On donne souvent la forme de la coquille du nautile comme exemple d’une spirale dorée. Mais qu’en est-il exactement?
Nombre d’or
Le nombre d’or est le rapport obtenu en divisant un segment de droite en extrême et moyenne raison. Voici comment effectuer cette division.
Prenons un segment de droite AB de longueur arbitraire a. La division en extrême et moyenne raison de AB consiste à déterminer un point C qui divise AB de sorte que le rapport du segment total au plus grand des deux segments obtenus par division soit égal au rapport du plus grand des deux segments obtenus au plus petit des deux. Autrement dit AB est divisé en deux segments de telle sorte que:
\[\frac{a}{b}=\frac{b}{a-b}.\]
On peut facilement déterminer la valeur de ce rapport. En effet:
\[\frac{a}{b}=\frac{b}{a-b}=\frac{1}{\displaystyle\frac{a}{b}-1}.\]
En posant \(\phi=a/b\) on obtinet:
\[\phi=\frac{1}{\phi-1}\]
et \(\phi^2-\phi=1\), d’où:
\[\phi^2-\phi-1=0.\]
On appelle cette équation l’équation caractéristique du nombre d’or1.
Les racines de cette équation quadratique sont:
\[\phi=\frac{1 \pm \sqrt{5}}{2}.\]
La racine positive est la valeur numérique du nombre d’or.
Rectangle d’or
Un rectangle d’or est un rectangle dont le rapport de la longueur L à la largeur l est \(\phi\). On peut facilement construire un rectangle d’or de la façon suivante:
On prend un carré ABCD de côté quelconque. En prenant E, le point milieu du côté AD, comme centre et EC comme rayon, on trace un arc de cercle qui coupe le prolongement du côté AD au point F. On complète le rectangle en élevant en F une perpendiculaire à AF qui coupe le prolongement de BC en G. Le rectangle ABGF est alors un rectangle d’or (voir Problèmes). Un tel rectangle a la caractéristique intéressante suivante:
Dans un rectangle d’or, si on enlève le carré construit sur le petit côté, on obtient encore un rectangle d’or.Démonstration:
La longueur du rectangle restant est l et sa largeur est L – l, et:\[\frac{l}{L – l}=\frac{l}{l(\phi-1)}=\frac{1}{\phi-1}=\phi.\]
Spirale dorée
Pour construire une spirale dorée, on prend un rectangle d’or horizontal de largeur 1 et de longueur \(\phi\). On y inscrit un carré de côté 1 dans le coin gauche. Le rectangle restant est donc un rectangle d’or vertical de longueur 1. On y inscrit un carré dans le coin supérieur. Il reste un rectangle d’or. On itère… Ensuite on inscrit dans chaque carré un quart de cercle de rayon égal au côté du carré de manière à former une courbe continue. Cette courbe est appelée spirale dorée. Elle ressemble à s’y méprendre à une spirale logarithmique. Mais, cette courbe légendaire n’en est pas une. Elle en est seulement une bonne approximation visuelle. La forme de la coquille du nautile, dont on voit une coupe en début d’article, est une véritable spirale logarithmique, mais la différence entre les deux n’est pas évidente visuellement.
Spirale logarithmique
Une spirale logarithmique est une courbe du plan qui, dans un repère orthonormé, est l’ensemble des points dont les coordonnées polaires \(r, \theta)\) satisfont à une équation de la forme \(r=ae^{b \theta}\), où \(a>0\) et \(b\) est non nul.
Propriété fondamentale
de la spirale logarithmique.
L’image par une homothétie de rapport c d’une spirale logarithmique de paramètre b est une spirale logarithmique de même paramètre b. Après une rotation d’un angle \(\psi=\displaystyle \frac{\ln c}{b}\)radians de la nouvelle spirale, on peut la superposer à la spirale initiale.
Qu’est-ce qui différencie une spirale logarithmique d’une spirale qui ne l’est pas? Graphiquement, la différence est la suivante: si on fait une copie d’une spirale logarithmique en imposant une contraction ou une dilatation, il est toujours possible de superposer exactement la copie sur l’original en faisant effectuer à la copie une rotation qui dépend du coefficient de contraction ou de dilatation. C’est cette caractéristique de la spirale logarithmique que le mathématicien Jacques Bernoulli2 (1654-1705) a décrite en ces termes: « eadem mutata resurgo » qui signifie « déplacée (mutata), je réapparais (resurgo) à l’identique (eadem) ». Dans le cas d’une spirale dorée, les courbes se superposent seulement si la contraction est \(1/\phi\) et si elle est accompagnée d’une rotation d’un angle de \(-\pi/2\) radians.
Cette caractéristique de la spirale logarithmique se retrouve dans la description algébrique de la courbe. Les coordonnées polaires \((r, \theta)\) d’un point \(P = (x, y)\) d’une spirale logarithmique sont reliées par une équation de la forme \(r=ae^{b \theta}\) avec \(a>0\) et \(b \neq 0\). Le paramètre important d’une spirale logarithmique est le paramètre b. En effet, si on fait effectuer à une spirale logarithmique une rotation d’un angle \(\psi\), ce qui revient à changer \(\theta\) pour \(\theta + \psi\), on change le paramètre \(a\) en \(a’ = ae^{b\psi}\). Donc le paramètre \(a\) contrôle la position de la spirale, alors que le paramètre \(b\) contrôle sa forme. On peut superposer exactement par une rotation deux spirales de même paramètre \(b\), alors que deux spirales de paramètres \(b\) et \(b’\) distincts ne sont jamais superposables.
Dans l’équation \(r=ae^{b \theta}\), le paramètre \(b\) a la propriété suivante: si on prend un point de départ sur la spirale de coordonnées \((r, \theta)\) et si on fait un tour (\(\theta\) s’accroît de \(2\pi\)), alors \(r\) s’accroît par un facteur \(e^{2 \pi b}\).
La difficulté à trouver le paramètre \(b\) de la spirale logarithmique approchant la spirale dorée consiste à trouver le centre de la spirale dorée! Pour cela, il nous faut être un peu astucieux comme nous le révèle le théorème 2. Par ailleurs, le théorème 3 nous indique que le paramètre \(b\) de la spirale logarithmique approximant la spirale dorée est \(3\phi + 2,\) soit environ 6,854.
Quel est le paramètre des vrais nautiles observés dans la nature? Sur une photo de nautile, il est facile d’identifier approximativement le centre de la spirale. En traçant une demi-droite à partir du centre de la spirale et en la faisant tourner autour de ce centre, on peut mesurer la distance au centre de deux points d’intersection consécutifs de la spirale avec la demi-droite et évaluer par des mesures le facteur par lequel s’est accru ce rayon. Même sans faire de mesure précise, on voit facilement que pour la plupart des nautiles, ce facteur est inférieur à 6,8541. Donc les nautiles n’ont pas la forme d’une spirale dorée!
Mais on a appris beaucoup de choses! On sait maintenant comment calculer le paramètre \(b\) de la spirale d’un nautile, puisqu’on sait qu’en un tour la distance au centre de la spirale s’accroît par un facteur \(e^{2 \pi b}\). On peut donc répertorier les valeurs du paramètre \(b\) et voir si on obtient sensiblement les mêmes valeurs pour différents nautiles. C’est un beau projet à faire en classe.
Nous avons démystifié la spirale logarithmique et le calcul du paramètre b pour une spirale donnée. Mais la question essentielle subsiste:
Pourquoi la forme du nautile est-elle une spirale logarithmique?
Nous allons donner une modélisation très simple qui fournit un élément de réponse. Supposons que l’on considère un triangle rectangle ayant un angle de 30° et arrondissons un peu le petit côté de l’angle droit.
Théorème 2
Soit une spirale dorée inscrite dans un rectangle horizontal de largeur l = 1. En prenant un système d’axes avec origine dans le coin inférieur gauche du rectangle, le centre de la spirale dorée est situé au point O de coordonnées:
\[\left ( \frac{2 \phi + 1}{\phi + 2}, \frac{1}{\phi + 2} \right ) \approx (1,17082;0,27639).\]
Démonstration
Si on envoie le grand rectangle d’or sur le rectangle d’or de droite par une transformation affine T, alors chaque point de la spirale est envoyé sur un point de la spirale et, nous le verrons, le seul point fixe de l’opération est le centre de la spirale dorée.
Quelle est cette transformation affine T? Elle est la composition d’une homothétie de rapport \(1/\phi\), soit:
\[(x,y) \mapsto (x_1, y_1) = \left ( \frac{x}{\phi}, \frac{y}{\phi} \right )\]
avec la rotation d’angle \(-\pi/2\) radians donnée par:
\[(x_1, y_1) \mapsto (x_2, y_2)= (y_1 – x_1)\]
et suivie de la translation par le vecteur (1, 1).
La transformation affine T est donc donnée par
\[(x,y) \mapsto T(x,y)=(x’,y’)\]
d’où
\[(x’,y’)= \left ( \frac{y}{\phi} +1 \frac{-x}{\phi}+1 \right ).\]
Pour trouver le point fixe, on résout le système d’équations:
\[\left \{ \begin{array}{r c l} x’&=&x,\\ y’ &=&y. \end{array} \right.\]
En utilisant l’équation caractéristique et l’équation \(\displaystyle \frac{1}{\phi} = \phi-1\), on vérifie que la solution est bien
\[\left (\frac{2\phi+1}{\phi+2}, \frac{1}{\phi+2} \right ).\]
On peut reproduire cette figure de façon à obtenir une spirale. Il faut faire une copie de la figure avec une rotation, de 30° autour du point A.
Cependant, après la rotation le plus grand côté de l’angle droit doit se superposer à l’hypoténuse de la figure initiale.
Il faut donc que la figure subisse également une dilatation. Aussi doit-on multiplier d par un facteur tel que sa longueur devienne égale à h, soit:
\[h= \frac{d}{\cos \pi} = d \: \text{sec}\:\pi/6=d \times 1,1547.\]
La figure doit, à chaque itération, subir une rotation de 30° et une dilatation de 115,5 %. Les deux premières figures ci-contre ont été produites de cette façon. Cette idée est encore valide si on remplace l’angle de 30° par un angle plus petit ou l’angle droit par un angle obtus. Cependant, dans ce dernier cas, les calculs sont plus complexes.
Ces illustrations aident à concevoir comment se forme la coquille du nautile. Cependant, la croissance ne se fait pas par bonds mais de manière continue. Lors de la croissance, si on s’arrête à un instant donné, la portion de coquille déjà formée ne changera jamais. Mais un nouveau morceau de coquille va s’ajouter au bord déjà existant. Ce nouveau morceau va correspondre à un accroissement de l’angle \(\theta\). Si l’accroissement de l’angle est infinitésimal et donné par un \(d \theta\), alors il est naturel que l’accroissement \(dr\) du rayon de ce nouveau morceau soit proportionnel au rayon \(r\) du bord de la coquille et également proportionnel à \(d \theta\). Ceci donne l’équation différentielle:
\[\frac{dr}{d \theta} =br,\]
qui a pour solution
\[r=a^{eb \theta}.\]
Autres spirales logarithmiques dans la nature
Comme les spirales logarithmiques apparaissent naturellement par suite de la modélisation présentée, il n’est pas surprenant que les coquilles du nautile ne soient pas les seules occurrences de spirales logarithmiques dans la nature. Ainsi, certaines dépressions ou galaxies ont la forme de spirales logarithmiques.
Paramètre b de la spirale logarithmique approximant la spirale dorée
Pour calculer le paramètre b de la spirale logarithmique approximant la spirale dorée, nous devons écrire la formule de la transformation affine T dans un nouveau système de coordonnées (X, Y) dont l’origine est située au centre O de la spirale. Quelle est la formule de la transformation T dans ces coordonnées? On peut se convaincre que c’est la composition de la même homothétie de rapport \(1/\phi\) avec la rotation d’angle \(-\pi/2\) et qu’elle est donnée par:
\[(X,Y) \mapsto (X’,Y’)=\left ( \frac{Y}{\phi}, \frac{X}{\phi} \right ).\]
Donc, lorsqu’on tourne de \(-\pi/2\), on s’est rapproché d’un facteur \(1/\phi\). Par conséquent lorsqu’on tourne de \(2\pi\), on s’est éloigné d’un facteur \(\phi^4\).
Théorème 3
Le paramètre b de la spirale logarithmique approximant la spirale dorée est donné par \(b=\displaystyle \frac{2}{\pi} \ln \phi\), soit environ \(b \approx 0,30635\). En un tour, la distance au centre de la spirale s’accroît par un facteur:
\[\phi^4=3\phi+2 \approx 6,8541.\]
Démonstration:
On doit avoir \(e^{2\pi b} = \phi^4\). En prenant le logarithme des deux côtés, on obtient \(2\pi b = 4 \ln \phi,\) ce qui donne bien:
\[b=\frac{2}{\pi} \ln \phi.\]
Si on parcourt un morceau de la spirale correspondant à un accroissement de l’angle de \(2 \pi\), alors la distance au centre de la spirale s’accroît par un facteur:
\[\begin{array}{r c l}e^{2 \pi b} &=& \phi^4 = (\phi^2)^2=(\phi+1)^2 \\&=& \phi^2+2 \phi+1=3 \phi +2.\end{array}\]
- Dans les calculs et manipulations algébriques, nous nous servons souvent de l’équation caractéristique sous les formes \(\phi^2=\phi+1\) et \(\phi=\displaystyle \frac{1}{\phi-1}.\) ↩
- Jacques Bernoulli avait demandé qu’une spirale logarithmique accompagnée de la légende « eadem mutata resurgem » soit gravée sur sa tombe. Cependant, le graveur a tracé une spirale d’Archimède au lieu d’une spirale logarithmique. ↩