Montréal-Vancouver en moins de vingt-cinq minutes, sans dépenser d’énergie.
Pour déplacer un corps immobile au départ, on apprend dans les cours de physique qu’il faut lui appliquer une force. À la surface de la Terre, la force de gravitation est à notre disposition, gratuitement. Bien sûr, pour nous mouvoir d’un point à l’autre de la Terre sans utiliser d’énergie, il va falloir faire l’hypothèse que les frottements sont négligeables.
À petite échelle, on peut identifier la surface terrestre à un plan. Comment pourrait-on se mouvoir d’un point à un autre de même altitude en utilisant seulement la gravité : imaginons que les deux points soient séparés par une côte. Alors, à bicyclette ou sur des skis, on s’élance dans la descente pour remonter de l’autre côté.
On peut se demander quelle est la trajectoire la plus rapide pour accomplir cet exploit. Pour parcourir cette distance rapidement, il faut prendre de la vitesse très rapidement au départ et ensuite, puisqu’il n’y a pas de frottement, exploiter cette vitesse. La trajectoire la plus rapide, ou brachistochrone, a été découverte par Bernoulli. Cette trajectoire est celle tracée par un point sur un cercle lorsque celui-ci roule à vitesse constante le long d’une droite. Le graphique de cette trajectoire s’appelle la cycloïde.
La technique pour montrer que cette trajectoire est la plus rapide appartient à un très beau chapitre des mathématiques appelé calcul des variations, sur lequel nous reviendrons un jour.
Que faire si cette pente naturelle n’existe pas? Creuser un tunnel au profil désiré entre le point de départ et le point d’arrivée.
Ceci nous suggère la technique pour aller de Montréal à Vancouver en utilisant seulement la gravité : creuser un tunnel entre ces deux points. L’attraction de la Terre va nous faire plonger au fond du tunnel et nous utiliserons la vitesse acquise pour remonter vers Vancouver. Bien sûr, il nous faut une autre hypothèse encore plus irréaliste : il faut que le magma ne nous empêche pas de creuser ce tunnel! Nous allons donc nous limiter au problème mathématique : quelle est la forme de tunnel qui permet d’aller le plus rapidement d’un point de la Terre à un autre point de la Terre en utilisant seulement la gravité? Comme dans le cas précédent, notre tunnel plongera très rapidement, en fait perpendiculairement à la surface terrestre, de manière à acquérir le plus de vitesse possible dès le départ. Par contre, l’attraction terrestre est proportionnelle à la distance au centre de la terre (et donc nulle au centre de la Terre, comme on pouvait s’y attendre). La meilleure forme de tunnel est une courbe voisine de la précédente : une hypocycloïde1. C’est une courbe tracée par un point d’un cercle qui roule à l’intérieur d’un cercle plus grand, comme dans le Spirograph!
RÉVOLUTION DANS LE MONDE DU TRANSPORT
La compagnie ViaTunnel a inauguré sa nouvelle liaison Montréal-Vancouver. La durée du voyage est de 24 minutes et 22 secondes. Il sera possible de se rendre à Vancouver le matin, pour une réunion de travail, et revenir pour souper.
Le tunnel plonge à 1170 km de profondeur et au fond de celui-ci, la vitesse est de 16 463,3 km/h. Pour calmer les appréhensions des voyageurs, la porte-parole de la compagnie nous a fait remarquer que, puisque la courbure est faible, l’accélération n’est pas très forte. Moins forte que dans un manège dont l’accélération est surtout causée par la courbure.
Par cette nouvelle liaison, le transport des marchandises se fera d’un océan à l’autre à un coût minime, ce qui devrait permettre de développer de nouveaux marchés pour les produits des deux provinces. Une nouvelle ère économique commence.
Cette solution au problème de la fin du pétrole est très jolie, mais … difficile à réaliser. Nous ne nous sommes pas assez creusé les méninges!
Pouvez-vous trouver mieux?
Équations paramétriques de la cycloïde
C’est un joli exercice que de trouver les équations paramétriques de la cycloïde :
\[ \begin{cases} x(\theta)=r(\theta – \sin\theta) \\ y(\theta)=r(1-\cos\theta) \end{cases} \]
et de l’hypocycloïde :
\[ \begin{cases} x(\theta)=R\left((1-b)\cos\theta – b\cos\left(\frac{1-b}{b}\theta\right)\right) \\ y(\theta)=R\left((1-b)\sin\theta – b\sin\left(\frac{1-b}{b}\theta\right)\right) \end{cases} \]
où \(b \in ]0,1[.\) Dans le cas \(b = 1/2,\) on peut vérifier que l’hypocycloïde est bien le segment de droite joignant deux points antipodaux. L’hypocycloïde de Montréal à Vancouver correspond à \(b = 0{,}0919061.\) L’angle au centre entre Montréal et Vancouver est de \(0{,}577\)radians. On peut calculer que la période en secondes est :
\displaystyle T=\frac{2\pi \sqrt{Rb(1-b)}}{\sqrt{g}}=1462,
soit \(24{,}37\) minutes.
On peut voir la cycloïde comme un cas particulier de l’hypocycloïde. En effet, il arrive souvent en mathématiques qu’on regarde une droite comme un cercle de rayon infini.
- Voir l’article Jacques Bernoulli, dans Accromath, vol. 3, été-automne 2008. ↩