(\overline{AC})} = \frac{m(\overline{AB})}{m(\overline{AC})}, \]
de sorte qu’on obtient, en substituant les valeurs préalablement déterminées dans le cas de l’hexagone,
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AC})}=\frac{m(\overline{AO})+m(\overline{BO})}{m(\overline{AB})} > \frac{265+306}{153},\]
et conséquemment
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AC})} > \frac{571}{153}.\]
Passant à la puissance 2, on en tire que
\[\frac{m(\overline{AO})^2+m(\overline{AC})^2}{m(\overline{AC})^2} > \frac{571^2 + 153^2}{153^2}.\]
Il suffit dès lors d’appliquer le théorème de Pythagore puis d’extraire les racines carrées pour qu’apparaisse
\[\frac{m(\overline{CO})}{m(\overline{AC})} > \frac{\sqrt{349\,450}}{153} > \frac{591 \; 1/8}{153}.\]
Le fait d’avoir su borner les deux rapports
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AC})} \: \text{et} \: \frac{m(\overline{CO})}{m(\overline{AC})}\]
permet alors à Archimède d’attaquer le 24-gone. Ultimement, rendu au 96-gone, il arrive de façon similaire à l’inégalité
\[\frac{m(\overline{AO})}{m(\overline{AF})} > \frac{4\,673 \;1/2}{153}\]
mentionnée précédemment.
En d’autres termes, le rapport du périmètre du 96-gone au diamètre d du cercle est inférieur à
\[ \frac{14\,688}{4\,673 \; 1/2} = 3 + \frac {667 \; 1/2}{4\,673 \; 1/2} < + \frac{1}{7}.\]
Le périmètre du 96-gone circonscrit est donc inférieur à \(3 \frac{1}{7} \times d\). Comme la circonférence C du cercle est certes inférieure à ce périmètre, on en conclut bel et bien que \(C < 3 \frac{1}{7} \times d\). Pour la seconde inégalité énoncée dans la proposition, soit \[C >3 \frac{10}{71} \times d,\]
Archimède utilise une stratégie semblable. Il introduit des polygones réguliers inscrits de 6, 12, … , 96 côtés et base ses calculs numériques sur l’inégalité
\[ \sqrt{3} < \frac{1\,351}{780}.\]
Et la constance de \(\pi\) dans tout ça?
On a tenu pour acquis dans le présent texte que le rapport de la circonférence d’un cercle à son diamètre est constant8. Mais qu’en est-il, sur le plan historique, de la justification de ce fait?
Ce résultat est accepté depuis si longtemps qu’il semble difficile d’en trouver la trace exacte. Ainsi, il n’en est question explicitement ni chez Euclide ni chez Archimède. La mention la plus ancienne que nous ayons repérée se trouve chez Pappus d’Alexandrie (4e siècle de notre ère). On trouve en effet dans La Collection mathématique de Pappus (livre V, proposition 11) le résultat suivant: les circonférences de cercles sont entre elles comme les diamètres. Autrement dit, étant donné deux cercles de circonférence respective \(C_1\) et \(C_2\) et de diamètre \(d_1\) et \(d_2\), on a
\[\frac{C_1}{C_2} = \frac{d_1}{d_2}.\]
Il s’ensuit donc que quel que soit le cercle en cause, le rapport C/d est une constante, qui en est finalement venue à être désignée par le symbole \(\pi\).9 Il est intéressant d’observer que la preuve de Pappus repose essentiellement sur des résultats d’Euclide et d’Archimède: d’une part la proposition XII.2 des Éléments stipulant que les aires de cercles sont entre elles comme les carrés des diamètres, et d’autre part la proposition I du texte De la mesure du cercle dans laquelle Archimède établit un lien entre l’aire d’un cercle et sa circonférence.10
Quelques approximations
célèbres de \(\pi\)
Si 22/7 est sans contredit la fraction la plus célèbre servant à calculer l’aire d’un cercle à partir de son diamètre, de nombreuses autres valeurs ont été utilisées au fil des âges. Outre le 3 biblique, signalons entre autres 3 1/8 et 256/81 (respectivement chez les Mésopotamiens et les Égyptiens de l’Antiquité), 223/71 (Archimède, tel que vu ici), 377/120 (Ptolémée, 2e siècle) ou encore 355/113 (Zu Chongzhi, 5e siècle). On observera que cette dernière approximation est précise quant aux six premières décimales.
Tous ces résultats ont été obtenus par des méthodes géométriques, qui ont éventuellement permis, au 16e siècle, d’évaluer \(\pi\) avec une trentaine de décimales de précision. Mais ces méthodes géométriques ont ensuite cédé la place d’abord, à partir du 17e siècle, à des processus basés sur le calcul infinitésimal, puis dans des temps plus récents, à des techniques numériques faisant intervenir l’ordinateur. On connaît aujourd’hui plus des 200 milliards premières décimales de \(\pi\).
Une vision poétique de \(\pi\)
Diverses fantaisies ont été élaborées à partir des décimales de\(\pi\). L’une d’elles consiste à représenter ce nombre en poèmes, le nombre de lettres dans chacun des mots correspondant à une de ses décimales. Le poème le plus familier en français débute ainsi:
C’est bien parti! En voici quelques lignes de plus:
Que j’aime à faire apprendre un nombre utile aux sages!
Immortel Archimède, artiste, ingénieur,
Qui de ton jugement peut priser la valeur? Pour moi, ton problème eut de pareils avantages.
Le lecteur aura sans doute remarqué qu’il s’agit bel et bien d’alexandrins classiques, avec rimes, hémistiches et tout le tralala. À noter qu’une décimale 0 arrive bientôt: mais qu’à cela ne tienne, nos \(\pi\)–ttoresques poètes ont contourné la chose sans \(\pi\)-naillage en convenant d’y mettre un mot de dix lettres.
Les amants de \(\pi\) d’autres langues ne sont bien sûr pas en reste. Voici par exemple un échantillon en anglais:
How I want a drink alcoholic of course after the heavy chapters involving quantum mechanics
On ne sera pas surpris que \(\pi\) ait également attiré l’attention des passionnés de rébus. Ainsi on peut le voir se cachant dans le rapport
\[\frac {cheval}{oiseau}\]
En effet, en appliquant des propriétés naturelles d’associativité et de commutativité, le mot « cheval » devient successivement « (cheva)l », puis « (vache)l ». Or qu’est-ce une vache? Une bête à pis, pardi! Et qu’est-ce qu’un oiseau? Une bête à ailes. Il s’ensuit donc
\[\frac {cheval}{oiseau} = \frac{(vache)l}{oiseau} = \frac{(\beta \pi)l}{\beta l} = \pi.\]
CQFD!
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
- Le texte du traité De la mesure du cercle d’Archimède (avec quelques commentaires) est paru en français dans VER EECKE, Paul. Les œuvres complètes d’Archimède, tome 1 (p. 127-134). Liège, Vaillant-Carmanne, 1960. Il est disponible sur internet via le site « Le kangourou des mathématiques » à l’adresse http://www.mathkang.org/maths/txtarchimede.html
- Le même texte est disponible en anglais dans HEATH, Thomas L. The Works of Archimedes (p. 91-98). New York, Dover, 1953. L’introduction de Heath à l’ensemble des œuvres d’Archimède (qui fait près de 200 pages) contient entre autres de précieux commentaires sur les calculs sous-jacents à la proposition 3 du traité d’Archimède.
- Une référence classique sur Archimède et son œuvre est
JAN DIJKSTERHUIS, Eduard. Archimedes. Princeton University Press, 1987. - De nombreux livres traitent du nombre \(\pi\) sous diverses facettes. Signalons notamment
DELAHAYE, Jean-Paul. Le fascinant nombre \(\pi\). Belin: Pour la science, 1997.
BERGGREN, Lennart, BORWEIN, Jonathan et BORWEIN, Peter. Pi: A Source Book. Springer, 1997.
- On trouvera deux textes consacrés à Archimède dans le volume 2 (hiver-printemps 2007) de la revue Accromath. ↩
- Aux dires des experts, il semble que seul un fragment du traité original d’Archimède soit parvenu jusqu’à nous. ↩
- Cité dans R. Rashed, al-Khwarizmi: Le commencement de l’algèbre, p. 204. (Éditions Albert Blanchard, 2007) ↩
- Alias 12-gone. ↩
- Aux dires de T.L. Heath dans The Works of Archimedes, introduction, p. lxxxii (Dover, 1953), Archimède était sans doute familier avec la substance de tels résultats, à défaut de la forme. L’inégalité de gauche est reliée à des techniques d’approximation d’une racine carrée remontant aux Mésopotamiens et présentées par l’un de nous (BRH) dans le texte « Extraction d’une racine dans un carrée » (Accromath, vol. 1, été-automne 2006, p. 16-19). ↩
- Voir à ce sujet T.L. Heath, op. cit., p. lxxxiv. ↩
- À la proposition 3 du livre VI de ses Éléments, Euclide montre que dans un triangle, la bissectrice d’un angle coupe le côté opposé en deux segments dont le rapport est celui des deux côtés restants du triangle. ↩
- La constance du rapport circonférence/ diamètre revient au fait que la circonférence d’un cercle peut être obtenue en multipliant le diamètre par une constante bien choisie (le célèbre nombre \(\pi\)). ↩
- À noter que l’emploi du symbole \(\pi\) (première lettre du mot grec pour périmètre) ne remonte qu’au 18e siècle et est dû à un certain William Jones. Il a été popularisé par Leonhard Euler dans son célèbre Introductio in analysin infinitorum (1748). ↩
- En notation moderne: l’aire d’un cercle de rayon r et de circonférence C est rC/2. Cette proposition fera l’objet d’un prochain texte. ↩