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Des constructions impossibles!

Par Jérôme Fortier
Volume 4.1 - hiver-printemps 2009

Des mathématiciens qui démontrent qu’ils ne sont pas capables de faire certaines choses…

Yannick
Connais-tu des choses qui sont impossibles à construire?

Annick
De quoi parles-tu?

Yannick
Ce matin, au cours de géométrie, on étudiait comment les Grecs effectuaient certaines constructions avec une règle et un compas, comme découper un angle en deux, ou transformer un triangle en un carré qui couvre la même aire.

Annick
Ouais, j’ai eu ce cours la semaine dernière. Et alors?

Yannick
Alors j’ai demandé à Alexandra comment on faisait pour découper un angle en trois. Et tu sais ce qu’elle m’a répondu?

Annick
Quoi?

Yannick
Que c’était impossible!

Annick
Tu veux dire qu’elle ne sait pas comment on fait?

Yannick
Non! Je veux dire qu’il n’y a absolument aucun moyen pour y parvenir! J’ai essayé, et je n’y suis pas parvenu. Essaie aussi, tu vas voir!

Annick
Allons, ce n’est pas parce que tu n’y parviens pas que c’est forcément impossible. Tu ne m’as pas convaincue.

Yannick
Alexandra m’a demandé de passer la voir ce midi pour qu’elle m’explique pourquoi c’est impossible. Si tu ne me crois pas, viens avec moi!

Plus tard, au bureau d’Alexandra, la prof de maths…

Alexandra
Tiens, bonjour Annick! Yannick, as-tu fait l’exercice que je t’avais demandé?

Annick
Un exercice?

Yannick
Oui. Alexandra m’a demandé de trouver les points d’intersection entre deux droites, deux cercles, puis une droite avec un cercle dans le plan cartésien. Je l’ai fait pendant la pause du dîner.

Alexandra
Et qu’as-tu trouvé?

Yannick
Heu… de grosses formules avec plein de racines carrées, rien de bien intéressant. J’espère que ça avait bien un rapport avec le fait de découper un angle en trois!

Alexandra
En effet; tu as fait le gros du travail pour démontrer qu’il est impossible de découper un angle en trois!

Yannick
Quoi?

Alexandra
Vous conviendrez avec moi qu’une règle sert à tracer des segments de droite, et qu’un compas sert à tracer des cercles. Aussi, quand on construit quelque chose en géométrie, tout ce que l’on fait est de relier ensemble, par des segments de droite, des points que l’on a déjà tracés, ou encore, tracer des cercles autour d’un centre que l’on connaît déjà, et avec des rayons qui sont des longueurs déjà connues. Si l’on ouvre notre compas à une longueur arbitraire ou que l’on relie des points au hasard sur une feuille sans tenir compte de ce que l’on sait déjà, on ne se dirige pas vers des constructions précises, comme vers la construction d’un angle qui vaut le tiers d’un angle que l’on nous donne au départ.

Annick
Je suis d’accord, mais qu’entends-tu par des points que l’on connaît déjà?

Alexandra
Habituellement, au début du problème, on nous donne des longueurs d’angles ou de segments que l’on peut utiliser par la suite. Ensuite, les nouveaux points que l’on obtient, par l’intersection de cercles ou de droites que l’on connaît déjà, constituent les nouvelles coordonnées que l’on connaît.

Yannick
C’est pour ça que j’ai calculé les coordonnées des points d’intersection entre les cercles et les droites?

Alexandra
Exact! Si l’on trace nos constructions géométriques sur un plan cartésien plutôt que sur une simple feuille, et que l’on s’intéresse aux coordonnées des points que l’on peut construire, on se rend compte, comme l’a fait Yannick, que la forme de ces nombres est toujours une combinaison des quatre opérations élémentaires de base (addition, soustraction, multiplication et division) ainsi que de racines carrées. Tous les points dont les coordonnées ne sont pas d’une telle forme ne sont pas constructibles à la règle et au compas, et en particulier, on ne peut généralement pas construire la racine cubique d’une longueur quelconque.

Les zéros des polynômes

On connaît tous la formule

\[x=\frac{-b\pm\sqrt{b^2-4ac}}{2a}\]

pour trouver les zéros d’un polynôme de degré deux, de la forme:

\[f(x)=ax^2 +bx+c.\]

En 1545, Gerolamo Cardano publie, dans son livre Ars Magna, la formule pour trouver les zéros des polynômes de degré trois, de la forme:

\[f(x)=x^3 +Ax+B,\]

découverte dix ans auparavant par Nicolò Tartaglia, qui voulait la garder secrète. Il s’agit de la formule suivante:

\[x=\sqrt[3]{\frac{-B}{2}+\sqrt{\frac{B^2}{4}+\frac{A^3}{27}}} +\sqrt[3]{\frac{-B}{2}+\sqrt{\frac{B^2}{4}+\frac{A^3}{27}}}.\]

Puisque tout polynôme de degré trois peut être ramené sous la forme \(x^3 + Ax + B\) par un changement de variable, le cas est résolu. Dans le même livre, Cardano publie la formule pour les polynômes de degré quatre, découverte par son étudiant Lodovico Ferrari.

Après avoir cherché, pendant quelques siècles, des formules pour les polynômes de degré cinq ou plus, Abel et Galois ont démontré, au XIXe siècle, que l’existence de telles formules était en fait impossible! La théorie de Galois propose que, tout comme la règle et le compas ne suffisent pas à construire toutes les figures géométriques souhaitables, de même, les quatre opérations de base et l’extraction de racines ne sont pas des outils suffisants pour trouver, de façon générale, les zéros d’un polynôme de degré cinq ou plus. Il faut alors recourir à des solutions numériques approximatives, comme celles que vous donnerait une calculatrice.

Yannick
Et les angles, dans tout ça?

Alexandra
constructions_img1Vous conviendrez qu’il est facile de construire un angle de 60 degrés; il suffit de tracer un triangle équilatéral. Donc, s’il existait une construction pour découper un angle en trois, on pourrait alors construire un angle de 20 degrés. Il reste donc à montrer que cela est impossible. (Alexandra trace la figure ci-contre sur une feuille.)

Alexandra
Si l’on construit un triangle rectangle avec un angle de 20 degrés comme sur la figure, et dont l’hypoténuse mesure une certaine longueur donnée au départ, disons de 1 dm, alors le côté représenté par x serait d’une longueur égale au cosinus de 20 degrés, en décimètres. Yannick, est-ce qu’on peut accepter l’identité trigonométrique suivante:

\[4 \cos^3 \theta = \cos 3 \theta + 3 \cos \theta\]

Yannick
Oui! Je l’ai démontrée dans mes exercices.

La règle, le compas et les Grecs

constructions_img3Les mathématiciens de la Grèce antique étaient particulièrement intéressés par la géométrie, d’une part à cause des applications impressionnantes qu’ils pouvaient y trouver en art et en architecture, mais aussi pour l’intérêt philosophique qu’elle engendrait. En outre, Euclide, dans son ouvrage les Éléments, jette les bases de la logique mathématique, en déduisant toute la géométrie de quelques vérités acquises concernant les cercles et les droites. Pour Platon, les cercles et les droites étaient des formes géométriques parfaites, desquelles toute construction géométrique pure devait découler. C’est pourquoi la règle et le compas sont les seuls outils permis en géométrie euclidienne pure.

Selon une légende, les Déliens, aux prises avec une épidémie, allèrent consulter l’oracle de Delphes pour obtenir l’aide des dieux. L’oracle leur dit qu’ils devaient doubler le volume de leur autel consacré à Apollon, un cube parfait, pour obtenir l’aide des dieux. Suite à leur échec, ils allèrent voir Platon, qui leur dit qu’Apollon ne voulait pas vraiment d’un autel, mais bien que les Déliens s’intéressent aux mathématiques.

En fait, la duplication du cube est un autre problème impossible, car il implique que le nouveau cube ait un côté de longueur \(\sqrt[3]{2}a\) ce qui fait intervenir une racine cubique.

Alexandra
Si \(\theta = 20°\), alors on obtient \(\cos \theta = x\) et \(\cos 3 \theta = \cos 60°=\frac{1}{2}\), ce qui revient à dire que le côté \(x\) satisfait l’équation:

\[4x^3=\frac{1}{2}+3x.\]

Mais on sait résoudre les polynômes de degré 3 (voir encadré sur les polynômes), et la solution à cette équation doit obligatoirement faire intervenir des racines cubiques! Étant donné que les seules racines que l’on peut géométriquement construire sont les racines carrées, il est donc impossible de construire un angle de 20°, c’est-à-dire, de découper un angle de 60° en trois angles égaux.

Annick
constructions_img2Je suis convaincue. On ne peut pas découper un angle en trois, car dans certains cas, ceci impliquerait que l’on puisse construire des points qui ne sont pas à l’intersection de cercles et de droites que l’on connaît! Y a-t-il autre chose que l’on ne peut pas construire?

Alexandra
Oui. Par exemple, si je vous donne un cercle de rayon \(r\) quelconque, et que je vous demande de
me tracer un carré qui recouvre exactement la même aire que ce cercle. C’est ce que l’on appelle faire la quadrature du cercle. Mais c’est impossible, car la longueur du côté de ce carré devrait être égale à et \(r\sqrt{\pi}\) et \(\pi\) ne peut pas s’écrire comme une combinaison finie des quatre opérations élémentaires et de racines carrées, par un important théorème découvert par Lindemann en 1882.

Yannick
Si la règle et le compas sont des outils qui ne permettent pas aux mathématiciens de faire certaines constructions mathématiques, au moins je suis content de voir que ceux-ci ont développé assez d’outils pour justifier leur incapacité!

La quadrature du cercle

constructions_img4La quadrature du cercle est impossible si on n’utilise que la règle et le compas, selon les contraintes imposées par Platon. On peut cependant réaliser cette quadrature par d’autres moyens.
Considérons un cercle de rayon unitaire comme dans la première figure ci-contre. L’aire de ce cercle est \(\pi\) unités carrées et sa circonférence de \(2\pi\) unités.

Faisons rouler ce cercle sur une droite, de façon à effectuer un demi-tour. On obtient ainsi un segment AB de longueur \(\pi\) unités.

Considérons alors le segment AC dont la longueur est \(\pi + 1\) unités et traçons le demi-cercle de diamètre AC.

Au point B, on élève une perpendiculaire à AB qui coupe l’arc de cercle au point D.

Le segment BD est alors la moyenne géométrique entre les segments AB et BC. On a donc:

\[\frac{\overline{BD}}{\overline{AB}} = \frac{\overline{BC}}{\overline{BD}}\]

Par le produit des extrêmes et le produit des moyens, on obtient:

\[\begin{array} {r c l}\overline{BD}^2 &= & \overline{AB} \times \overline{BC} \\&=& \pi \times 1 \: \text{unités carrés.}\end{array}\]

Par conséquent, le segment BD est le côté du carré ayant même aire que le cercle de rayon unitaire et le carré BDEF a même aire que le cercle.

On a donc réalisé la quadrature du cercle. Pour tracer les segments de droite on s’est servi de la règle et pour tracer l’arc de cercle, on s’est servi du compas. Cependant, pour faire rouler le cercle sur un segment de droite, la règle et le compas ne sont d’aucune utilité. Cette quadrature ne respecte donc pas les contraintes imposées par Platon.

Pour en s\(\alpha\)voirplus !

Carréga, Jean Claude. Théorie des corps, la règle et le compas. Hermann 1981

Dörie, Heinrich. 100 Great Problems of Elementary Mathematics, Their History and Solution, Dover 1965. Voir les problèmes 35, 36 et 37.

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Tags: Logique mathématique

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