Comment ranger des oranges dans une boîte afin d’en disposer le plus possible?
La question de la disposition des sphères de même rayon peut sembler anodine, mais elle est liée à la répartition des atomes dans un cristal, un solide ou un gaz. En effet, la répartition des atomes dans un solide se fait selon ce qu’on appelle un réseau de Bravais. Les atomes peuvent être disposés aux sommets de cubes empilés de telle sorte que chaque atome est à cheval sur huit cubes. On a alors un réseau cubique simple. L’oxygène et le fluor forment des réseaux cubiques simples. De plus, s’il y a un atome au centre de chaque cube, on dit que le réseau est cubique centré. C’est le cas du fer et du chrome. Un réseau est dit cubique à faces centrées si en plus d’un atome en chaque sommet, il a un atome sur chacune des faces du cube. C’est le cas du zinc, de l’aluminium et du cuivre. Les atomes peuvent également être répartis aux sommets de prismes droits à base hexagonale. On a alors un réseau hexagonal. Le cobalt et le titane, par exemple, forment des réseaux hexagonaux.
Mathématiquement, le problème de l’empilement le plus dense s’énonce comme suit:
Quelle est la densité maximale d’un empilement de sphères pleines et de même rayon dans l’espace?
On définit la densité d’un empilement de sphères dans un cube par le rapport du volume occupé par les sphères sur le volume du cube lorsque le côté de celui-ci tend vers l’infini.
\[d=\frac{\text{volume des sphères}}{\text{volume du cube}} \text{lorsque} \: a \to \infty\]
Pour faciliter la visualisation d’un empilement de sphères dans l’espace, il est d’usage de ne représenter que le centre des sphères, même si, en pratique, elles sont en contact. Cela permet de bien voir la répartition dans l’espace. De plus, on ne représente qu’une portion de l’espace, soit une maille d’un réseau qui s’étend à l’infini.
Dans le cas des réseaux constitués de « mailles élémentaires » qui ont toutes exactement la même densité, et dont le volume est borné, cette densité est la densité de l’empilement. En effet, un grand cube se compose alors de beaucoup de petites mailles qui ont toutes la même densité. Sur les bords, il y a des « portions de mailles » dont le volume est négligeable comparé au volume total. La densité du cube, lorsqu’on fait tendre son côté vers l’infini, est asymptotique à la densité d’une maille.
Auguste Bravais
1811-1863
Physicien et minéralogiste français, Bravais a mené des recherches en astronomie, en physique, en météorologie, en botanique et en cristallographie. Il a participé à plusieurs expéditions scientifiques, en Algérie, en Laponie et au sommet du Mont-Blanc. Il fut nommé professeur d’astronomie à Lyon en 1841, puis professeur de physique à l’École Polytechnique en 1845 et devint membre de l’Académie des Sciences en 1854.
Il est l’auteur des premiers développements de la théorie des réseaux (théorie réticulaire) dans l’assemblage des cristaux et de l’approche mathématique pour en déterminer les caractères. Il a démontré l’existence de 32 classes cristallines et des 14 réseaux tridimensionnels qui portent son nom. Il a également montré l’importance de la densité du tissu réticulaire des faces (loi de Bravais).
On peut facilement déterminer la densité de certains empilements en utilisant le fait que le volume d’une sphère est donné par:
\[V=\frac{4}{3} \pi r^3\]
où r est le rayon de la sphère.
Dans un empilement cubique simple, puisque les sphères sont en contact, le rayon de celles-ci est a/2. Le volume occupé par une sphère est donc:
\[V_s=\frac{4}{3} \pi \frac{a^3}{8}=\frac{\pi}{6}a^3\]
et le volume du cube est $V_c = a^3.$
Puisque les sommets du cube sont les centres des sphères, cela signifie qu’il y a 1/8 de sphère en chacun des sommets. Le cube ayant 8 sommets, il contient donc l’équivalent d’une sphère complète et la densité de l’empilement est:
\[d=\frac{V_s}{V_c}=\frac{\pi a^3/6}{a^3}=\frac{\pi}{6}\simeq0,5235 \ldots\]
Supposons maintenant que l’on déplace légèrement les sphères pour en insérer une de plus au centre du cube, obtenant ainsi un empilement cubique centré. On peut facilement montrer (voir section problèmes) que la densité de cet empilement est:
\[d=\frac{V_s}{V_c}=\frac{\pi \sqrt{3}}{8} \simeq 0,6801 \ldots\]
En considérant un empilement cubique à faces centrées, on trouve une densité de:
\[d=\frac{V_s}{V_c}=\frac{\pi}{\sqrt{18}}=\frac{\pi}{3\sqrt{2}} \simeq 0,7404 \ldots\]
Le problème de l’empilement dense des sphères de même rayon a été posé pour la première fois par Thomas Harriot (1560-1621), assistant de Sir Walter Raleigh (1552-1618). Harriot cherchait à déterminer la meilleure façon d’empiler les boulets de canon. Le problème a été repris en 1609 par Johannes Kepler. Celui-ci a proposé de commencer par répartir les oranges de sorte que chaque orange soit entourée de six autres, formant ainsi un hexagone régulier. Il répète l’opération sur la couche supérieure, mais avec un décalage, et ainsi de suite… Il obtient deux empilements selon que la troisième couche est superposée à la première ou non. En cristallographie, l’un de ces empilements est appelé hexagonal compact et on peut montrer qu’il est équivalent à un empilement cubique à faces centrées. Kepler parvient alors à sa conjecture:
Avant 1998, on n’avait jamais trouvé de preuve mathématique1 de cette conjecture.
Johannes Kepler
1571-1630
Kepler a conservé, de son enfance, quelques moments heureux associés aux phénomènes astronomiques. En 1577, sa mère l’emmena au sommet d’une colline pour observer une comète et, le 31 janvier 1580, son père lui montra une éclipse de Lune. En septembre 1588, il fut admis au séminaire supérieur de Tübingen. Il y suivit les cours d’astronomie de Michael Maestlin. En poursuivant ses études à Tübingen, Kepler envisageait de devenir pasteur luthérien. Avant de terminer ses études, il fut appelé à Graz comme Mathématicien provincial et professeur de morale et de mathématiques à l’école secondaire protestante de Graz. Il était alors âgé de vingt-trois ans. Il a fait beaucoup de recherches en mathématiques, mais il est surtout connu pour ses trois lois des mouvements planétaires développées à partir des observations de Tycho Brahe.
- Voir à ce sujet l’article Preuves et certitudes dans le présent numéro. ↩