L’effet papillon: le vol d’un papillon à Montréal en juin peut engendrer une tempête au Japon dans deux mois. Cette tempête n’aurait pas eu lieu si l’on avait supprimé le papillon à temps!
Le concept saisissant d’effet papillon a été introduit par le météorologue Edward Lorenz dans un célèbre article de 1963 et le terme « effet papillon », employé pour la première fois par Lorenz en 1972. Nous sommes régulièrement surpris que certaines prévisions météorologiques s’avèrent erronées à quelques heures d’avis, alors que les météorologues utilisent les plus gros ordinateurs au pays. Pourquoi? Nous allons expliquer quelques-unes des difficultés auxquelles se heurtent les météorologues et pourquoi de telles erreurs sont parfois inévitables, même si on augmente la puissance des ordinateurs.
Quel est le principe d’une prévision météorologique? On utilise un modèle qui décrit l’évolution de la configuration du système atmosphère-océans au cours du temps. Ce modèle est déterministe, ce qui signifie que le présent détermine le futur. Autrement dit, si on connaît parfaitement les conditions initiales au moment où on débute la simulation du modèle, on peut faire une prévision parfaite. Quelle différence fait le vol du papillon? Il change les conditions initiales.Sur une période de temps assez courte, l’effet du vol du papillon est négligeable. Mais il n’est pas exclus que sur une longue période, on observe des effets très importants. C’est ce qu’on appelle la sensibilité aux conditions initiales. Est-ce que tous les vols de papillons vont provoquer des ouragans? Bien sûr que non! Le modèle produit, à chaque instant t, une description de la configuration du système atmosphère-océans en cet instant précis. Certaines configurations sont plus dangereuses que d’autres. Pour utiliser une analogie, imaginez un pendule dont la tige est rigide. Il a une position d’équilibre verticale vers le haut, mais celle-ci est instable, si bien qu’il est presque impossible de l’observer. Lorsqu’il est en bas, vous le lancez avec une vitesse initiale presque suffisante pour que le pendule atteigne la position verticale vers le haut. Le pendule redescend vers vous. Vous refaites l’expérience une deuxième fois. Le vol d’un papillon dans la même direction minimise un tout petit peu la friction de l’air et le pendule passe tout droit en haut pour faire un tour complet: notre tempête est arrivée.
Cet exemple illustre bien que ce ne sont pas toutes les conditions initiales qui sont dangereuses. Dans notre pendule, les vitesses initiales qui sont dangereuses, c’est-à-dire pour lesquelles on risque de faire une erreur de prévision, ce sont celles qui permettent au pendule d’approcher la position verticale en haut.
En météorologie, les erreurs sont de plusieurs types. Tout d’abord, le modèle est approximatif. Ensuite, les conditions initiales ne sont pas connues en tout point, mais seulement aux points d’un réseau où des appareils de mesure sont installés. Enfin, le modèle est trop complexe pour qu’on puisse en calculer une solution exacte. On calculera donc une approximation de la solution. Selon la configuration initiale, chaque type d’erreurs est susceptible de conduire à des prévisions météorologiques erronées, pour peu que l’on soit dans une zone « dangereuse ».
L’exemple de notre pendule était trop simple pour nous faire comprendre la nature des modèles utilisés en météorologie. Les modèles peuvent avoir des comportements chaotiques. Qu’entend-on par cela? L’atmosphère est un fluide et les modèles visent à décrire l’évolution du fluide au cours du temps. Edward Lorenz est parti des équations modélisant le mouvement d’un fluide et il les a drastiquement simplifiées. Il a obtenu ce qu’on appelle le « système de Lorenz ». Oublions maintenant le fluide et décrivons le système de Lorenz. La position du système au temps t est donnée par un vecteur (x(t), y(t), z(t)). L’évolution du système est décrite par un système d’équations différentielles:
\[\left \{ \begin{array}{r c l} \displaystyle \frac{dx}{dt} &=& 10(y-x) \\ \displaystyle \frac{dy}{dt} &=& 28-y-xz \\ \displaystyle \frac{dz}{dt} &=& – \displaystyle \frac{8}{3}z +xy \end{array} \right . \]
Résoudre le système c’est trouver la fonction \(t \mapsto (x(t), y(t), z(t))\) qui, pour \(t = 0,\) prend la valeur initiale
\[(x(0), y(0), z(0)) = (x_0, y_0, z_0).\]
En termes géométriques, à tout point \((x, y, z)\) de l’espace, on associe un vecteur \(v (x, y, z)\) dont l’origine est en ce point. La fonction
\[v(x,y,z)= \left ( 10(y−x),28x−y−xz,- \displaystyle \frac{8}{3}z+xy \right )\]
est appelée un champ de vecteurs. Trouver une solution de l’équation différentielle c’est trouver une courbe \(t \mapsto (x(t),y(t),z(t))\) telle qu’en chaque point \((x, y, z)\) de la courbe, son vecteur tangent soit le vecteur \(v (x, y, z).\) Comme la variable t représente souvent le temps, on appelle ces courbes des trajectoires de l’équation différentielle. Comment trouve-t-on ces courbes? Il est impossible de trouver leur équation. Alors, on a recours à des méthodes numériques. L’idée de base est qu’on prend des petits pas de temps. Dans la méthode d’Euler (la plus intuitive), à chaque étape on calcule le champ de vecteurs au point où on se trouve: ceci nous donne la vitesse de parcours et sa direction. On parcourt un petit segment de la tangente, et ce, à la vitesse calculée, pendant un petit pas de temps. On itère le processus. Des raffinements de la méthode d’Euler permettent d’améliorer la précision, mais l’idée de base est la même. De tels algorithmes numériques sont déjà programmés dans beaucoup de logiciels comme Mathematica, Maple, Matlab, etc.
Lorsqu’on trace les trajectoires du système de Lorenz, on voit qu’après un certain temps elles sont toutes attirées sur un objet, appelé attracteur étrange, dont la forme ressemble vaguement à un papillon.
Suivons une trajectoire: cette trajectoire commence par spiraler en s’éloignant d’un des deux centres puis, à un moment donné, elle saute de l’autre côté. Là, elle recommence à spiraler en s’éloignant du deuxième centre jusqu’à ce qu’elle saute pour revenir au premier côté. Etc. Si on note les nombres successifs de spirales avant de changer de côté, ils semblent former une suite \(a_n\) de nombres aléatoires. C’est pour cela qu’on dit que le système est chaotique. En effet, les nombres de spirales successifs sont complètement imprévisibles et semblent le fruit du hasard. Que se passe-t-il si on prend deux conditions initiales proches l’une de l’autre? À la première, on associe la suite d’entiers \(\{a_n\}\), et à la deuxième, la suite \(\{b_n\}\). Il existe un entier N tel que \(a_n =b_n\) pour \(n≤ N\) et \(a_{n+1} ≠ b_{n+1}\).Alors, à partir de ce moment-là, les deux trajectoires sont aussi différentes l’une de l’autre que si elles n’avaient jamais été proches.
C’est la sensibilité aux conditions initiales.
Dans notre exemple du pendule, on a associé la sensibilité aux conditions initiales à une zone dangereuse. Effectivement, il y en a une aussi dans le système de Lorenz: il y a une surface qui sépare les deux centres. Suivant que la trajectoire passe d’un côté ou de l’autre de la surface elle tourne autour d’un centre ou de l’autre. Le moment où les deux trajectoires proches se séparent est le moment où l’une passe d’un côté de cette surface et l’autre de l’autre côté. Comme l’épaisseur de la surface est nulle, ceci peut se produire même si les deux trajectoires sont très proches. Cette surface séparatrice a une forme très complexe. En voici, ci dessous, deux représentations réalisées par Bernd Krauskopf et Hinke Osinga, l’une à l’ordinateur, l’autre au crochet.
Où en est-on, 48 ans après l’article de Lorenz? Nous vous invitons à lire « Au delà de l’effet papillon ».
Attracteur de Lorenz
L’attracteur de Lorenz est un objet fractal qui est comme un livre à une infinité de feuillets. Chaque fois que la trajectoire revient d’un côté après avoir fait un tour de l’autre côté, elle revient sur un feuillet différent. Ce qu’on trace à l’ordinateur pour obtenir ces belles images n’est pas l’attracteur lui-même, mais une trajectoire ou un ensemble de trajectoires. L’attracteur de Lorenz contient une infinité de trajec- toires qui se referment sur elles-mêmes après un certain nombre de tours autour des deux centres: ce sont des trajectoires périodiques. Les périodes peuvent être arbitrairement longues. Au moins une des trajectoires est partout dense dans l’attracteur. On retrouve donc les trois caractéristiques du chaos:
- sensibilité aux conditions initiales,
- existence d’une infinité de trajectoires périodiques,
- existence d’une trajectoire partout dense.
Edward Lorenz
Né au Connecticut en 1917, Lorenz a d’abord reçu une formation de mathématicien au Dartmouth College puis à l’Université de Harvard où il obtint un diplôme de maitrise. Durant la seconde guerre mondiale, il fut affecté au service de météorologie de l’armée américaine et entreprit une maîtrise en ce domaine qu’il compléta en 1943 au Massachusetts Institute of Technology (MIT). Après la guerre, il poursuivit ses études en météorologie et obtint son doctorat en 1948. Il devint professeur de météorologie au MIT jusqu’à sa retraite en 1987.
Lorenz travaillait à améliorer son modèle de prévision météorologique en testant les différents facteurs pris en compte et en cherchant à comprendre comment évoluent les masses d’air.
À l’hiver 1961, il avait entré une série de données dans son ordinateur qui, après quelques heures de calculs, lui avait fourni des colonnes de chiffres. Lorenz examina ces résultats et décida de refaire une passe pour s’assurer de certains résultats en ne conservant que trois décimales au lieu de six pour accélérer le processus. Il eut la surprise de constater que les résultats des calculs étaient très différents de ceux obtenus précédemment. Il venait de découvrir la sensibilité aux conditions initiales qu’il présenta en utilisant la métaphore du battement d’aile d’un papillon. Lorenz est mort en 2008.
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
- GHYS, Étienne, L’effet papillon: http://images.math.cnrs.fr/L-effet-papillon.html
- GHYS, Étienne, Le moulin à eau de Lorenz: http://images.math.cnrs.fr/Le-moulin-a-eau-de-Lorenz.html
- ROBERT, Raoul, L’effet papillon n’existe plus!, Pour la Science, numéro 283, mai 2001. Aussi: http://interstices.info/jcms/c_19155/leffet-papillon-nexiste-plus
- STEWART, Ian, La grande arnaque du réchauffement global: http://images.math.cnrs.fr/La-grande-arnaque-du-rechauffement.html