• Accueil
  • À propos
  • Accrom\(\alpha\)th en PDF
  • Commanditaires
  • Contact
  • Contributions des lecteurs
  • Sites amis

Logo

Mystérieuse lithographie d’Escher

Par Christiane Rousseau et Philippe Carphin
Volume 4.2 - été-automne 2009

Artiste fascinant, Maurits Cornelis Escher a conçu des toiles magnifiques et intrigantes, jouant avec la perspective et la géométrie, et démontrant une ingéniosité remarquable.

Ses œuvres, dont plusieurs ont une renommée mondiale, sont souvent citées comme exemples d’art à saveur mathématique. Elles interpellent le spectateur par leur caractère insolite. L’une de ses œuvres, « Exposition d’Estampes » a longtemps attiré et parfois même divisé la communauté scientifique. C’est qu’elle est demeurée inachevée. Mais, était-elle vraiment inachevable?

Regardons cette image, et imaginons que nous fassions un zoom pour rentrer dans l’image.En même temps nous tournons. Après avoir agrandi notre image par un facteur 22,58 et tourné dans le sens des aiguilles d’une montre d’un angle de 157,63 degrés, nous « devrions » retrouver l’image originale:devrions, parce que ce zoom nous amène sur le bord droit de la zone inachevée.

Pas très facile à voir… Pourtant, en 2003, les mathématiciens Hendrik W. Lenstra et Bart de Smit complètent la gravure! Comment?

Nous allons mettre nos lunettes mathématiques pour dévoiler le mystère de cette complétion.

Le procédé utilisé s’applique à toute image qui se retrouve reproduite à l’intérieur d’elle-même (suite à une mise en abyme) et, pour le rendre transparent, nous l’illustrerons sur une image beaucoup plus simple que la gravure d’Escher. Pour comprendre la méthode, il est recommandé de faire une lecture superficielle en se concentrant principalement sur la suite des dessins et en ignorant les détails mathématiques. Une deuxième lecture, optionnelle, permet à qui veut pousser plus loin de deviner comment ont été écrits les programmes qui génèrent ces dessins.

escher_img2Hendrik Lenstra et Bart de Smit ont appelé la mise en abyme d’une image « effet Droste », à cause de l’illustration figurant sur la boîte de cacao de marque Droste vendue aux Pays-Bas. Si on décide de faire un zoom bien choisi (et une légère rotation), on retrouve la même image. On a donc une infinité de nonnes qui s’accumulent en un point. Ce point est le centre de l’image: une infinité de tasses s’y accumulent, une infinité de boîtes de cacao s’y accumulent, etc. En faisant des zooms successifs on voit qu’on peut, en théorie, recouvrir le plan en entier avec notre image. Si l’on fait une homothétie (un zoom) d’un certain rapport C, on retrouve la même image. On dit que notre image est invariante sous une homothétie de rapport C.

Le point de départ d’Escher est tout simplement une image invariante sous une homothétie de rapport 1/256. Mais, quelle transformation lui fait-il subir?

escher_img3Faisons la démarche d’Escher sur l’image simple ci-contre.

Nous allons nous placer dans l’espace et imaginer notre image infinie sur le plan horizontal.

Nous supposons que cette image est élastique et nous la soulevons à partir du centre. Pendant toute cette manœuvre, nous exigeons que le cercle de rayon 1 reste fixe dans le plan horizontal. Au début nous obtenons un cône aplati, puis de plus en plus pointu. Le centre de l’image est situé au sommet du cône. Un paramètre \(\alpha\) décroissant de 1 à 0 va quantifier cette manœuvre, le cône ayant une arête de longueur \(1/\alpha\).

À la limite, quand le sommet du cône est à l’infini (c’est-à-dire \(\alpha = 0)\), le cône est devenu un cylindre. Qu’est devenue notre image? Tout au long de la déformation, on a obtenu sur le cône une image invariante sous une homothétie centrée au sommet du cône mais, au fur et à mesure qu’on étire le cône, le rapport d’homothétie se rapproche de 1. À la limite, lorsqu’on a le cylindre, il est égal à 1. Mais comme le sommet du cône est passé à l’infini, la limite de l’homothétie n’est pas l’identité mais une translation, comme on le voit sur la figure. L’image sur le cylindre est invariante sous translation verticale! Elle est donc périodique avec une période verticale \(T_1\). Sur le cylindre on observe une infinité d’images identiques sur des bandes l’une au-dessus de l’autre.

escher_IM3

escher_IM4

escher_img6

escher_img9Coupons maintenant notre cylindre suivant une droite verticale. On peut faire glisser les deux côtés de la coupure l’un sur l’autre et les recoller après un décalage de \(T_1\). La nouvelle image sur le cylindre est maintenant une spirale infinie, toujours périodique sous la même période verticale. Il ne reste plus qu’à faire l’opération inverse: aplatir notre cylindre en un cône jusqu’à ce que l’image finisse par être écrasée dans le plan.

Mais comment mettre cela en équation de manière à pouvoir en programmer les étapes? On imagine que l’image est imprimée sur une feuille infinie enroulée sur le cylindre ou sur le cône et qu’on déroule cette feuille. Une feuille enroulée sur le cône aura la forme d’un secteur, mais on peut prendre l’angle du secteur arbitrairement grand.

escher_img7Lorsqu’on déplie une feuille enroulée sur le cône, le motif qu’on obtient ne se referme pas après un tour.

Pour notre dessin dans le plan, puisque le cercle de rayon 1 reste devant nos yeux, le sommet de la feuille s’éloigne à l’infini. Lorsqu’on déroule la feuille enroulée sur le cylindre, l’image obtenue est périodique sous deux périodes : la période \(T_1\) (qu’on représente horizontalement) et une période \(T_2 = 2\pi\), soit la circonférence du cercle, qu’on dessine verticalement.

Mais alors, on a aussi des périodes obliques! Voilà l’origine du fameux angle de 157,6255960832 degrés qui a tellement intrigué Hendrik Lenstra. On tourne la figure de manière à amener le vecteur \(T_1 + T_2\) en position verticale. On fait une homothétie de manière à ramener sa longueur à \(2\pi\).

Grille d'Escher

Grille d’Escher

Et, on fait la transformation inverse. En faisant cela à partir d’une grille carrée, on obtient une grille semblable aux grilles de construction qu’on retrouve dans les dessins d’Escher (figure ci-contre).

Toutes les constructions d’Escher conservent les angles: ce sont des transformations conformes1. L’analyse complexe nous fournit des formules très simples pour ces transformations (voir encadré).

Vous pouvez regarder une animation de la construction d’une telle image réalisée par Philippe Carphin sur le site de la revue: www.accromath.ca.

escher_IM1

escher_IM2

Soyez à l’affût et tâchez de trouver une occasion de regarder le documentaire de Jean Bergeron « Achever l’inachevable », dans lequel Hendrik Lenstra raconte sa fascination devant cette gravure et le « Eureka » qui a permis à son équipe d’entreprendre la longue tâche de complétion de la gravure.

Dessin complété par l’équipe de Lenstra, avant transformation.

Dessin complété par l’équipe de Lenstra, avant transformation.

Gravure complétée par l’équipe de Lenstra à partir du dessin complété.

Gravure complétée par l’équipe de Lenstra à partir du dessin complété.

La mise en équation des transformations

On représente un point \((x, y)\) du plan par le nombre complexe \(z=x+iy\). Soit \(r\) le module de \(z\), et \(\theta\) son argument. Pour envoyer le plan sur un cône, on utilise la transformation \(z \mapsto Z^{\alpha}\), que l’on peut voir en coordonnées polaires comme \((r, \theta)\mapsto (r^{\alpha}, \theta)\). Au départ, \(\alpha = 1\). Ensuite, on fait décroître \(\alpha\) vers 0. Mais on veut aussi envoyer le centre à l’infini. Donc, on va plutôt utiliser la formule:

\[z \mapsto Z = \displaystyle \frac{z^{\alpha}-1}{\alpha}.\]

On peut vérifier que cette formule envoie l’origine dans le point \(-1/\alpha\), et que le cercle de rayon 1 (donc de longueur \(2\pi)\) est envoyé sur un arc de cercle de longueur \(2\pi\).

Quelle est la limite quand \(\alpha = 0\)? Précisément \(z \mapsto Z = \log z\) (c’est une application de la règle de l’Hospital)! Au début, l’image d’Escher était invariante sous l’homothétie \(z’ \mapsto zC\), pour \(C = 1/256\). Que se passe-t-il pour l’image finale lorsqu’on a appliqué le logarithme? Comme \(\log zC = \log z + \log C\), elle est devenue invariante sous une translation de période:

\[T_1 = \log C = – \log 256.\]

La deuxième période est \(T_2 = 2\pi i\). Considérons le nombre complexe

\[ A= \displaystyle \frac{T_2}{T_2-T_1} = \frac{2 \pi i}{2 \pi i + \log 256}.\]

Multiplier \(Z\) par \(A\), c’est lui appliquer une homothétie dont le rapport est le module de \(A\), suivie d’une rotation dont l’angle est l’argument de \(A\). En appliquant la transformation inverse de la première transformation \(z \mapsto Z = \log z\) (c’est-à-dire \(Z \mapsto e^z\)), on trouve \(z’=e^{AZ}\).

Faisons le calcul si \(Z = \log z\):

\[z’= e^{A\log z} = e^{\log z^A}=z^A.\]

L’image initiale était invariante sous l’homothétie \(z \mapsto zC\), ce qui donne que la nouvelle image est invariante sous\( z \mapsto C^Az\). Si on fait le calcul, le module de \(C^A\) est environ 1/22,58 et l’argument 157,63 degrés, soit l’angle observé par Hendrik Lenstra.

Pour en s\(\alpha\)voirplus !

Jean Bergeron, Achever l’inachevable, documentaire, Canada, 2007, 52 minutes.

PDF

  1. Voir La cartographie, dans Accromath vol. 3, hiver-printemps 2008. ↩
  • ● Version PDF
Partagez
  • tweet

Tags: Mathématiques et arts

Articles récents

  • Statistique et santé publique

    André Ross
  • Modéliser le réchauffement climatique

    France Caron
  • Partage équitable bis

    Christiane Rousseau

Sur le même sujet

  • Les mathématiques @ Hollywood

    Samuel Goyette
  • Les mosaïques de Thiele

    Christian Genest et Steffen Lauritzen
  • Les mathématiques au théâtre

    France Caron

Volumes

  • Journée internationale des mathématiques: Accromath multilingue
  • Volume 16.1 – hiver-printemps 2021
  • Volume 15.2 – été-automne 2020
  • Thème spécial: Les mathématiques sont partout
  • Volume 15.1 – hiver-printemps 2020
  • Volume 14.2 – été-automne 2019
  • Volume 14.1 – hiver-printemps 2019
  • Volume 13.2 – été-automne 2018
  • Volume 13.1 – hiver-printemps 2018
  • Volume 12.2 – été-automne 2017
  • Volume 12.1 – hiver-printemps 2017
  • Volume 11.2 – été-automne 2016
  • Volume 11.1 – hiver-printemps 2016
  • Volume 10.2 – été-automne 2015
  • Volume 10.1 – hiver-printemps 2015
  • Volume 9.2 – été-automne 2014
  • Volume 9.1 – hiver-printemps 2014
  • Volume 8.2 – été-automne 2013
  • Volume 8.1 – hiver-printemps 2013
  • Volume 7.2 – été-automne 2012
  • Volume 7.1 – hiver-printemps 2012
  • Volume 6.2 – été-automne 2011
  • Volume 6.1 – hiver-printemps 2011
  • Volume 5.2 – été-automne 2010
  • Volume 5.1 – hiver-printemps 2010
  • Volume 4.2 – été-automne 2009
  • Volume 4.1 – hiver-printemps 2009
  • Volume 3.2 – été-automne 2008
  • Volume 3.1 – hiver-printemps 2008
  • Volume 2.2 – été-automne 2007
  • Volume 2.1 – hiver-printemps 2007
  • Volume 1 – été-automne 2006
  • Article vedette

    Auteurs

    • Michel Adès
    • Antoine Allard
    • Jean Aubin
    • Marie Beaulieu
    • Rosalie Bélanger-Rioux
    • Claude Bélisle
    • Marc Bergeron
    • Pierre Bernier
    • André Boileau
    • Véronique Boutet
    • Pietro-Luciano Buono
    • Massimo Caccia
    • Jérôme Camiré-Bernier
    • France Caron
    • Philippe Carphin
    • Kévin Cazelles
    • Laurent Charlin
    • Pierre Chastenay
    • Jocelyn Dagenais
    • Marie-France Dallaire
    • Jean-Lou de Carufel
    • Jean-Marie De Koninck
    • Lambert De Monte
    • Jean-Paul Delahaye
    • Marc-André Desautels
    • Florin Diacu
    • Jimmy Dillies
    • Nicolas Doyon
    • Philippe Drobinski
    • Hugo Drouin-Vaillancourt
    • Louis J. Dubé
    • Thierry Duchesne
    • Stéphane Durand
    • Thomas Erneux
    • Philippe Etchécopar
    • Charles Fleurent
    • Jérôme Fortier
    • Marlène Frigon
    • Jean-François Gagnon
    • André Garon
    • Christian Genest
    • Denis Gilbert
    • Jonathan Godin
    • Frédéric Gourdeau
    • Samuel Goyette
    • Jean Guérin
    • Hervé Guillard
    • Abba B. Gumel
    • James A. Hanley
    • Alain Hertz
    • Bernard R. Hodgson
    • Isabelle Jalliffier-Verne
    • Guillaume Jouvet
    • Tomasz Kaczynski
    • Patrick Labelle
    • Marc Laforest
    • Josiane Lajoie
    • Alexis Langlois-Rémillard
    • René Laprise
    • Steffen Lauritzen
    • Denis Lavigne
    • Adrien Lessard
    • Jean Meunier
    • Normand Mousseau
    • Johanna G. Nešlehová
    • Pierre-André Noël
    • Dmitry Novikov
    • Ostap Okhrin
    • Laurent Pelletier
    • Jean-François Plante
    • Annie Claude Prud'Homme
    • Benoît Rittaud
    • Louis-Paul Rivest
    • Serge Robert
    • André Ross
    • Christiane Rousseau
    • Guillaume Roy-Fortin
    • Yvan Saint-Aubin
    • Maria Vittoria Salvetti
    • Vasilisa Shramchenko
    • Robert Smith?
    • William Verreault
    • Redouane Zazoun

Sujets

Algèbre Applications Applications des mathématiques Changements climatiques Chaos Construction des mathématiques COVID-19 Cristallographie cryptographie Dimension 4 Fractales GPS Gravité Géométrie Histoire des mathématiques Imagerie Infini Informatique Informatique théorique Jeux mathématiques Logique mathématique Lumière Mathématiques de la planète Terre Mathématiques et architecture Mathématiques et arts Mathématiques et astronomie Mathématiques et biologie Mathématiques et développement durable Mathématiques et littérature Mathématiques et médecine Mathématiques et physique Mathématiques et transport Miroirs Nombres Pavages Portrait d'un mathématicien Portrait d'un physicien Probabilités Probabilités et statistique Racines Rubrique des Paradoxes Section problèmes Théorie des noeuds Éditorial Épidémiologie

© 2021 Accromath