
Les changements à l’échelle du globe sont sans équivoque : hausse généralisée des températures de l’air et de la surface des océans, fonte accélérée de la neige et de la glace, élévation du niveau moyen de la mer. Les émissions de gaz à effet de serre par les activités humaines causeront un réchauffement mondial durant le XXIe siècle qui excèdera fort probablement le réchauffement observé durant le XXe siècle1].
Le premier énoncé provient de mesures prises sur un ensemble de variables climatologiques, échelonnées sur plusieurs décennies et dans plusieurs régions du globe. Par contre le deuxième énoncé s’appuie uniquement sur des simulations de modèles climatiques effectuées sur ordinateur. Quelle est la fiabilité de tels résultats de simulations sur plusieurs décennies quand on connaît les limites des prévisions météorologiques?
Les marées
Pensez aux vagues sur la mer. Les vagues vont et viennent de façon apparemment aléatoire. Prévoir les vagues individuelles serait, comme la météo, impossible au-delà d’un temps caractéristique assez court. Si toutefois vous suivez le mouvement de la mer un certain temps, vous pourrez déterminer que la marée monte ou descend. Vagues et marées se superposent et interagissent. Mais les marées répondent aux forçages exercés par le soleil et la lune, en fonction de l’heure du jour et de la saison, ainsi que de la forme de la côte. Les marées constituent ainsi, comme le climat, un phénomène prévisible.
Les saisons
On connaît de grandes variations de température pendant l’hiver. La température
peut monter ou descendre de 20 degrés en quelques heures. Pourtant, si l’on regarde les températures moyennes de janvier, elles varient très peu d’une année à l’autre; par exemple à Montréal, l’écart type n’est que 2,9 degrés. Les probabilités et la statistique nous permettent d’analyser ces variations. Et si ces moyennes se retrouvent trop souvent au-dessus de la normale, il y a lieu de tester l’hypothèse que la moyenne de température est constante en janvier.
Les modèles climatiques
Qu’est-ce qu’un modèle climatique?
C’est un simulateur de conditions météorologiques virtuelles. C’est donc un programme informatique qui résout des équations décrivant les interactions entre l’atmosphère et les autres composantes du système climatique. Quelles équations? Il y a trois principes fondamentaux qui conjointement permettent de décrire l’évolution de tout système physique: ce sont les principes de conservation de la masse, de l’énergie et de la quantité de mouvement. Ces principes nous donnent un système d’équations aux dérivées partielles. Mais les équations du système climatique sont bien trop complexes pour admettre une solution analytique. On a donc recours à l’ordinateur pour obtenir des solutions numériques approximatives. On définit un maillage (une grille) couvrant l’ensemble du globe. Puis à chacun des nœuds du maillage (points de grille), on résout un système d’équations non linéaires couplées, après leur transformation d’équations différentielles en équations algébriques (en faisant le type d’approximations qu’on a expliqué pour le système de Lorenz)2. Ces équations comportent plusieurs termes dont certains échangent des propriétés avec leurs voisins adjacents, ceux du dessous, du dessus et de chaque côté, ce qui fait qu’à la fin, de proche en proche, tous les points se parlent. Plusieurs variables interviennent dans les calculs. Dans l’atmosphère: la température, la pression, la concentration de vapeur d’eau, le vent, les nuages, le rayonnement électromagnétique, etc. Dans les océans: la température, la salinité, la pression, les courants marins, la glace de surface, la neige sur la glace, etc. Sur les continents: la quantité d’eau liquide et gelée dans le sol, la neige sur le sol, etc.
Prévoir 30 ans à petits pas de 15 minutes
Là où ça devient réellement compliqué, c’est que ces calculs doivent être répétés plusieurs fois. On ne peut pas simplement partir du climat d’aujourd’hui et le transposer trente ans plus tard. Il faut en fait calculer par petits « pas de temps », qui sont typiquement de 15 minutes. Ainsi pour faire 30 ans, il faut donc répéter des calculs sophistiqués un million de fois, et ce, pour chacun des points de la grille. En conséquence, le nombre de points doit rester modeste, sinon le temps de calcul devient exorbitant. Si on désire obtenir les résultats en quelques semaines, à raison de calculs effectués 24 heures sur 24, on peut difficilement excéder plus d’un million de points, même sur les plus puissants ordinateurs. Ceci se traduit par un espacement entre les points de l’ordre de 200 à 400 km pour les modèles mondiaux qui couvrent l’ensemble du globe.
Calcul de haute performance
Un million de points de grille où l’on effectue les calculs un million de fois pour une simulation de 30 ans, ça donne 1012 répétitions de calculs faisant intervenir plusieurs variables. C’est pour cette raison que les simulations climatiques, avec la prévision météorologique, représentent les plus gros usagers du calcul de haute performance. Même sur les plus puissants ordinateurs massivement parallèles comme ceux du Consortium CLUMEQ-II au Québec, la puissance de calcul demeure le facteur principal limitant la résolution des modèles. Nous travaillons à l’UQAM au développement d’un modèle régional à aire limitée; en restreignant le domaine de calcul, les points sont espacés de 50 km les uns des autres, et nous visons bientôt les rapprocher encore à 10 km.
Météo versus climat
La climatologie est distincte de la météorologie. La prévision météorologique fait dans l’immédiat et utilise des données observées pour démarrer une prévision: c’est un problème aux conditions initiales. Le climat par contre réfère aux statistiques des conditions météorologiques. La moyenne est la statistique la plus simple, mais la variabilité est aussi importante, de même que les extrêmes de la distribution en fréquence pour les événements rares.
Les simulations climatiques passent nécessairement par la simulation de séquences de conditions météorologiques. On effectue des simulations sous différentes conditions de forçages externes, comme les concentrations des gaz à effets de serre et des aérosols, croissantes dans le temps. On calcule les statistiques des simulations comme on le ferait avec les données observées. On compare les statistiques de ces simulations, on obtient le signal climatique recherché. Le climat est ainsi un problème aux conditions aux frontières.
La finalité des projections climatiques est donc la tendance de fond des statistiques sur quelques décennies, et non pas les valeurs instantanées des séquences météorologiques simulées. En effet, on peut démarrer plusieurs projections climatiques en appliquant les mêmes forçages externes, mais en perturbant légèrement les conditions initiales. Sous l’effet du chaos, ces simulations deviennent totalement indépendantes dans le détail de leurs séquences météorologiques. En effectuant la moyenne sur plusieurs membres d’un ensemble de simulations, on obtient alors un estimé statistiquement fiable du signal du changement climatique attribuable au forçage externe imposé. La moyenne d’ensemble a pour effet de filtrer la composante imprévisible que représentent les séquences météorologiques spécifiques, et de ne retenir que la composante du signal résultant du changement de forçage imposé. En analysant toutes les simulations, on a aussi une mesure de l’étalement, semblable aux intervalles de confiance que l’on étudie dans les cours de statistique. On peut aussi combiner les projections obtenues avec plusieurs modèles basés sur des approximations différentes; l’étalement entre les climats des différents modèles fournit alors un estimé de la marge de confiance du climat projeté.
Changements climatiques appréhendés pour le Québec vers la fin du siècle
- Réchauffement moyen de 3 à 4 degrés et pouvant atteindre 10 degrés en hiver dans le nord.
- Augmentation des précipitations de 10 à 30 % en moyenne, avec une augmentation plus grande dans le nord, surtout en hiver.
- Faibles changements dans les systèmes météorologiques, avec un léger déplacement vers le nord de leurs trajectoires, une légère diminution du nombre total de systèmes, mais une légère augmentation de l’intensité des tempêtes.
- Raccourcissement de la saison de neige, mais des chutes de neige occasionnellement plus intenses, suivies de redoux plus fréquents.
- Augmentation de la fréquence des canicules en été.
- Diminution de la fréquence des événements de froid intense en hiver.
- Disparition partielle ou totale du pergélisol dans le grand nord.
Changement de neige au sol pour la période 2041-2070
Résultat du Modèle régional canadien du climat pour une projection du changement de la neige au sol au mois de mars pour la période 2041-2070, exprimé en pourcentage de la neige pour la période de référence 1961-1990. (figure tirée du 4ème Rapport du GIEC publié en 2007; http://www.ipcc.ch/).
Notez la disparition massive de la neige (teintes rouges), sauf dans la partie la plus septentrionale où il y aura augmentation (teintes de bleu).
On a laissé en blanc les régions avec une quantité négligeable de neige au sol (moins de 5 mm d’équivalent en eau).
Réchauffement moyen pour cinq régions de l’Amérique du Nord
Ligne noire: réchauffement observé entre 1900 et 2000.
Bande rouge: réchauffement simulé rétrospectivement pour la période 11 de 1900 à 2000, par un ensemble de 11 modèles climatiques. Ces simulations rétrospectives permettent de valider le modèle; on note que la ligne noire est contenue à l’intérieur de la bande rouge provenant des simulations des modèles.
Bande orange: réchauffement projeté pour la période de 1900 à 2000, par le même ensemble de modèles climatiques, pour un certain scénario d’augmentation des gaz à effets de serre. Les limites inférieure et supérieure des bandes rouge et orange correspondent aux 5e et 95e percentiles.
(tiré du 4e Rapport du GIEC publié en 2007; http://www.ipcc.ch/).
Pour en s\(\alpha\)voir plus !
- Comptabilisation du carbone forestier: http://carbon.cfs.nrcan.gc.ca/index_f.html
- Vidéo commenté sur ce sujet à:
http://www.sfmcanada.org/francais/vignettes_e-wk.asp
http://biosystems.okstate.edu/darcy/index_fr.htm - Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIeC): http://www.ipcc.ch/home_languages_main_french.htm
- Données climatiques du Canada – environnement Canada:
http://climat.meteo.gc.ca/climateData/canada_f.html - Portrait statistique sur l’environnement – L’Institut de la statistique du Québec (ISQ) et Le Ministère du Développement durable, de l’environnement et des Parcs (MDDeP): http://www.mddep.gouv.qc.ca/regards/portrait-stat/index.htm
- INRS – Centre eau, terre & environnement:
http://www.inrs-ete.uquebec.ca/ - Indicateurs canadiens de durabilité de l’environnement:
http://www.ec.gc.ca/indicateurs-indicators/Default.asp?lang=Fr&n=A073189E-1
http://www.statcan.gc.ca/bsolc/olc-cel/olc-cel?catno=16-253-X&lang=fra - Changements climatiques – environnement Canada:
http://www.ec.gc.ca/default.asp?lang=Fr&n=2967C31D-1?WT.mc_id=changements - Pacific Climate Impacts Consortium:
http://pacificclimate.org/resources/climateimpacts/ - Teaching Quantitative Skills in the Geosciences:
http://serc.carleton.edu/quantskills/index.html
http://serc.carleton.edu/quantskills/teaching_resources/activities.html - Environmental Mathematics – ben Fusaro, Florida State University:
http://home.comcast.net/~benfusaro/
- Traduction d’un texte tiré du Summary for Policymakers, 4ème rapport du Groupe Intergouvernemental d’experts sur l’Évolution du Climat (GIEC), 2007 ↩
- Voir l’article L’effet papillon en page 2 de ce numéro. ↩