L’architecture du centre national de natation de Pékin est basée sur un problème mathématique vieux de 150 ans.
Si vous êtes observateur et avez regardé les Jeux olympiques de Pékin, vous avez sans doute remarqué l’architecture particulière du Centre national de natation de Pékin dans lequel les épreuves de natation ont eu lieu. Cette architecture est basée sur un jeu de modules géométriques qui sont la meilleure solution connue à un problème d’optimisation mathématique vieux de presque 150 ans!
Les architectes australiens de la firme PTW, qui a remporté le concours pour le Centre national de natation de Pékin, n’ont pas pensé aux mathématiques dès le départ. Ils ont plutôt cherché un concept lié à l’eau et, en poursuivant une recherche sur la forme des bulles dans la mousse, ils ont appris l’existence d’un objet mathématique unique découvert en 1993 comme solution au problème de Kelvin: le solide de Weaire-Phelan.
Le problème de Kelvin
Certains polyèdres ont la particularité de remplir complètement l’espace lorsqu’ils sont placés les uns à côté des autres. Ces arrangements sont parfois appelés nids d’abeilles (« honeycomb » en anglais). Un nid d’abeille remplit l’espace euclidien tridimensionnel avec des polyèdres de la même manière que les pavages remplissent le plan avec des polygones.
Certains nids d’abeilles sont générés par la répétition d’un seul polyèdre alors que la cellule de base d’autres nids d’abeille est composée d’au moins deux polyèdres distincts.
Le problème de Kelvin, énoncé en 1887, se résume comme suit:
Quel est le nid d’abeille qui, avec des cellules de même volume, a la surface la plus petite?1
La solution à ce problème est donc un objet qui, tout comme des bulles de savons entassées les unes sur les autres, s’emboîte de façon optimale avec lui-même. En d’autres mots, pour un volume donné, le « solide de Kelvin » est le nid d’abeille qui possède la surface minimale. Prenez l’exemple du cube: le plus simple des nids d’abeille. Son volume est maximal (voici pourquoi la plupart des pièces de nos bâtiments ont cette forme). Par contre, le total des aires de ses surfaces est également très élevé. À l’autre extrémité du spectre, la sphère est le solide qui a l’aire la plus petite pour un volume donné.
Toutefois, on ne peut pas paver l’espace avec des sphères pour composer un nid d’abeille. En d’autres mots, peu importe comment on s’y prendrait pour construire des pièces en forme de sphères, il y aurait immanquablement de l’espace inutilisé entre les murs!
Quand Lord Kelvin (William Thomson 1824-1907) a formulé ce problème en 1887, il a affirmé (sans le prouver) que la solution était l’octaèdre tronqué.
La structure de Weaire-Phelan
Aucun contre-exemple à la conjecture de Kelvin n’a été découvert avant 1993, lorsque Weaire et Phelan, des physiciens irlandais, ont trouvé un pavage de l’espace dont la surface, à volume égal, est de 0,3% moins élevée que la structure de Kelvin.
À la différence du solide de Kelvin qui ne comportait qu’un seul solide, la structure de Weaire-Phelan, utilisée comme module de base du Centre national de Pékin, est composée de deux solides qui sont représentés ci-contre. Ces solides sont un dodécaèdre et un tetrakaidécaèdre.
Le principe de l’énergie minimale
Vous vous demandez probablement: qu’est-ce que les bulles de savon ont à voir avec l’architecture? La réponse est simple ! Les équations de la physique nous apprennent que la tension de surface, ou l’énergie, d’une bulle de savon est proportionnelle à l’aire de sa surface. Comme les systèmes naturels aiment bien être dans un état d’énergie minimale, les bulles de savon cherchent à avoir la surface la plus petite possible. Les mathématiciens appellent ce genre d’objet des « surfaces minimales ». Les architectes adhèrent également à ce principe d’énergie minimale, ils veulent construire de grands espaces en utilisant le moins de matériaux possible. En d’autres mots, ils valorisent de grands volumes avec de petites surfaces et c’est ce principe que les architectes du Centre national de Pékin ont mis en évidence dans leur architecture.
Une nouvelle découverte en 2009
Pour comparer les nids d’abeille, on prend le rapport de l’aire de la surface (enveloppe extérieure) sur la racine cubique du carré du volume \((q = A/V^{2/3}).\)
Dans le cas du cube, cela donne
\[q=\frac{6c^2}{(c^3)^{2/3}}=6\]
et pour la sphère, on obtient:
\[q= \frac{4 \pi r^2}{\displaystyle \left ( \frac{4 \pi r^3}{3} \right )^{2/3}}=4,8359…\]
La sphère ne satisfait cependant pas à la condition de paver l’espace sans vide ni chevauchement.
L’octaèdre tronqué de Kelvin a un rapport de 5,306…, donc un rapport compris entre celui du cube et celui de la sphère, et on a longtemps pensé que ce solide constituait le nid d’abeille optimal. Cependant, le nid d’abeille que Weaire-Phelan ont étudié en 1993 et qui est constitué de deux solides a un rapport q = 5,288…, ce qui est donc plus avantageux que la solution de Kelvin. Peut-on considérer que le problème de Kelvin est résolu?
Grâce à une découverte récente, les mathématiciens pensent qu’on pourrait bientôt trouver une meilleure solution au problème de Kelvin que celle proposée par Weaire-Phelan. Ce vent d’optimisme souffle depuis l’Angleterre où un jeune chercheur du nom de Ruggero Gabbrielli a découvert un nouveau contre-exemple à la conjecture de Kelvin. Bien que la structure de Gabbrielli ne soit pas optimale ni plus avantageuse que celle de Weaire-Phelan, il a utilisé une approche novatrice qui pourrait ultimement mener à une meilleure solution au problème de Kelvin. Pour aboutir à leur découverte, Weaire et Phelan se sont basés sur la structure géométrique des cristaux naturels, alors que Gabbrielli a utilisé des équations différentielles. En utilisant cette approche différente, Gabbrielli a déterminé un nid d’abeille constitué de quatre polyèdres irréguliers dont le rapport de l’enveloppe extérieure sur le volume occupé est q = 5,303…
Pour en s\(\alpha\)voir111 plus !
Thomson, Sir William (Lord Kelvin). On the Division of Space with Minimum Partitional Area. Philosophical Magazine, Vol. 24, No. 151, p. 503 (1887).
MATHWORLD: Weisstein, Eric. « Kelvin’s Conjecture ».
http://mathworld.wolfram.com/KelvinsConjecture.html
Le solide de Weaire-Phelan:
Weaire D., Phelan R. « A Counter-Example to Kelvin’s Conjecture on Minimal Surfaces », Philosophical Magazine Letters 69 (2), 1994: 107-110.
Weaire D., ed., The Kelvin Problem: Foam Structures of Minimal Surface Area, KTK Scientific Publishers 1996.
Le Centre national de natation de Pékin:
Rogers, Peter. « Welcome to WaterCube, the experiment that thinks it’s a swimming pool »:
http://www.guardian.co.uk/science/2004/may/06/research.science1. The Guardian, 6 mai 2004.
La découverte de R. Gabbrielli:
Gabbrielli, R. A new counter-example to Kelvin’s conjecture on minimal surfaces. Philosophical Magazine Letters 89 (8): 483-491.
* La version originale de cet article et d’autres articles du même auteur sont disponibles sur le portail web de Sciences et mathématiques en action : http://www.smac.ulaval.ca/maths/actualite/liste.php
- What space-filling arrangement of similar cells of equal volume has minimal surface area? <http://mathworld.wolfram.com/KelvinsConjecture.html ↩