Comment mesure-t-on la taille d’un objet géométrique? Pour des sous-ensembles du plan, on utilise le périmètre, le diamètre, l’aire, etc. Ces concepts ne suffisent pas pour des objets aussi complexes que les fractals, même s’ils ne sont pas sans intérêt. Comment quantifier la complexité des fractals? La dimension permet de le faire. Nous allons nous concentrer sur deux fractals : le tapis de Sierpinski de base égale à sa hauteur et le flocon de von Koch. 1
Quelle est l’aire du tapis de Sierpinski?
Le tapis de Sierpinski s’obtient par itération : on commence avec un triangle et on enlève le triangle du milieu. Il reste trois triangles. Dans chacun on enlève le triangle du milieu, etc. Nous laissons pour la section problèmes de vérifier que l’aire du triangle de Sierpinski est nulle!
Quelle est la longueur du flocon de von Koch?
Lui aussi s’obtient par itération. À chaque étape de l’itération on remplace un segment par un groupe de quatre segments, chacun de longueur égale au tiers de la longueur du segment initial.
Nous laissons pour la section problèmes de vérifier que la longueur du flocon de von Koch est infinie!
Ces fractals sont bien étranges! Effectivement, savoir que la longueur du flocon de von Koch est infinie nous dit que l’objet est complexe puisqu’il est situé dans un domaine fini. Avant de donner plus d’information sur ces objets en les décrivant à l’aide de leur dimension, commençons par donner une application.
La nature se sert de ces propriétés étranges!
De même que le flocon de von Koch est une courbe fractale de longueur infinie dans une surface finie, on peut imaginer qu’une surface d’aire infinie soit logée dans un volume fini. En s’arrêtant après quelques étapes dans une construction itérative comme les précédentes, on peut donc obtenir une très grande aire. Eh bien, la surface externe de l’intestin grêle est d’environ 0,5 $m^{2}$, alors que sa surface interne est de l’ordre de 300 $m^{2}$!
Cette très grande surface permet de maximiser l’absorption intestinale. Il en est de même de la surface des alvéoles à l’extrémité des bronchioles dans les poumons qui est d’environ 100 m2. Puisque l’arbre des bronches est de nature fractale, la surface totale des alvéoles est très grande, permettant ainsi de maximiser les échanges gazeux.
Comment peut-on décrire formellement le concept de dimension?
On commence avec notre intuition qui nous suggère que les courbes lisses sont de dimension 1, les surfaces lisses de dimension 2, et les volumes pleins de dimension 3. Donc, toute bonne définition de la notion de dimension doit donner 1 pour les courbes lisses, 2 pour les surfaces, et 3 pour les volumes pleins.
Voici une méthode pour définir la dimension d’un objet du plan : on recouvre un objet avec de petits carrés identiques. Considérons le cas d’une courbe.
• Si on prend des carrés de côté deux fois plus petits, on a besoin d’environ deux fois plus de carrés pour recouvrir la courbe.
• Si on prend des carrés de côté trois fois plus petits, on a besoin d’environ trois fois plus de carrés pour recouvrir la courbe.
• …
• Si on prend des carrés de côté n fois plus petits, on a besoin d’environ n fois plus de carrés pour recouvrir la courbe. Remarquons que n = $n^{1}$.
Regardons maintenant le cas d’une surface.
• Si on prend des carrés de côté deux fois plus petits, on a besoin d’environ quatre fois plus de carrés pour recouvrir la surface.
• Si on prend des carrés de côté trois fois plus petits, on a besoin d’environ neuf fois plus de carrés pour recouvrir la surface.
• …
• Si on prend des carrés de côté n fois plus petits, on a besoin d’environ $n^{2}$ fois plus de carrés pour recouvrir la surface.
On voit donc que la dimension semble être l’exposant. Cette manière de voir nous amène à définir la dimension ainsi.
Un sous-ensemble du plan est de dimension d si, quand on prend des carrés de côté n fois plus petits, on a besoin d’environ $n^{d}$ fois plus de carrés pour recouvrir le sous-ensemble.
Deux remarques :
• Nos carrés auraient pu être penchés. Ils auraient aussi pu se chevaucher sans que cela ne change la dimension obtenue.
• Au lieu de carrés on aurait pu utiliser seulement des rectangles avec un rapport donné de la longueur sur la largeur sans que cela ne change la dimension obtenue.
Tous les objets n’ont pas nécessairement de dimension si la « densité » de l’objet varie lors de zooms successifs. Mais les objets autosimilaires comme les fractals ont en général une dimension qui, le plus souvent, n’est pas un entier.
Calculons maintenant la dimension du triangle de Sierpinski avec notre définition.
• On a besoin d’un carré de côté égal à la base du triangle de Sierpinski pour le recouvrir.
• On a besoin de trois carrés de côté égal à la moitié de la base du triangle de Sierpinski pour le recouvrir.
• On a besoin de neuf carrés de côté égal au quart de la base du triangle de Sierpinski pour le recouvrir.
• On a besoin de 27 carrés de côté égal au huitième de la base du triangle de Sierpinski pour le recouvrir.
Remarquons que :
$$3= 2^{\frac{\log(3)}{\log(2)}}, 9= 4^{\frac{\log(3)}{\log(2)}}, 27= 8^{\frac{\log(3)}{\log(2)}}, \text{ etc. }$$
En effet,
$$2^{\frac{\log(3)}{\log(2)}} = e^{\log(2) \frac{\log(3)}{\log(2)}} = e^{\log(3)} = 3$$
ce qui suggère que
$$d = \frac{\log(3)}{\log(2)} \approx 1.585$$
Passons maintenant au flocon de von Koch.
Ce n’est pas tout à fait aussi simple! En effet, si on utilise des carrés dont le côté a la longueur d’un segment d’une itérée dans la construction du flocon, alors certains carrés recouvriront un segment, tandis que près d’une pointe du flocon un même carré pourra recouvrir deux segments. Tout serait tellement plus simple si on utilisait à chaque étape autant de « tuiles » que de segments dans l’itérée du flocon de von Koch! C’est ici que notre seconde remarque entre en jeu ! On va utiliser des tuiles rectangulaires dont la longueur est un segment d’une itérée et la largeur trois fois moindre.
Alors, à chaque itérée, on aura autant de rectangles que de segments et, si ces rectangles sont placés sur l’extérieur, ils couvriront les nouvelles pointes du flocon que nous ne manquerons pas d’ajouter dans les itérées suivantes.
Ainsi, à chaque itérée, on a besoin d’autant de rectangles que de segments. Au départ, le triangle avait trois segments. À chaque itérée, on a multiplié le nombre de segments par 4 et donc, on a multiplié le nombre de rectangles par 4. On a aussi utilisé des rectangles de côté 3 fois plus petits. Puisque
$$4 = 3^{\frac{\log(4)}{\log(3)}}$$
alors on conclut que la dimension du flocon de von Koch est
$$d= \frac{\log(4)}{\log(3)} \approx 1.26$$
La dimension donne une mesure de la complexité et/ou de la densité d’un objet fractal. Les deux objets que nous avons considérés sont « plus qu’une courbe et moins qu’une surface ». Ceci se traduit par le fait que leur dimension est supérieure à 1, mais inférieure à 2. De plus, on sent que le triangle de Sierpinski est plus dense que le flocon de von Koch qui ressemble à une courbe épaissie. De fait, sa dimension fractale est supérieure.
La notion de dimension est un outil utile pour les scientifiques.
Par exemple, le réseau de capillaires n’est pas le même au voisinage d’une tumeur qu’ailleurs dans le corps.
Les scientifiques tentent de quantifier ceci à l’aide de la dimension fractale, de manière à améliorer les diagnostics que l’on peut réaliser par le biais de seules images médicales.
Il est connu que les athlètes de haut niveau sont plus sensibles à l’asthme que la population en général.
Pourquoi ? Le mathématicien Benjamin Mauroy a étudié la structure de l’arbre des bronches et tenté de caractériser le poumon idéal. La trachée-artère se divise en deux bronches, chacune d’elles se divisant en deux bronches, etc.
En tout, il y a 17 niveaux de bronches avant d’arriver aux acini où se font les échanges gazeux entre l’air et le sang. Si les bronches sont trop étroites, alors la pression augmente quand l’air pénètre au niveau suivant, ce qui accentue la force nécessaire pour respirer. Mais si elles sont trop larges, alors le volume des bronches augmente trop. Le poumon optimal devrait donc avoir le volume minimal nécessaire pour que la pression n’augmente pas quand l’air pénètre dans les bronches. Le poumon humain a un volume supérieur à celui du poumon idéal. Pourquoi? Ce poumon idéal est dangereux en cas de pathologie, comme l’asthme, causant une diminution du diamètre des bronches ou bronchoconstriction. Donc, le poumon humain possède une marge de sécurité qui nous protège en cas de bronchoconstriction. Mais, les poumons des athlètes de haut niveau sont plus près du poumon idéal, ce qui explique leur plus grande vulnérabilité. Peut-être qu’une pression supérieure améliore la descente de l’air jusqu’aux acini et favorise les échanges gazeux?
Dimension d’un objet dans l’espace
On utilise des cubes (ou encore des parallélépipèdes rectangles) plutôt que des carrés pour recouvrir l’objet. Remarque : comme le plan est plongé dans l’espace, on aurait pu utiliser des cubes pour recouvrir un sous-ensemble du plan. Cela n’aurait pas changé sa dimension !
- Cet article est la version française d’une vignette écrite pour le projet Klein: www.kleinproject.org ↩