Depuis des lustres, la formule, telle une litanie, est familière à tous les élèves du secondaire : « Moins b plus ou moins racine carrée de b deux moins quatre ac sur deux a. » Mais des millénaires avant qu’on ne sache utiliser un tel jargon algébrique, la résolution d’équations du second degré était chose connue des mathématiciens de jadis, qui pour ce faire empruntaient volontiers une tournure géométrique.
La recherche des racines du trinôme du second degré, \(ax^2 + bx + c,\) occupe une part non négligeable du programme d’algèbre du secondaire, avec sans doute comme point culminant la célébrissime formule
\[\frac{-b\pm \sqrt{b^2-4ac}}{2a}\]
découlant de la technique usuelle dite de complétion du carré : on cherche alors à ajuster les deux membres d’une égalité algébrique de manière à ce que l’un d’eux, par l’ajout d’un terme venant le «compléter», devienne une expression élevée au carré (voir à ce propos la Section problèmes). Mais bien longtemps avant qu’on n’ait appris à ainsi « parler algèbre », prenant appui sur des notations algébriques développées à compter du 16e siècle et truffées de signes alphanumériques, on avait su mettre au point des méthodes permettant de résoudre des problèmes derrière lesquels se cache un polynôme de degré deux. Les Mésopotamiens de l’Antiquité, en particulier, avaient élaboré des méthodes à saveur géométrique où le « complément du carré » trouvait son sens en termes de formes géométriques précises — après tout, les expressions \(x^2\) et \(bx\) peuvent respectivement être vues comme un carré de côté \(x\) et un rectangle \(b\) par \(x\). Plus de deux millénaires plus tard, l’ingéniosité de tels tours de passe-passe algébrico-géométrique a d’ailleurs fortement inspiré un al-Khwarizmi dans la résolution complète des polynômes du deuxième degré.
Un ou deux tours à la sauce babylonienne
Dès le 3e millénaire avant notre ère, une intense activité mathématique s’est développée au Proche-Orient, dans la partie est du bassin méditerranéen, notamment au sein de la civilisation mésopotamienne qui a fort longtemps fleuri dans la région correspondant à l’Irak d’aujourd’hui1. La ville de Babylone — célèbre sous le vocable de Babel dans le récit biblique — a longtemps été un centre important de la Mésopotamie, et ce de façon particulière aux alentours de l’an -2000. Cette époque marque le début de la période dite paléo-babylonienne (c’est-à-dire babylonien ancien) — environ entre les 20e et 16e siècles avant notre ère —, les mathématiciens mésopotamiens d’alors sachant résoudre des problèmes qui, avec nos notations d’aujourd’hui, se ramènent à des équations du second degré.
Un document typique de la période paléo-babylonienne est la tablette d’argile BM 13901 (pièce no 13901 de la collection du British Museum), dont le premier problème peut se lire comme suit :
J’ai additionné la surface et le côté de mon carré : 0;45.
Tu poses 1, la projection. Tu détaches la moitié de 1. Tu croises 0;30 et 0;30. Tu ajoutes 0;15 à 0;45. 1 est le carré de 1. Tu enlèves 0;30, que tu as croisé, de 1. Le côté du carré est 0;30.
On se rappellera que le système de numération mésopotamien est de base soixante. Il est donc d’usage, pour transcrire de façon commode en notation moderne les nombres écrits dans ce système, de séparer les positions sexagésimales par une virgule, et les parties entière et fractionnaire, par un point-virgule. Ainsi la notation 1,23,4;56,7 représente le nombre
\[1 \times 60^2 +23 \times 60+4+56 \times \frac{1}{60}+7 \times \frac{1}{60^2}.\]
Utilisant sans vergogne une notation algébrique moderne, on voit qu’il est question, dans le texte qui précède, d’un carré dont on additionne l’aire \(x^2\) et le côté \(x,\) obtenant 0;45, c’est-à-dire 3/4. Autrement dit, on s’intéresse à l’équation quadratique
\[x^2 + x = \frac{3}{4}\]
que l’on cherche à résoudre. Que dire maintenant des propos qu’on y tient?
Même si aucune figure géométrique n’a été repérée sur les tablettes mésopotamiennes traitant de tels problèmes, les experts s’entendent aujourd’hui2 sur le fait que les manipulations proposées se comprennent mieux en les voyant comme une sorte de « couper-coller » géométrique. En particulier, la notion de projection3, à la deuxième phrase du texte, renvoie, soutient-on, à l’idée de projeter un segment de longueur 1 hors du carré de côté x, ce qui permet, géométriquement parlant, de voir surgir un rectangle de côtés 1 et x. Autrement dit, « ajouter une longueur à une surface » — ce qui est en soi un geste un peu étrange — revient de fait à combiner deux surfaces, l’une étant un rectangle de côté 1. Il s’agit ensuite de « détacher » la moitié de ce rectangle, puis de placer judicieusement cette moitié de manière à pouvoir la « croiser » (on dit aussi « combiner ») avec une copie d’elle-même. De là, le phénomène de la complétion de carré devient géométriquement quasi inévitable (voir l’encadré Complétion géométrique du carré : BM 13901).
Complétion géométrique du carré : BM 13901
La figure du haut montre un carré de côté x (en vert) auquel on a adjoint un rectangle 1 par x (on voit donc ici la « projection » d’un segment de longueur 1 hors du carré). D’après la donnée du problème, ces deux polygones ont ensemble une aire de 0;45 [= 3/4]. Peut-on les disséquer de manière à former une figure « parlante »? La consigne est de « détacher » la moitié de 1 (trait pointillé) : on obtient ainsi deux petits rectangles de côtés 0;30 [=1/2] et x. Déplaçant l’un de ces rectangles (en rouge sur la figure du centre), on peut le disposer (ô tour astucieux!) de sorte à former une sorte de « L » (inversé), évidemment d’aire 0;45 (régions verte et rouges). Il devient alors tout à fait naturel de « boucher le coin » en complétant le carré (de manière géométrique) : la figure bleue est un (petit) carré de côté 0;30, et donc d’aire 0;30 × 0;30 = 0;15 . Mais alors la figure du bas est un (grand) carré tricolore, et d’aire 0;45+0;15=1, donc de côté 1. Comme l’un des côtés du rectangle rouge est 0;30, on a alors x + 0;30 = 1, de sorte que x = 0;30, c’est-à-dire 1/2.
Dans le même esprit se trouve une méthode utilisée sur la tablette YBC 4663, appartenant à la Yale Babylonian Collection de l’Université Yale. Une partie du huitième problème qui y figure concerne un rectangle d’aire 7;30 [=7 1/2] dont la longueur excède la largeur de 3;30 [= 3 1/2]. On demande de trouver les dimensions du rectangle en cause.
Les instructions sont de prendre la moitié de 3;30, donc 1;45 [=1 3/4], que l’on élève au carré pour obtenir 3;3,45 [=3 1/16]. Additionnant ensuite 7;30 à 3;3,45, on obtient 10;33,45 [= 10 9/16] dont on calcule la racine carrée, 3;15 [= 3 1/4]. Additionnant 1;45 à 3;15, on trouve 5, la longueur du rectangle, et soustrayant 1;45 de 3;15, on trouve sa largeur 1;30 [= 1 1/2] . (À propos de l’arithmétique sexagésimale en jeu ici, voir la Section problèmes.)
Aucune indication n’est donnée sur la tablette YBC 4663 (ni ailleurs dans d’autres artéfacts paléo-babyloniens) pour expliquer le déroulement de cette procédure.
Mais ici encore, les experts s’entendent4 pour y voir une motivation géométrique — voir l’encadré Complétion géométrique du carré : YBC 4663.
Transposant le tout en notation moderne, la procédure en cause dans ce dernier pro- blème, appliquée au système générique de deux équations \(x-y=b\) et \(xy=c,\) pourrait se cristalliser dans les expressions suivantes (voir la Section problèmes):
\[ x= \displaystyle \sqrt{c+ \left( \frac{b}{2} \right)^2} + \frac{b}{2} \: \text{et} \: \sqrt{c+ \left( \frac{b}{2} \right)^2} – \frac{b}{2}.\]
(On aura reconnu ici l’expression
\[xy+ \left ( \frac{x-y}{2} \right )^2\]
dont il est question dans l’encadré Complétion géométrique du carré : YBC 4663.) Il va de soi qu’un tel système d’équations revient de fait à une équation quadratique — en l’occurrence \(x^2 – bx = c\) — dont les deux solutions, selon la formule aujourd’hui usuelle, sont
\[\frac{b \pm \sqrt{b^2+4c}}{2},\]
à savoir 5 et –1,5 pour les données de la tablette YBC 4663.
Une autre lecture de ce type de problème repose sur un lien frappant, pour x et y donnés, entre les trois quantités xy, (x + y)/2 et (x – y)/2, le produit, la demi-somme et la demi-différence de x et y :
\[\left(\frac{x+y}{2} \right )^2 = xy + \left ( \frac{x-y}{2}\right )^2.\]
Cette relation est considérée comme connue « depuis toujours » — ou en tout cas connue des mathématiciens mésopotamiens (voir à ce sujet la Section problèmes)5. Comme les données du problème nous renseignent complètement sur le membre de droite de l’égalité, on connaît ainsi le membre de gauche, et donc la valeur de (x + y)/2. De là, il est immédiat de trouver x et y.
Complétion géométrique du carré : YBC 4663
Le problème porte sur un rectangle de côtés x et y dont l’aire xy est 7;30 et tel que la différence de ses deux côtés, x – y, est 3;30. Les premières étapes du calcul indiqué sont de prendre la moitié de 3;30, puis d’élever cette moitié au carré. La quantité ainsi obtenue, 3;3,45, correspond donc à
\[\left ( \frac{x-y}{2} \right )^2.\]
Mais que peut-on en dire (ou en faire) au juste?
Géométriquement parlant, partant d’un rectangle x par y (avec x > y de sorte que la différence x – y ait du sens)6, on y a identifié successivement les quantités
\[x-y, \frac{x-y}{2} \: \text{et} \: \left( \frac{x-y}{2} \right )^2.\]
On est ainsi passé (encore une fois par une manipulation géométrique un brin astucieuse mais foncièrement élémentaire) d’un rectangle donné de côtés x et y à une figure en forme de « L » (voir les deux premières figures). À noter que ce « L », selon les données du problème, a pour aire 7;30, c’est-à-dire xy. Il est alors fort tentant d’introduire le « complément » de cette dernière figure de manière à obtenir un « grand carré » : ce complément est, bien sûr, un (petit) carré de côté \(\displaystyle \frac{x-y}{2}\) (en bleu sur la troisième figure).
Mais que dire alors du grand carré? Observons tout d’abord que son aire est la somme des aires du « L » et du petit carré : 7;30 + 3;3,45 = 10;33,45 — c’est-à-dire, de manière générale,
\[xy+ \left ( \frac{x-y}{2} \right )^2.\]
Or le côté du grand carré (en l’occurrence 3;15, la racine carrée de la dernière expression) correspond dans les faits à
\[y+\frac{x-y}{2}\]
(voir la troisième figure). Et il est clair (n’est-ce pas?) que cette dernière expression revient à \(\displaystyle \frac{x+y}{2}\). (Avec le symbolisme algébrique d’aujourd’hui, une telle observation est bien sûr banale. Mais il n’est pas du tout nécessaire de posséder un tel attirail pour se convaincre de ce fait : on peut en donner une « preuve visuelle » — voir la Section problèmes.)
Bref, on connaît maintenant les valeurs de \(\displaystyle \frac{x+y}{2}\) et de \(\displaystyle \frac{x-y}{2}\). De là, il est immédiat de trouver les valeurs recherchées de x et de y, puisque :
\[x= \frac{x+y}{2} + \frac{x-y}{2} \: \text{et} \: y= \frac{x+y}{2} – \frac{x-y}{2}.\]
(n’est-ce pas?).
On ne s’étonnera pas, dans le même esprit, du fait qu’on connaissait à Babylone le tour qui convient afin de traiter un problème quadratique revenant à un système de deux équations du type \(x+y=b\) et \(xy=c\) (voir la Section problèmes).
Changement de variable en Mésopotamie
Regardons un dernier artéfact mésopotamien important, datant lui aussi du 18e siècle avant notre ère : un prisme d’argile se trouvant dans la collection des Antiquités orientales du Musée du Louvre et connu sous le code AO 8862. Sur les quatre faces latérales de ce prisme figurent huit problèmes, dont certains concernent, comme précédemment, des rectangles dont on cherche les dimensions à partir d’informations sur leur aire et sur la somme ou la différence de leurs côtés — il s’agit donc de fait de problèmes quadratiques. Certains experts7 sont d’avis que de tels prismes pourraient avoir été rédigés par des étudiants afin de montrer qu’ils maîtrisaient bien diverses techniques mathématiques de base.
Le premier problème de AO 8862 porte sur un rectangle à propos duquel sont fournies deux informations : la somme des deux côtés est 27; et l’aire, ajoutée à l’excès de l’un des deux côtés sur l’autre, donne 3,3 [c’est-à-dire 3 × 60 + 3 = 183]. On demande de déterminer les côtés du rectangle en cause. (Les énoncés originaux de tels problèmes commencent souvent par les mots « Longueur et largeur ».)
Les étapes de calcul indiquées pour résoudre le problème sont les suivantes :
- en additionnant 27 et 3,3 (les données du problème), on trouve 3,30
- en ajoutant 2 à 27, on trouve 29
- la moitié de 29 est 14;30
- 14;30 × 14;30 = 3,30;15
- 3,30;15 – 3,30 = 0;15
- la racine carrée de 0;15 est 0;30
- ajoutant 0;30 à « l’un des deux 14;30 », on trouve 15, la longueur
- et enlevant 0;30 à «l’autre 14;30», on trouve 14, la largeur
- finalement, enlevant de 14 le 2 ajouté à 27, on trouve 12, la « vraie largeur ».
Les dernières lignes du problème portent ensuite sur la vérification de la réponse obtenue. Étant donné un rectangle 15 par 12, l’aire est de 3,0 [alias 180] et la différence entre les côtés, 3, ce qui donne bien une somme de 3,3. De plus, en additionnant les deux côtés, on trouve 27, tel que demandé.
Pour correcte qu’elle soit, cette solution apparaît à nouveau plutôt sibylline. Que se passe-t-il au juste? Et quid en particulier de l’étape où on ajoute 2 à 27? (À cet égard, le 14;30 ± 0;30 a peut-être un petit côté déjà familier…)
Une lecture possible8 consiste à partir d’un rectangle de côtés x et y (en vert sur la figure) et d’y adjoindre la longueur x – y, mais — un peu comme dans la notion de « forjet » ci-haut — sous la forme d’un rectangle (bleu) de largeur 1.
Les données du problème nous apprennent alors que la figure ci-dessus (une sorte de « L ») a une aire de 3,3 [= 183]. Or la première étape de la procédure demande de trouver la somme 27 + 3,3 = 3,30. Cela revient donc à rattacher à ce « L » la somme x + y des deux côtés du rectangle donné. Mais comment accomplir cela joliment, géométriquement parlant? Une des façons est de transformer la figure en un grand rectangle en y ajoutant d’abord un rectangle (orangé) de dimensions 1 par y, puis un second rectangle (jaune) 1 par x, tous deux placés de façon idoine.
On voit ainsi surgir « naturellement » un rectangle de côtés x et y + 2 , dont on connaît la somme des côtés — ici, (x+y) + 2 = 27 + 2 = 29 — et l’aire totale — ici, 3,30, tel que vu ci-haut. Or pour le mathématicien mésopotamien, c’est là un problème qu’il sait résoudre! (Nous renvoyons la suite de l’étude de cette solution à la Section problèmes.)
À noter qu’avec notre vocabulaire d’aujourd’hui, il y a eu ici un changement de variable: posant y‘ = y + 2, on a d’abord à résoudre un problème du type x+y‘=b et xy‘=c. Une fois trouvées la longueur et la largeur de ce rectangle auxiliaire, on peut revenir à la « vraie largeur » du rectangle initial (de côtés x et y) en supprimant la longueur de 2 temporairement ajoutée, ce qui est effectué à la dernière étape de la procédure ci-haut.
Tour d’horizon du côté de Bagdad
Les méthodes de résolution de problèmes quadratiques développées à l’époque de la civilisation mésopotamienne se sont retrouvées, quelque 2500 ans plus tard, au cœur de la démarche du mathématicien Mohammad Ibn Mousa (env. 780-850), mieux connu sous son surnom al-Khwarizmi9. De descendance persane, al-Khwarizmi a vécu principalement à Bagdad (aujourd’hui en Irak) dans un contexte de culture arabe. Il a œuvré dans le cadre de la Maison de la Sagesse, célèbre bibliothèque et institution de traduction et de recherche, établie sous le règne du calife al-Ma’moun (813-833).
Surtout renommé aujourd’hui pour deux de ses traités, l’un portant sur l’arithmétique et l’autre sur la résolution d’équations, al-Khwarizmi est de ce fait relié à l’étymologie de deux termes omniprésents aujourd’hui en mathématiques. Connu en latin au Moyen Âge sous le nom Liber Algorismi, « Le livre d’al-Khwarizmi », son traité d’arithmétique a donné naissance à notre mot algorithme. Par ailleurs, son traité Kitab al-jabr wa’l-muqabala, « Précis de calcul par al-jabr et al-muqabala » (c’est-à-dire livre abrégé sur le calcul par la restauration et la comparaison)10, écrit aux environs de 825, a mené au mot algèbre.
Travaillant constamment avec des cœfficients positifs et s’exprimant en mots dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler une algèbre rhétorique, al-Khwarizmi a répertorié, dans ce dernier traité, tous les types d’équations du second degré reliant le « bien » (le carré de l’inconnue), la « racine » (l’inconnue), et le nombre connu (ou terme constant, souvent appelé « dirham »11). L’un de ces types d’équations est de la forme « biens et racines égalent nombre » (c’est-à-dire, en notation moderne, \(ax^2 + bx = c)\), et al-Khwarizmi présente entre autres le problème suivant :
Un carré et des racines égaux à un nombre, c’est par exemple lorsque tu dis : un bien et dix de ses racines sont égaux à trente-neuf dirhams. C’est-à-dire : quel est le bien qui, combiné avec dix de ses racines, donne une somme de trente-neuf?
Et l’algorithme (hum!) de résolution qu’il propose verbalement se lit comme suit :
La règle est de prendre la moitié des racines, soit cinq, que tu multiplies par elle-même. Cela donne vingt-cinq. En y ajoutant trente-neuf, tu obtiens soixante-quatre. Tu prends la racine, qui est huit, et enlève-lui la moitié du nombre des racines, qui est cinq. Il reste donc trois, qui est la racine du bien que tu veux. Et le bien est neuf.
Transcrite en notation moderne à partir de l’équation \(x^2 + bx = c,\) cette procédure mène directement à la formule bien connue
\[\displaystyle \sqrt{\left ( \frac{b}{2} \right )^2 +c}- \frac{b}{2}.\]
Fait remarquable (notamment en comparaison de la tradition mathématique mésopotamienne), le mathématicien persan donne ensuite une justification de sa solution et ce, même de deux manières différentes. L’une de ces démonstrations est une transcription géométrique directe de la procédure, ce qui mène à une figure identique à celle introduite plus haut à propos de la tablette BM 13901. L’autre démonstration (qu’il présente de fait en premier lieu dans son traité) repose sur une variante de la procédure où il partage en quatre le nombre de racines (et non plus en deux). Il en résulte la figure ci-contre. À partir de ces deux figures, il est immédiat de tirer, dans le cas général, l’expression usuelle de la racine (positive) d’une telle équation. (Voir à ce sujet la Section problèmes.)
Pour en s\(\alpha\)voir plus!
- Høyrup, Jens, Lengths, Widths, Surfaces: A Portrait of Old Babylonian Algebra and Its Kin. Springer, 2002. Ouvrage-phare pour une relecture des documents paléo-babyloniens plus fidèle au texte-source que les premières traductions, qui remontaient aux décennies 1930 et 1940. Il en résulte une vision à forte saveur géométrique.
- Robson, Eleanor, « Mesopotamian Mathematics. » In : Victor J. Katz, (dir.), The Mathematics of Egypt, Mesopotamia, China, India, and Islam: A Sourcebook. Princeton University Press, 2007, pp. 57-186.
Recueil de 65 textes mathématiques mésopotamiens, présentés et commentés. - À propos des mathématiques mésopotamiennes :
Høyrup, Jens, L’algèbre au temps de Babylone : quand les mathématiques s’écrivaient sur de l’argile. Vuibert, 2010.
Robson, Eleanor, Mathematics in Ancient Iraq : A Social History. Princeton University Press, 2008. - Un panorama de l’histoire de l’algèbre :
Katz, Victor J. et Hunger Parshall, Karen, Taming the Unknown : A History of Algebra from Antiquity to the Early Twentieth Century. Princeton University Press, 2014. - Sources pour les textes d’al-Khwarizmi :
Djebbar, Ahmed, L’algèbre arabe : genèse d’un art. Vuibert, 2005.
Al-Khwarizmi. Le commencement de l’algèbre. Texte établi, traduit et commenté par Roshdi Rashed. Librairie Albert Blanchard, 2007.
- Voir à ce propos Bernard R. Hodgson, Accromath, Volume 1, été-automne 2006, p. 19. ↩
- Voir notamment, dans le Pour en savoir plus, le texte d’Eleanor Robson (2007) p. 102, ou encore Robson (2008) p. 278. ↩
- On notera à cet égard que Høyrup utilise le mot « projection » dans son texte anglais de 2002 (p. 13), mais plutôt « forjet » dans son texte français de 2010 (p. 39) — voir Pour en savoir plus. Le mot forjet (du latin foris, « dehors » et du verbe jeter) est un terme d’architecture désignant un élément se dégageant en saillie dans un édifice (par exemple un balcon). ↩
- Voir par exemple, dans le Pour en savoir plus, Katz et Hunger Parshall, pp. 20-22. ↩
- Cette relation a fait l’objet notamment, autour de l’an 300 avant notre ère, de la Proposition II.5 des Éléments d’Euclide. ↩
- Il n’est évidemment pas question de nombres négatifs dans les mathématiques mésopotamiennes. ↩
- Voir par exemple Robson (2007) p. 128. ↩
- Proposée par Høyrup — voir (2002) p. 169. ↩
- C’est-à-dire « Le Khwarizmien ». Sa famille était originaire du Khwarizm, région d’Asie centrale située dans l’actuel Ouzbékistan. ↩
- « Restauration » et « comparaison » sont les noms donnés par al-Khwarizmi à certaines des opérations intervenant dans la manipulation d’équations algébriques. ↩
- Le dirham était la monnaie de l’empire musulman. ↩