Quelles sont les constructions que l’on peut faire à la règle et au compas? Et à l’Origami? Quels sont les nombres que l’on peut construire à la règle et au compas si on se donne deux points à distance 1 l’un de l’autre? Et à l’Origami?
Deux règles, notées R1 et R2 suffisent pour les constructions à la règle et au compas.
R1: Il est toujours possible de tracer une droite entre deux points.
R2: Il est toujours possible de tracer un cercle de centre donné et passant par un point donné.
Pour l’Origami nous allons nous donner six axiomes et les numéroter O1,…, O6.
Examinons ces axiomes un à un.
Le pli de l’axiome O1 est simplement la droite passant par P et Q, donnée par la règle (R1).
Le pli de l’axiome O2 est la médiatrice du segment PQ, que l’on sait construire à la règle et au compas (voir section problèmes).
Pour l’axiome O3, on doit distinguer deux cas, selon que les deux droites sont sécantes ou parallèles. Dans le premier cas, il existe deux solutions qui sont les deux bissectrices des angles formés par D1 et D2. Dans le deuxième cas, l’unique solution est la parallèle équidistante à D1 et D2. On peut construire ces droites à la règle et au compas (voir section problèmes).
Le pli décrit par l’axiome O4 est la perpendiculaire à D passant par P, lequel peut aussi être construit à la règle et au compas (voir section problèmes).
Axiomes de l’Origami
- O1: Un unique pli passe par deux points P et Q donnés distincts.
- O2: Si P et Q sont deux points distincts, un unique pli amène P sur Q.
- O3: Il existe un pli qui superpose deux droites distinctes D1 et D2.
- O4: Un unique pli passe par un point P et est orthogonal à une droite D.
- O5: Soit une droite D, et deux points P et Q. Lorsque le problème est possible, il existe un pli passant par P qui amène Q sur D.
- O6: Soit deux droites distinctes, D1 et D2, et deux points distincts, P et Q. Lorsque le problème est possible, il existe un pli qui amène simultanément P sur D1 et Q sur D2.
Pour comprendre l’axiome O5 regardons la figure sur laquelle le pli est dessiné. On a |PQ|=|PQ’|. Le point Q est plié sur Q’, lequel est sur le cercle C de centre P et de rayon |PQ|.
Par suite, on peut construire une telle droite à la règle et au compas si C et D ont des points d’intersection, c’est-à-dire si |PQ| est supérieur ou égal à la distance de P à D. Si |PQ| est strictement supérieur à la distance de P à D, alors on a deux solutions différentes, correspondant aux deux points d’intersection Q’ et Q’’ de C et D.
L’axiome O6 est plus mystérieux. On verra plus bas qu’en général, on ne pourra pas construire cette droite à la règle et au compas!
Quels sont les nombres positifs que l’on peut construire à la règle et au compas?
On suppose donné un segment de longueur 1: on dira que 1 est constructible. Alors (voir encadré)
- Si a et b sont constructibles, on peut construire a + b et |a – b|.
- Si a et b sont constructibles, on peut construire ab et a/b (en jouant avec des triangles semblables).
- Si a est constructible, on peut construire \(\sqrt{a}\).
Et rien d’autre!
Par exemple, le nombre
\[\sqrt{\frac{\sqrt{2+\sqrt{\frac{3}{\sqrt{5}}}}}{\frac{3}{2}+\sqrt{2\sqrt{7}}}}\]
est constructible.
Nombres constructibles à la règle et au compas
On suppose donné un segment de longueur 1. Il est clair que si a et b sont constructibles, alors a + b est constructible. Pour le produit ab, regardons maintenant la figure
Si |OA| =1, |OC| = a et |OB| = b, alors |OD|=ab par les propriétés des triangles semblables. Et il est clair qu’on peut construire D comme l’intersection de la droite OC avec la parallèle à AC passant par B, une droite que l’on peut construire à la règle et au compas.
La même figure permet de montrer que a/b est constructible si on prend |OA|=1, |OD|=a et |OB| = b. Alors |OC|=a/b.
On a donc montré que tout nombre rationnel positif est constructible.
Montrons maintenant que si a est constructible, alors a est constructible.
Pour cela, on regarde la figure suivante dans laquelle le triangle ABC est rectangle et AH est la hauteur.
En utilisant
\[\cos∠ABC = \frac{|AB|}{|BC|} = \frac{|BH|}{|AB|},\]
on tire que
\[|BH| |BC|= |AB|^2.\]
Si \(a > 1,\) on prend
\[|BC|=a \: \text{et} \: |BH|=1.\]
Si \(a <1,\) on prend plutôt |BC|=1 et |BH|=a. Dans les deux cas |AB|= \sqrt{a}\). Donc, il faut trouver comment construire A une fois qu’on a construit B et C. On peut bien sûr trouver le milieu M de BC et tracer le demi-cercle centré en M de rayon |BC|/2. A est sur ce demi-cercle. Il est aussi sur l’intersection de la perpendiculaire à BC à la distance |BH| de B, une droite constructible à la règle et au compas (exercice).
La trisection de l’angle est-elle possible à la règle et au compas? Ce n’est qu’en 1837 que Pierre-Louis Wantzel a montré que la réponse à ce grand problème de l’Antiquité est en général négative. Pourquoi? Si on se donne un angle θ, alors on peut construire cos θ. Supposons que l’on puisse construire θ/3. Alors, on saurait construire cos(θ/3), à partir de cos θ. Or c = cos(θ/3) est solution de l’équation cubique
\[4c^3 – 3c – \cos \phi = 0,\]
dont la solution ne s’obtient pas avec les quatre opérations élémentaires et des racines carrées, sauf pour des valeurs très particulières de cos θ.
La trisection de l’angle
On part d’une feuille carrée que l’on plie deux fois en deux. Regardons la figure.
La droite D1 est le pli au quart de la feuille. La droite D2 fait un angle θ avec le bas de la page et c’est cet angle que l’on veut trisecter. Appliquons l’axiome O6 avec P, D1 et Q, D2. Le pli se fait le long de la droite D4. Ceci nous donne aussi une nouvelle droite, D3, qui est le prolongement de l’image de D1 après le pli.
Comme D1 est perpendiculaire au bord de la feuille, D3 sera perpendiculaire à AC. Commençons par montrer que D3 passe par l’origine.
Le pli D4 est la médiatrice de PC et de QA. Les droites D1 et D3 sont symétriques l’une de l’autre par rapport à D4. Comme D3 passe par C, alors D3 pas se par P.
Il ne nous reste plus qu’à montrer que la droite PC trisecte l’angle θ.
On a |AB|=|QR| et |BC|=|RP|, par symétrie par rapport à D4. Comme |RP|=|QR|, alors |AB|=|BC|.
Donc, les deux triangles rectangles PBA et PBC sont congrus. D’où,
∠APB = ∠BPC.
On avait déjà
∠BPC = ∠RCP,
par symétrie par rapport à D4. D’autre part,
∠RCP = ∠CPD,
angles alternes-internes. Donc,
∠APB = ∠BPC = ∠CPD.
La trisection de l’angle est possible en Origami!
La preuve se trouve dans l’encadré ci-haut.
On peut construire les coniques en Origami!
Soit F un point fixe en dehors d’une droite ∆ (souvent prise au bord de la feuille). Prenons le pli DP envoyant F fixe sur un point variable P de ∆.
La parabole de foyer F et de directrice ∆ est l’enveloppe de tous ces plis, c’est-à-dire que chaque droite DP est une tangente à cette parabole. De plus, la réunion de toutes les droites DP est la région sous la parabole. Pourquoi?
La droite de pli DP envoie F sur P. Soit Q l’intersection de DP et de la perpendiculaire à ∆ en P. Q est à égale distance de F et de ∆, donc sur la parabole de foyer F et de directrice ∆.
Montrons que DP est tangente à cette parabole en Q. Nous allons utiliser le critère suivant: la tangente à la parabole en P est la seule droite passant par Q dont tous les points, sauf P, sont plus proches de ∆ que de F. Toutes les sécantes à la parabole en Q ont des points au dessus de la parabole, donc plus près de F que de ∆.
Regardons la figure.
Soit R un point de DP. Alors |RF|=|RP|, puisque DP est la médiatrice de FP. Mais, |RP| est supérieur à la distance de R à ∆. Donc, la distance de R à ∆ est inférieure à |RF|.
Bonus: faire un pli qui envoie un point F sur une droite ∆, c’est construire une tangente à la parabole de foyer F et de directrice ∆!1
De même, l’ellipse est l’enveloppe de tous les plis envoyant un point fixe F situé à l’intérieur d’un cercle sur un point variable P d’un cercle. F est un foyer de l’ellipse, le deuxième foyer étant le centre du cercle.
Pour l’hyperbole, on prend le point F à l’extérieur du cercle.
Retour sur l’axiome O6
Cet axiome nous dit que, lorsque le problème est possible, il existe un pli qui amène simultanément P sur D1 et Q sur D2.
En utilisant notre bonus, un pli qui amène simultanément P sur D1 et Q sur D2 est une tangente commune à deux paraboles: la parabole de foyer P et de directrice D1 et la parabole de foyer Q et de directrice D2!
L’axiome O6 permet de construire des solutions de polynômes cubiques
Prenons les paraboles
\[y = \frac{1}{2} x^2 \: \text{et} \: \left ( y-\frac{a}{2} \right )^2=2bx.\]
Nous affirmons (voir l’encadré) que la pente m d’une tangente commune aux deux paraboles est solution de l’équation
\[m^3 + am + b = 0.\]
Suivant les valeurs de a et de b les deux paraboles peuvent avoir jusqu’à trois tangentes communes.
La pente m d’une tangente commune aux deux paraboles
\[y= \frac{1}{2}x^2 \: \text{et} \: \left (y-\frac{a}{2} \right )^2 =2bx.\]
est solution de l’équation \(m^3 + am + b = 0.\)
Cherchons s’il existe une tangente commune aux deux paraboles au point \((x_1, y_1)\) de la première et au point \((x_2, y_2)\) de la deuxième. Alors,
\[y_1= \frac{1}{2}x_{1}^{2} \: \text{et} \: \left (y_2 -\frac{a}{2} \right )^2 =2bx_2.\]
Soit m la pente de cette droite, qui a donc pour équation \(y – y_1= m(x- x_1).\) Comme la droite passe par \((x_2, y_2)\) on a
\[m=\frac{y_2-y_1}{x_2-x_1}. \: \: (^*)\]
Nous allons calculer \(x_1, x_2, y_1, y_2\) en fonction de m et substituer dans l’équation précédente pour obtenir une équation en m seulement. La pente de la parabole
\(\displaystyle y=\frac{1}{2}x^2\) au point \((x_1, y_1)\) est \(x_1\).
Donc
\[x_1=m \: \text{et} \: y-1 = \frac{1}{2}m^2.\]
Regardons maintenant la parabole
\[\left ( y-\frac{a}{2} \right )^2 =2bx\]
On a
\[\frac{dx}{dy} = \frac{1}{b} \left (y-\frac{a}{2} \right ).\]
Donc
\[\frac{dy}{dx} = \frac{1}{dx/dy}= \frac{b}{y-\frac{a}{2}}.\]
Écrivons que cette dérivée en \(y_2\) vaut m:
\[m=\frac{b}{v^2-\frac{a}{2}}.\]
On en tire
\[y_2 – \frac{a}{2}=\frac{b}{m}.\]
Remplaçons dans l’expression de
\[x_2=\frac{(y_2-a/2)^2}{2b}, \: \text{d’où} \: x_2 =\frac{b}{2m^2}.\]
Finalement, remplaçons dans l’expression (*)
\[m=\frac{\frac{a}{2}+\frac{b}{m}-\frac{m^2}{2}}{\frac{b}{2m^2}-m}=\frac{m(2b+am-m^3)}{b-2m^3}.\]
Donc, m est solution de
\[m(2b+am-m^3)-m(b-2m^3)=m(m^3+am+b)=0.\]
De par la forme des paraboles, il est aisé de voir que la solution m = 0 est exclue, car la deuxième parabole n’a aucun point en lequel la tangente est horizontale. C’est-à-dire que m est solution de l’équation du troisième degré \(m^3 + am + b = 0.\)
Quels sont les nombres qu’on peut construire à l’Origami?
Tous les nombres constructibles à la règle et au compas sont constructibles à l’Origami.
Mais, on en a d’autres! Si a et b sont constructibles à l’Origami et si m est une racine réelle de \(m^3+am+b=0,\) alors m peut être construit à l’Origami. En particulier, on peut construire la racine cubique d’un nombre positif. Donc, la duplication du cube est possible en Origami, alors qu’elle est impossible à la règle 17 et au compas.
Un développement moderne
Les algorithmes pour réaliser des pliages sophistiqués intéressent les informaticiens théoriciens. En effet, comment par exemple replier un coussin gonflable pour qu’il occupe le moins de volume possible tout en se déployant librement en cas d’impact?
Un des spécialistes du domaine est le canadien Erik Demaine. Avec son père Martin Demaine et Anna Lubiw, il a montré le théorème suivant:
Étant donné n’importe quel ensemble fini de polygones (convexes ou non) dessinés sur une feuille de papier, il existe un pliage qui permet de couper simultanément tous les côtés de tous les polygones d’un seul coup de ciseau, et seulement eux.
Essayons de nous convaincre que ce théorème est vrai. Pour simplifier nous allons discuter le cas d’un unique polygone. Dans le cas d’un triangle équilatéral, on peut plier sur deux bissectrices. Dans le cas d’un carré, il suffit de plier sur les deux diagonales. Mais, ces diagonales sont aussi les bissectrices des angles… On voit déjà un premier ingrédient. A priori, on va vouloir utiliser à répétition l’axiome O3 pour envoyer par des plis successifs tous les côtés sur un seul côté.
On va donc introduire un objet géométrique, le squelette droit. Cet objet ressemble beaucoup au squelette introduit dans l’article Classifier des objets2. Pour l’obtenir, on déplace les arêtes du polygone parallèlement à leur position initiale. Les points du squelette droit sont les points d’intersection des translatés des arêtes à égale distance du polygone initial.
Dans le cas d’un triangle, le squelette droit est composé de la portion des bissectrices intérieures jusqu’à leur point d’intersection au centre du cercle inscrit, et des bissectrices extérieures des angles. Dans le cas d’un carré, il est composé des diagonales. Un pli sur un segment du squelette envoie deux côtés du polygone l’un sur l’autre. Donc, il est facile de se convaincre qu’on va vouloir plier le long des segments ou demi-droites du squelette droit.
Voici le squelette droit d’un rectangle.
Si vous commencez par plier en envoyant les deux grands côtés l’un sur l’autre et ensuite les deux coins, alors vous pourrez découper le rectangle d’un seul coup de ciseau.
Par contre, si vous voulez découper un triangle non isocèle d’un seul coup de ciseau, deux plis le long de deux bissectrices ne suffisent plus…
Il va donc falloir utiliser d’autres plis que ceux de l’axiome O3: ce seront ceux de l’axiome O4. On va plier le long de perpendiculaires aux côtés du polygone issus de sommets du squelette droit.
Dans le cas du rectangle, ceci nous donne un deuxième pliage solution. Dans ce pliage, on alterne le sens des plis: les plis sur les lignes en pointillé rouge seront dans un sens, et ceux sur les lignes en pointillé bleu, dans l’autre.
L’algorithme général fonctionne en utilisant les deux types de plis: des plis le long de segments du squelette droit et des plis issus des sommets du squelette et perpendiculaires aux côtés du polygone.
Le cas général est difficile. Ce n’est pas facile pour un ordinateur de dessiner le squelette droit d’un polygone ou d’un ensemble de polygones. De plus, quand on trace une perpendiculaire à une arête du polygone issue d’un sommet du squelette droit, celle-ci peut intersecter un segment du squelette droit. Dans ce cas, on trace aussi le symétrique de cette perpendiculaire par rapport au segment. Ce réseau des perpendiculaires et de leurs symétriques peut être très compliqué. La preuve indique un choix de segments du squelette et de perpendiculaires sur lesquels plier. L’algorithme est long à exécuter pour un ordinateur lorsque le polygone est complexe.
Voici un polygone un peu plus complexe et ses plis.
Et, pour terminer en beauté, la tortue de Demaine et son squelette droit, ainsi que des plis permettant de la découper d’un seul coup de ciseau.