Une fourmi soulève cent fois sa masse. Alors, une fourmi de la taille de King Kong serait une créature formidable, qui causerait sûrement des ravages… Apparemment logique, mais complètement faux!
Personnages imaginaires et héros de notre enfance se déclinent en plusieurs familles, mais les méchants ogres et les gentils colosses qui peuplent les légendes et les contes de nos cultures pourraient-ils faire tout ce qu’on leur attribue? Au cinéma, King Kong, le fabuleux gorille, serait-il aussi fort et agile qu’Hollywood nous l’a laissé croire? Un peu de mathématique nous permet de conclure que non et, qu’en fait, ces monstres seraient bien fragiles.
Un Titan, ça ne court pas
Prenons un premier exemple, tiré de la multiplicité des personnages du jeu de rôles Donjons et dragons. Un Titan est une créature semblable à un humain mais de taille beaucoup plus grande, pouvant atteindre 7,5 mètres. En étant environ 4 fois plus grand qu’un humain de grande taille, un Titan serait donc 64 fois plus lourd (voir l’encadré La taille et la masse du Titan). La masse de 7 tonnes (7 000 kg) donnée dans les manuels de ce jeu apparaît donc tout à fait plausible. Qu’en serait-il alors de son ossature? Celle-ci serait 64 fois plus volumineuse que celle d’un homme, mais elle ne serait que 16 fois plus solide. Pourquoi? C’est que la solidité d’un os, comme celle d’une corde, est proportionnelle à la surface d’une coupe transversale: qu’un os soit 4 fois plus long ne le rend pas plus solide! (Voir l’encadré La taille, la force et la solidité.)
Le Titan serait donc 16 fois plus solide tout en étant 64 fois plus lourd! Pour imaginer ce qu’un os de la jambe d’un Titan aurait à supporter, on peut penser à ce que nos jambes auraient à supporter si on pesait 4 fois plus sans être plus gros: toute proportion gardée, c’est ce que le Titan ressentirait, chaque cm2 d’os supportant 4 fois plus de masse.
La taille et la masse du Titan
Le poids d’un animal est proportionnel au volume de son corps. Pour comprendre ce qu’il adviendrait si un humain devenait de la taille d’un Titan, il suffit de comprendre ce qui arriverait à chaque petite parcelle de notre corps lorsqu’elle serait agrandie par un facteur de 4. On peut considérer un petit cube dont chaque arête est agrandie par un facteur 4: le volume est alors 43 = 64 fois plus grand car il y a bien 64 petits cubes dans le plus grand. La masse du Titan serait donc environ 64 fois plus grande que celle d’un humain lui ressemblant.
En résumé, la masse est proportionnelle au cube de la taille.
Du Titan aux fourmis
Imaginer un Titan en train de gambader allégrement ou de courir rapidement est donc pour le moins irréaliste. Et s’il lui arrivait de sauter ou de tomber, il se fracturerait probablement tous les os du corps! King Kong, qui semble au moins quatre fois plus grand qu’un vrai gorille (et parfois bien plus, selon le film et les prises de vues retenues), ferait face aux mêmes difficultés. Pour grimper, ses bras, 16 fois plus puissants que ceux d’un gorille normal, auraient 64 fois plus de masse à supporter. Tout un contrat!
On peut étendre ce raisonnement à d’autres situations. On est souvent surpris d’apprendre que la fourmi peut soulever des masses cent fois supérieures à la sienne. En y repensant maintenant, est-ce si surprenant? Une fourmi mesure à peine 1 cm: si on la met à notre échelle, disons 1 mètre, elle serait alors 100 fois plus grande, donc dix mille fois plus forte (car 1002 = 10 000) et un million de fois plus lourde (car 1003 = 1 000 000). Et un simple calcul nous montre alors qu’elle ne soulèverait donc que sa masse, sans plus. C’est parce qu’elle est si petite qu’elle est si forte (relativement à sa masse).
La taille, la force et la solidité
La force nous est donnée par nos muscles, qui agissent un peu comme des cordes: plus un muscle est gros, plus il est fort, mais sa longueur ne le rend pas plus fort. Un Titan aurait des muscles 16 fois plus gros que ceux d’un humain, car 4 fois plus larges et 4 fois plus épais: mais le fait qu’ils seraient aussi 4 fois plus long ne l’aiderait pas.
On peut facilement s’en convaincre en considérant un cylindre, que l’on agrandit d’un facteur 4. On obtient alors un cylindre 16 fois plus solide puisque le rayon de la coupe transversale sera 4 fois plus grand et que l’aire sera donc \(\pi(4r)^2 = 16 \pi r^2\).
Qu’en serait-il de la résistance des os du Titan? On voit facilement que ses os seraient aussi 16 fois plus solides, puisque c’est le même principe qui s’appliquerait.
Bref, la force et la solidité sont proportionnelles au carré de la taille.
Des dimensions idéales
Le principe que l’on vient de voir trouve de multiples applications en biologie. Dans un texte publié en 1928 et intitulé On Being the Right Size, John Haldane, un généticien britannique (1892-1964), explique les liens entre la taille de certains animaux et la complexité de leur constitution. Un exemple, librement adapté de son texte, et qui illustre bien ce dont il est question, est lié à la respiration.
Un petit animal, tel un ver microscopique, respire à travers sa peau, ne nécessitant pas d’organe particulier pour ce faire. Si on augmente sa dimension par un facteur de dix (dans toutes les directions), sa masse sera mille fois plus importante et il aura donc besoin de mille fois plus de nourriture et d’oxygène pour pouvoir faire fonctionner ses muscles de manière efficace. Si sa physionomie n’est pas modifiée, l’aire de sa peau augmentera d’un facteur cent, et il lui faudra donc faire circuler dix fois plus d’oxygène au travers de chaque millimètre carré de peau.
Lorsque la capacité d’absorption limite de la peau est atteinte, il doit y avoir des modifications à la physionomie, par exemple en augmentant les surfaces permettant l’absorption d’oxygène: c’est ce que font nos poumons avec leurs multiples alvéoles, dont la surface totale destinée aux échanges est d’environ 200 m2 (soit la superficie d’un court de tennis). À cet effet, Haldane écrit d’ailleurs que les animaux plus évolués ne sont pas plus gros parce qu’ils sont plus complexes: ils sont plus complexes parce qu’ils sont plus gros.
Le bonheur d’être petit
En plus d’être moins complexe, un petit animal, tel une souris, peut survivre à des chutes de plusieurs mètres. Le même animal, 10 fois plus gros, ne le pourrait pas! La résistance à un choc, la solidité des os, est proportionnelle au carré de la taille, mais la masse (et la force de l’impact au sol) est proportionnelle au cube de la taille. Et cela est sans tenir compte de la résistance de l’air, qui ralentira bien davantage un petit animal qu’un gros: le rapport entre la résistance de l’air et la force de gravité est en effet plus grand pour un petit animal que pour un gros, puisque la résistance de l’air est proportionnelle à la surface frontale alors que la force de gravité est proportionnelle à la masse.
On peut ainsi trouver moins surprenant que les écureuils volants existent mais que le même phénomène ne se produise pas pour des animaux plus grands. Pour planer, un écureuil n’a pas à augmenter de beaucoup la surface de son corps, mais un animal plus gros devrait le faire bien davantage.
La résistance des gros
Quels avantages y a-t-il à être plus gros? Il y en a plusieurs, à commencer par la résistance au froid. Vous avez peut-être remarqué qu’il y a peu de petits animaux dans les régions polaires. Il y a une raison fort simple qui explique en partie ce fait. Les animaux à sang chaud doivent lutter contre la perte de chaleur, laquelle est fonction de la surface de leur corps, et leur corps emmagasine une certaine quantité de chaleur, laquelle est fonction de leur masse. Un petit animal perd ainsi très rapidement sa chaleur. Il doit se nourrir beaucoup plus souvent et manger une quantité de nourriture relativement grande par rapport à sa propre masse. À l’opposé, un animal très gros (on peut penser à un ours polaire ou à un morse) sera moins menacé par la perte de chaleur. Il pourra aussi demeurer plus longtemps sans manger.
On peut dormir en paix
Alors, soyons rassurés. King Kong n’est pas sur le point d’apparaître dans une jungle lointaine, et des fourmis gigantesques ne sortiront pas du laboratoire d’un savant fou pour nous menacer.
Les records du monde en haltérophilie
Lorsqu’on regarde les records du monde actuels en haltérophilie, on peut se demander si la force
des haltérophiles est proportionnelle au carré de leur taille comme nous l’avons vu, ou à leur poids1, comme on le dit généralement. Regardons le tableau suivant des records du monde actuels pour le combiné arraché et épaulé-jeté chez les hommes.
Dans la troisième colonne, on a inscrit le rapport du poids combiné par rapport au poids limite de la catégorie. On voit que ce rapport diminue alors que le poids augmente, et on est donc porté à dire que les records sont de moins en moins impressionnants lorsque la masse (poids) des haltérophiles augmente. La variation est grande et il y a plus de 30 % d’écart entre le plus petit rapport et le plus grand.
La quatrième colonne, intitulée rapport modifié, représente le rapport du poids combiné par rapport au poids limite de la catégorie, affecté d’un exposant 2/3. Par exemple, 20,84 = 305/562/3. Pourquoi calcule-t-on ce rapport modifié ? Nous avons vu que la force est proportionnelle au carré de la taille, et le poids à son cube. Pour avoir une idée de la force relative, on doit donc prendre la racine cubique du poids de l’haltérophile pour avoir une indication de la taille relative des haltérophiles, et élever celle-ci au carré pour comparer leur force. Ces rapports modifiés sont alors entre 19,78 et 21,23, et il y a une variation de moins de 5 % du plus petit au plus grand.
Le rapport maximal est d’ailleurs atteint pour la catégorie des 69 kg, soit pour 357 divisé par 692/3. Est-ce à dire que le record le plus impressionnant est celui de cette catégorie? À vous d’en débattre!
Pour en s\(\alpha\)voirplus !
Haldane, John B. S. On Being the Right Size, 1928
Lehoucq, Roland. Bulles de sciences , D’où viennent les pouvoirs de Superman? Physique ordinaire d’un super-héros, Éditions EDP, 2003
- Il est en fait question de masse ici, mais la tradition veut qu’on s’y réfère avec le mot « poids ». ↩