La spectroscopie permet d’aller plus loin et déterminer la distance des étoiles trop éloignées pour avoir une parallaxe mesurable.
La photométrie à la rescousse
Les méthodes photométriques d’estimation des distances se basent toutes sur le fait que l’intensité I d’une source lumineuse de luminosité constante diminue en fonction du carré de la distance r qui nous en sépare:
\[I \propto \frac{1}{r^2}\]
Par exemple, à luminosité constante, une source lumineuse deux fois plus éloignée nous apparaîtra quatre fois moins brillante, neuf fois si elle est trois fois plus loin, etc. Si l’on connaît la luminosité intrinsèque L d’une étoile et son intensité apparente I, on peut déduire la distance D qui nous en sépare grâce à la relation:
\[I= C \times \frac{L}{D^2},\]
où C est une constante dont la valeur dépend des unités utilisées. La relation pour D devient alors:
\[ D=\sqrt{\frac{CL}{I}}.\]
On remarque que cette relation fait intervenir trois variables dont seulement une, l’intensité I, est connue, puisque c’est précisément ce que les astronomes mesurent par photométrie. On sait d’autre part que la luminosité intrinsèque d’une étoile se retrouve à l’intérieur d’un très vaste intervalle, des naines rouges très peu lumineuses jusqu’aux supergéantes bleues des dizaines de milliers de fois plus brillantes que le Soleil. Alors, pour une intensité donnée, comment savoir si l’on a affaire à une étoile peu lumineuse, mais proche, ou plutôt à une étoile extrêmement lumineuse beaucoup plus éloignée? Il est tout à fait possible que ces deux étoiles aient la même intensité lumineuse apparente sans qu’elles se trouvent pour autant à la même distance de la Terre. Comment contourner cet important problème?
Spectroscopie
C’est ici que la spectroscopie entre en jeu. Quiconque a déjà contemplé un arc-en-ciel a remarqué la dispersion des couleurs, du rouge au bleu; depuis les travaux de Sir Isaac Newton (1643-1727) sur la lumière, nous savons que ces couleurs composent le spectre de la lumière solaire. En poussant plus loin l’analyse de la lumière des étoiles dispersée par un prisme, les astronomes y ont découvert des raies spectrales, qui apparaissent comme des bandes sombres superposées à l’arc-en-ciel des couleurs. La théorie atomique nous a appris que ces raies sont la signature spectrale des éléments chimiques qui composent les étoiles. L’étude approfondie des raies spectrales nous renseigne non seulement sur la composition chimique des étoiles, mais également sur certaines de leurs caractéristiques physiques, comme leur température, leur masse, leur taille, leur gravité de surface, etc. Tous ces renseignements nous permettent ensuite de classer les étoiles en familles qui partagent certaines caractéristiques physiques communes, dont la luminosité intrinsèque.
C’est ainsi qu’il est possible de comparer deux étoiles dont les caractéristiques spectrales nous apprennent qu’elles ont à peu près la même luminosité L. Il est alors simple d’établir un rapport de distance entre l’étoile plus proche et plus brillante et l’autre, plus éloignée et nécessairement moins brillante. Cela nous renseigne sur leurs distances relatives, mais ne nous dit cependant rien sur la distance réelle qui nous en sépare. Pour cela, il faut être en mesure de calibrer nos observations, par exemple en comparant ces deux étoiles avec une troisième de la même famille, mais située suffisamment proche de la Terre pour que sa distance soit connue par parallaxe. On utilise alors cette troisième étoile pour calculer L à partir de son intensité observée I, puis, connaissant L (la même pour les trois étoiles) et l’intensité des autres étoiles de la même famille, on peut calculer leur distance. Cette méthode fonctionne bien en principe, mais se heurte souvent à l’écueil de savoir si deux étoiles qui se ressemblent ont véritablement les mêmes caractéristiques et, surtout, la même luminosité…
Les céphéides
Il existe heureusement une famille d’étoiles qui a été une véritable pierre de Rosette pour les astronomes tentant de mesurer de grandes distances stellaires: les étoiles céphéides. Le prototype de cette catégorie d’étoiles est Delta Cephei, dans la constellation de Céphée. Il s’agit d’une étoile orangée dont la luminosité varie de manière régulière et périodique. Un groupe particulier d’étoiles céphéides a joué un rôle primordial dans l’histoire de la mesure des distances cosmiques: celles situées dans le Petit Nuage de Magellan, une galaxie irrégulière en orbite autour de notre Voie lactée et visible uniquement de l’hémisphère Sud de la Terre.
Les céphéides du Petit Nuage de Magellan ont été longuement étudiées par l’astronome américaine Henrietta Leavitta1 qui est arrivée à la conclusion remarquable que plus une céphéide nous apparaissait brillante, plus longue était sa période de variation (l’intervalle entre deux maxima d’intensité). Or, toutes les céphéides étudiées par Leavitt étaient situées à l’intérieur du Petit Nuage de Magellan; cela signifie qu’elles étaient pratiquement toutes situées à la même distance de nous. Cela permettait de supposer que, pour une étoile céphéide, sa période de variation P était directement proportionnelle à sa luminosité intrinsèque L:
\[ P = k \times L, \]
où k est une constante. Pour les céphéides, donc, plus la période de variation d’intensité est longue, plus l’étoile est intrinsèquement brillante. Mesurer la période d’une céphéide permettait donc, en principe, de connaître sa luminosité et, par conséquent, sa distance.
Malheureusement, Henrietta Leavitt ne connaissait pas la distance qui nous sépare du Petit Nuage de Magellan, ce qui lui aurait permis de calibrer sa relation. On ne connaissait pas non plus à l’époque de céphéide suffisamment proche de la Terre pour déterminer sa distance par parallaxe. Mais un an à peine après la publication des travaux de Leavitt, en 1913, l’astronome danois Ejnar Hertzsprung (1873-1967) annonça être parvenu à mesurer la distance de quelques céphéides de la Voie lactée à l’aide d’une méthode statistique. La mesure des distances par la méthode des céphéides était donc calibrée. On tenait enfin l’étalon de mesure qui allait permettre la détermination des distances cosmiques à l’échelle de l’Univers entier ! De nos jours, on calibre la relation période-luminosité grâce à quelques céphéides situées à la limite de la portée du satellite Hipparcos.
La taille de la Voie lactée
Dès que l’on eut calibré les céphéides comme marqueurs de distance, les astronomes se mirent à la recherche de ces étoiles partout dans la Voie lactée et au-delà. L’astronome américain Harlow Shapley (1885-1972) utilisa des céphéides découvertes dans une centaine d’amas globulaires pour déterminer leur distribution dans l’espace. Les amas globulaires sont des regroupements sphériques de centaines de milliers d’étoiles liées par la gravité. Shapley eut la surprise de découvrir que les amas globulaires formaient une vaste sphère centrée sur un point situé à 25 000 années-lumière (a.-l.) de la Terre, en direction de la constellation du Sagittaire. Il en conclut que les amas globulaires étaient en orbite autour du centre massif de la Voie lactée, situé à 25 000 a.-l. de la Terre. Une telle distance décuplait la taille de la Voie lactée, dont on sait aujourd’hui qu’elle mesure plus de 100 000 a.-l. de diamètre.
Un autre avantage des céphéides est le fait que ces étoiles sont généralement très lumineuses, si bien qu’il est possible de les observer au-delà de la Voie lactée, au sein de galaxies voisines, comme les Nuages de Magellan. En 1925, l’astronome américain Edwin Hubble (1889-1953) parvint à mesurer la période d’étoiles céphéides situées au sein de la « nébuleuse » d’Andromède, dont on ne savait pas encore s’il s’agissait d’une île d’étoiles distincte de notre Voie lactée, ou d’un simple amas d’étoiles situé à l’intérieur des limites de notre Galaxie. Grâce aux céphéides, Hubble calcula que la grande galaxie était bel et bien située à l’extérieur de la Voie lactée, on sait aujourd’hui qu’elle est située à plus de 2,4 millions d’a.-l. de la Terre. Une telle distance repoussait encore plus loin les limites de l’Univers connu!
Étoiles géantes et supernovae
Même si les céphéides sont très lumineuses, il existe tout de même une limite au-delà de laquelle il devient pratiquement impossible de les distinguer des autres étoiles de leur galaxie hôtesse. Cette limite se situe à environ 100 millions d’a.-l. de la Voie lactée. Pour mesurer des distances au-delà de cette limite, les astronomes se tournent vers des objets encore plus brillants, comme les étoiles supergéantes bleues et les supernovae. Par exemple, en comparant les galaxies dont la distance est connue par la méthode des céphéides, les astronomes ont constaté que les étoiles supergéantes les plus brillantes de chaque galaxie avaient à peu près la même luminosité intrinsèque, des centaines de milliers de fois plus que le Soleil. Si on découvre de telles étoiles dans des galaxies trop éloignées pour y détecter des céphéides, on peut utiliser notre connaissance de leur luminosité intrinsèque moyenne pour déterminer la distance qui nous en sépare.
Il est possible de faire de même avec des objets encore plus lumineux, des milliards de fois plus que le Soleil: les supernovae. Une étoile massive arrivée à la fin de sa vie explose généralement de manière catastrophique. La majeure partie de sa masse sera soufflée dans l’espace, révélant son noyau incroyablement chaud et brillant. Pendant quelques jours, une supernova peut être plus brillante qu’une galaxie entière! Il existe divers type de supernovae, dont certaines atteignent toujours la même luminosité maximale et qui peuvent donc être calibrées pour servir d’étalon de distance au-delà de la limite des céphéides et des supergéantes bleues. Ce sont de telles supernovae qui ont permis aux astronomes de déterminer les distances aux galaxies les plus lointaines, situées à plusieurs milliards d’a.-l. de nous!
Conclusion
L’entreprise de mesurer le monde s’est révélée longue et ardue, mais les résultats sont spectaculaires. Du cosmos des philosophes grecs, relativement restreint et centré sur la Terre, nous sommes passés aujourd’hui à un Univers démesurément vaste, où la Terre n’est plus qu’un minuscule grain de poussière en orbite autour d’une étoile ordinaire située à la périphérie d’une galaxie en tout point semblable à des milliards d’autres galaxies qui peuplent le firmament. Une telle expansion des limites du cosmos est à l’image du développement de nos outils de mesure, trigonométriques d’abord, puis incorporant les connaissances plus récentes en mathématiques, en physique et notre connaissance intime de la structure et du comportement de la matière.
La mesure du monde a également constitué une véritable leçon d’humilité pour l’humanité qui comprend mieux aujourd’hui sa place dans le cosmos. Nous n’occupons pas de position privilégiée et l’Univers pourrait sans doute très bien se passer de notre présence. Mais par la simple force de sa raison et par son intelligence, l’être humain a tout de même réussi à prendre la mesure de cet Univers immense. Voilà certainement une des manifestations de la véritable grandeur de l’humanité!
Henrietta Leavitt
L’astronome américaine Henrietta Swan Leavitt est née en 1868 à Lancaster (Massachusetts) et est décédée en 1921 à Cambridge (Massachusetts). Elle effectua des études au Oberlin College et à la Society for Collegiate Instruction of Women (Radcliffe College) où elle découvrit l’astronomie. Après avoir obtenu son diplôme, elle suivit d’autres cours dans cette discipline dans laquelle elle fit des découvertes importantes. À l’âge de 25 ans, elle devint sourde à la suite d’une maladie. Engagée comme volontaire à l’observatoire du collège Harvard de Cambridge par Edward Charles Pickering, elle devait analyser des milliers de plaques photographiques afin d’évaluer la magnitude des étoiles. Elle eut à analyser des plaques photographiques des Nuages de Magellan, reçues de la station australe d’Harvard, l’observatoire péruvien d’Arequipa. Elle y repéra plusieurs étoiles, de luminosité apparente variable, comme celle découverte en 1786 par l’astronome anglais John Goodricke dans la constellation de Céphée.
Voulant comprendre ce qui détermine le rythme de fluctuations de la luminosité de ces étoiles, elle porta son attention sur les deux seuls paramètres mesurables concernant n’importe quelle céphéide: la période de variation et la luminosité. Elle chercha à savoir s’il existait une relation entre la période et la luminosité, c’est-à-dire si les étoiles les plus brillantes avaient une période de variation plus longue que les étoiles moins brillantes, et inversement.
Elle découvrit qu’il existe effectivement une relation mathématique entre la luminosité intrinsèque de ces étoiles et leur période de pulsation et elle comprit que cette caractéristique des céphéides permet d’en déduire la distance relative, mais il fallait une base de comparaison. Elle ne connaissait pas la distance entre la Terre et le Nuage de Magellan, mais elle soupçonnait que celui-ci était très éloigné et que les céphéides qu’il contenait étaient relativement proches les unes des autres en comparaison de leur distance à la Terre. En d’autres termes, les vingt-cinq céphéides repérées dans le Nuage se trouvaient toutes plus ou moins à la même distance de la Terre.
Les données recueillies par Henrietta Leavitt pour établir la relation période-luminosité sont représentées dans les graphiques ci-contre dans lesquels on a reporté la luminosité maximale et minimale de chacune des céphéides repérées. Dans le premier graphique, l’axe des abscisses est gradué selon une échelle linéaire et représente la période mesurée en jours. Dans l’autre graphique, l’axe des abscisses est gradué selon une échelle logarithmique et représente le logarithme de la période. Les deux droites de ce graphique révèlent un lien affine entre le logarithme de la période et la luminosité de la céphéide. Cette relation période-luminosité est à la base d’une méthode d’évaluation des distances des amas stellaires et des galaxies dans l’Univers qui sera utilisée notamment par Edwin Hubble.
L’astéroïde (5383) Leavitt a été nommé en l’honneur de cette astronome de talent.
- Voir note biographique rédigée par André Ross dans l’encadré. ↩