La force de Coriolis agit perpendiculairement à la direction du mouvement d’un corps en déplacement dans un milieu lui-même en rotation uniforme, tel que la Terre. Elle n’est pas une force au sens strict, soit l’action d’un corps sur un autre, mais plutôt une force fictive. Elle ressort naturellement des mathématiques lorsque nous décrivons les équations du mouvement en un point fixe de la planète Terre qui tourne sur elle-même une fois à toutes les 24 heures.
Ligne droite ou courbée?
En l’absence de frottement, la trajectoire d’un ballon lancé à partir de la périphérie d’un caroussel vers son centre correspond à une ligne parfaitement droite pour un observateur juché sur la branche d’un arbre au-dessus du caroussel. Pourtant, un second observateur se trouvant sur le caroussel perçoit une trajectoire courbée. Lequel des deux observateurs a raison? En fait, ils ont tous deux raison car leur perception de la trajectoire du ballon dépend uniquement de leurs cadres de référence respectifs.
Cadres de référence inertiel et en rotation
En physique, un cadre de référence inertiel consiste en un système de coordonnées ne subissant aucune force nette. Selon la première loi du mouvement de Newton, un cadre de référence inertiel possède donc une vitesse nulle ou encore une vitesse rectiligne constante. Il s’agit en fait d’un concept théorique, car la force de gravité est présente partout dans l’univers et affecte tous les corps célestes: la Terre, le Soleil, la Voie lactée ainsi que toutes les autres galaxies. De façon pratique, un cadre de référence inertiel se définit donc plutôt comme un système de coordonnées dans lequel les lois de la physique s’expriment avec des équations mathématiques simples. En particulier, l’absence de forces fictives est la propriété fondamentale de tout cadre de référence inertiel.
Dans le cas du caroussel, qui tourne avec une vitesse angulaire plus de 1 000 fois supérieure à celle de la Terre, nous pouvons négliger l’effet de rotation de la Terre et considérer en première approximation que l’observateur juché dans un arbre au-dessus du caroussel se trouve dans un cadre de référence inertiel. Ce dernier ne perçoit aucune force fictive et voit le ballon se déplacer en ligne droite. En revanche, un observateur situé en un point fixe du caroussel perçoit une trajectoire courbée et il se verra forcé d’invoquer une force fictive, la force centrifuge, pour expliquer la courbure de la trajectoire du ballon.
Rotation de la Terre
Le graphique ci-contre offre une vue de la Terre à partir d’un point très éloigné de celle-ci se trouvant dans son plan équatorial. La Terre tourne sur elle-même avec une vitesse angulaire représentée par le vecteur Ω dont le module est égal à \(2\pi\) radians par 24 heures, dont la direction est donnée par une droite passant à la fois par les pôles Sud et Nord géographiques, et dont le sens est vers le Nord. Ce vecteur Ω est le même partout sur la planète. Cependant la composante verticale de Ω, dont la direction est parallèle à un segment de droite partant du centre de la Terre (origine O) à un point quelconque de la surface, varie proportionnellement au sinus de la latitude. Ainsi la force de Coriolis sera plus forte à 60°N qu’à 30°N et égale à zéro à l’équateur. De plus, puisque le vecteur Ω a une composante verticale qui pénètre dans le sol dans l’hémisphère Sud tandis que cette même composante verticale du vecteur Ω sort du sol dans l’hémisphère Nord, la force de Coriolis se fait sentir dans des sens opposés dans les deux hémisphères.
Pendule de Foucault
En raison de la rotation de la Terre, le plan d’oscillation d’un pendule sans friction suspendu au plafond d’un bâtiment effectue une rotation complète (360°) sur une période correspondant à
\[\frac{24 \; \text{h}}{|\sin \phi |}\]
où \(\phi\) est la latitude. Ainsi, la période de rotation du plan d’oscillation du pendule est de 24 heures aux deux pôles et de 48 heures à 30° de latitude comme pour le pendule de notre illustration. À l’équateur, le pendule n’est aucunement influencé par la rotation de la Terre parce que le vecteur de vitesse angulaire Ω est contenu dans le plan horizontal. Les mouvements horizontaux ne subissent donc pas de déviation à l’équateur et la période de rotation du plan d’oscillation du pendule y est donc infinie. Le physicien français Jean Bernard Léon Foucault a conçu cette expérience et en a fait la première démonstration publique en 1851 en accrochant un pendule à la voûte du Panthéon de Paris. En son honneur, de tels pendules sont communément appelés pendules de Foucault et peuvent être observés en divers endroits du monde en guise de démonstration empirique du mouvement de rotation de la Terre sur elle-même. Pour approfondir notre compréhension intuitive de la force de Coriolis, examinons maintenant la situation à partir de deux autres points de vue.
Pour un observateur situé loin au-dessus du pôle Nord, notre planète ressemblerait à un disque plat avec un mouvement rotatif antihoraire, c’est-à-dire dans le sens contraire aux aiguilles d’une montre. Mais pour un observateur situé loin au-dessus du pôle Sud, la Terre tourne avec un mouvement rotatif horaire, dans le même sens que les aiguilles d’une montre. En raison de cette différence du sens de rotation, tout corps en mouvement sera dévié vers la droite dans l’hémisphère Nord et vers la gauche dans l’hémisphère Sud.
Vitesse de rotation
Considérons la vitesse de points fixes se trouvant à diverses latitudes à la surface de la Terre, donnée par
\[V = \Omega R \cos \phi\]
(voir encadré Notions avancées).
Bien que la Terre ne soit pas une sphère parfaite, nous considérons ici qu’elle possède un rayon R constant de 6371 km. La vitesse V est alors égale à
\[\begin{array} {r c l} V&=& \displaystyle \frac{2 \pi}{24 \: \text{h}} \times 6\,371 \: \text{km} \cos \phi \\&=& (1\,668 \cos \phi) \: \text{km/h} \end{array}\]
Voyons maintenant à l’aide d’un graphique comment cette vitesse varie en fonction de la latitude dans le cas de l’hémisphère Sud.
Nous constatons que la vitesse d’un point fixe sur la Terre est maximale à l’équateur et diminue au fur et à mesure que l’on approche du pôle Sud où elle devient nulle. Un objet partant de 60°S pour se rendre à 30° S sera dévié vers la gauche car la composante Est de la vitesse à son point de départ (834 km/h) est de beaucoup inférieure à la composante Est de la vitesse à son point d’arrivée (1445 km/h). Un objet partant de l’équateur pour se rendre à 30° S sera également dévié vers la gauche, car la composante Est de la vitesse à son point de départ (1 668 km/h) est de beaucoup supérieure à la composante Est de la vitesse à son point d’arrivée(1445 km/h). Dans l’hémisphère Nord, les variations de vitesse en fonction de la latitude causent plutôt une déviation vers la droite (démonstration graphique semblable laissée en exercice au lecteur).
Applications en météorologie et océanographie
Géostrophie – un équilibre entre le gradient de pression et la force de Coriolis.
En météorologie et en océanographie, l’équilibre exact entre la force réelle d’un gradient de pression horizontal et la force fictive de Coriolis est connu sous les noms de géostrophie, relation géostrophique ou équation géostrophique.
Les composantes Est (\(\hat{i}\)) et Nord (\(\hat{j}\)) de l’équation géostrophique sont données respectivement par les deux équations suivantes,
\[-fv=\frac{-1 \delta p}{\rho \: \delta x} \: \text{et} \: fu = \frac{-1 \delta p}{\rho \: \delta y}\]
où f est le paramètre de Coriolis \((2\pi \sin \phi)\), u et v sont les composantes Est et Nord de la vitesse dans le cadre de référence en rotation, \(\rho\) représente la densité du fluide (air ou eau), p la pression et \(\delta\) dénote une dérivée partielle.
En termes simples, l’équation géostrophique nous dit que la direction du vecteur vitesse est parallèle aux isobares (surfaces de pression uniforme) et que plus la distance entre les isobares est faible, plus le gradient de pression est fort et plus la vitesse du vent ou courant est grande.
Ceci est illustré dans le graphique ici-bas où les isobares au niveau de la mer, initialement relativement éloignées les unes des autres, deviennent ensuite deux fois plus rapprochées. Ceci se traduit par un doublement de la vitesse du vent. Puisque nous avons tracé cette situation pour l’hémisphère Nord, les hautes pressions se trouvent à droite par rapport au vecteur vitesse. Dans l’hémisphère Sud, la force de pression conserverait le même sens, mais le vecteur vitesse ainsi que la force de Coriolis verraient leurs sens inversés.
Le courant jet
Un exemple bien connu et très médiatisé de courant géostrophique est le courant jet dont le coeur est typiquement situé entre 7 et 12 km d’altitude et entre 30° et 60° de latitude dans l’hémisphère Nord. Tous les pilotes d’avion sur les vols reliant les États-Unis ou le Canada à l’Europe consultent les bulletins météorologiques pour s’informer de la position exacte du courant jet tout au long de leur parcours prévu.
Comme le courant jet souffle presque toujours de l’Amérique du Nord vers l’Europe en raison de la force de Coriolis, les vols en partance de l’Amérique vont souvent tâcher de bénéficier de vents favorables en empruntant le courant jet. À l’inverse, les vols partant de l’Europe vont parfois faire des détours pour éviter d’affronter de plein fouet le coeur du courant jet. L’influence du courant jet sur la vitesse relative des avions par rapport au sol est telle que la durée du vol Montréal-Paris prend généralement une heure de moins que le vol Paris-Montréal!
Transport d’Ekman et remontées d’eaux côtières
En océanographie, une conséquence impor- tante de la force de Coriolis est que le transport net de masse d’eau causé par la friction du vent à la surface de l’eau se produit à angle droit (90°) par rapport au vent. L’océanographe suédois Vagn Walfrid Ekman (1874-1954) est à l’origine de cette découverte publiée en 1905. Dans l’hémisphère Nord, le transport d’Ekman se fait vers la droite du vecteur vent. Une conséquence intéressante de ce phénomène est souvent observée près de la côte.
En particulier, lorsque la côte se situe du côté gauche par rapport au vecteur vent, les eaux superficielles côtières sont repoussées vers la droite et donc vers le large. Ceci entraîne une baisse du niveau d’eau à la côte et il en résulte un gradient de pression qui cause un mouvement compensatoire des eaux profondes du large vers la côte. Ces eaux profondes sont généralement plus froides que les eaux de surface et beaucoup plus riches en éléments nutritifs tels que les nitrates, phosphates et silicates. Les régions côtières du Pérou et du Chili sont mondialement reconnues pour leurs vents généralement propices aux remontées d’eaux profondes près de la côte, ce qui donne lieu aux sites de pêche les plus productifs du monde.
Un exemple de remontée d’eau côtière due au transport d’Ekman spécifique au Québec est illustré dans la figure au bas de la page précédente. On y montre la température de surface de l’eau dans le golfe du Saint-Laurent, le 24 août 2006, lors de la deuxième de trois journées consécutives avec des vents de 10 à 40 km/h provenant de l’ouest et soufflant vers l’est sur toute la portion de la Basse-Côte-Nord du Québec à l’Est de Sept-Îles. Ces vents ont repoussé les eaux de surface chaudes (14° C) vers le large, permettant la remontée compensatoire d’eaux froides (6 à 8° C) riches en nutriments près de la côte.
Mot de la fin
Décrire de façon aussi simple et intuitive que possible la force de Coriolis n’est pas une mince tâche. La difficulté provient en partie du fait que nous ne ressentons pas la force de Coriolis dans notre vécu quotidien. Néammoins, cette force fictive qui est due au mouvement de rotation de la Terre sur elle-même occupe une place centrale dans la description mathématique des vents et des courants marins. Elle fait donc partie du quotidien des océanographes, météorologistes et pilotes d’avion intercontinentaux dans leurs activités professionnelles. Le lecteur curieux d’en apprendre davantage sur les multiples phénomènes physiques dans lesquels la force de Coriolis intervient trouvera de nombreuses thématiques à explorer. Au menu: ondes inertielles, ondes planétaires de Rossby, circulation autour d’une dépression atmosphérique, effets de la friction, explication du Gulf Stream et bien d’autres choses encore!
Gaspard-Gustave Coriolis (1792-1843)
C’est à ce mathématicien et ingénieur français de la première moitié du 19e siècle que l’on attribue généralement la description mathématique des conséquences de la rotation de la Terre sur les corps en mouvement, bien que Pierre-Simon Laplace avait lui aussi inclus cette expression mathématique dans ses équations de marée dès 1778. En 1808, Coriolis se classa second au concours d’entrée de l’École Polytechnique de Paris. Après avoir complété sa formation dans cette institution, il intégra le Corps de ponts et chaussées. En 1816, recommandé par Cauchy (Augustin Louis 1789-1857), il accepta un poste d’enseignement à l’École Polytechnique. Puis, en 1829, il devint professeur d’analyse géométrique et de mécanique générale à l’École centrale des arts et manufactures. En 1838, en plus du poste d’ingénieur en chef des ponts et chaussées, il occupe celui de directeur des études à l’École Polytechnique. Dans ses travaux comme ingénieur des ponts et chaussées, Coriolis a rédigé plusieurs volumes de tables servant à déterminer les surfaces de remblai et de déblai de projets routiers. Il s’est également impliqué dans la protection des routes de la France contre une destruction rapide en imposant aux transporteurs des mesures restrictives en matière de poids maximaux à transporter.
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
- CHATZIS, K., P. Etchecopar, P. Thériault-Lauzier et N. Verdier, Gaspard-Gustave Coriolis (1792-1843): un homme, une œuvre, une force et des effets. Quadrature, 64: 7-14 (2007).
- CORIOLIS, G.G., 1832. Sur le principe des forces vives dans les mouvements relatifs des machines. Journal de l’École Polytechnique, tome XIII, 21e cahier, pp. 268–302.
- GIL, A. e., 1982. Atmosphere-ocean dynamics. Academic Press, 662p.
- Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Force_de_Coriolis (page consultée le 28 juin 2011).