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L’infini c’est gros comment?

Par Frédéric Gourdeau
Volume 2.1 - hiver-printemps 2007

Ce matin-là, à la cafétéria

Annick
L’infini, c’est gros comment?

Yannick, levant les yeux vers le ciel

…

Annick
Fais pas ces yeux-là. J’suis pas folle.

Yannick
Qu’est-ce que ça peut me faire de savoir que c’est l’infini? De toute façon, l’infini, ça n’existe pas. As-tu déjà vu ça, toi, l’infini?

Annick
Oui! Bien sûr, et toi aussi. Que penses-tu qu’on écrit quand on écrit que 1/3 c’est 0,333…

Yannick
Ok, c’est vrai, le périodique, c’est déjà l’infini. Ou quand on écrit la valeur de $\pi$ = 3,14159…

Annick
Oui, et puis les nombres naturels, les entiers, les nombres rationnels, les fonctions, les polynômes, les …

Yannick
Ok, ça va, j’ai compris. Mais qu’est-ce que tu veux dire, l’infini, c’est gros comment?

Annick
Je te donne un exemple. Prends les nombres naturels et les nombres pairs. Prends-les tous. Est-ce qu’il y a plus de nombres naturels que de nombres pairs?

Yannick
Bien, c’est facile. Il y a deux fois plus de nombres naturels que de nombres pairs.

Annick
C’est ce que je me suis dit, mais alors j’ai un problème. Ça veut dire que l’infini des nombres naturels est deux fois plus grand que l’infini des nombres pairs, et qu’il y a des infinis plus grands que d’autres.

Yannick l’interrompant
Je ne vois pas le problème.

Annick
Laisse-moi finir. Alors, je disais qu’il y a plus de nombres naturels que de nombres pairs. Mais si je multiplie chaque nombre naturel par deux, je ne fais rien disparaître, je trans- forme, et je n’ai donc pas moins de nombres avant qu’après.

Yannick, se tenant la tête
Wô minute, on attend un peu. Je suis com-plè-te-ment perdu.

Annick s’interrompt, prend une feuille et trace un diagramme.

infini_img1

Le visage de Yannick s’éclaire.
Je vois! On peut transformer les naturels, en multipliant chacun par deux, pour obtenir les nombres pairs. On ne détruit rien, donc on en a autant avant de multiplier par deux, qu’après avoir multiplié par deux, et il y a donc autant de nombres naturels que de nombres pairs. Je vois, mais je n’aime pas ça.

Annick reprend
C’est là où j’en suis. L’infini, c’est gros comment? Est-ce qu’il y a vraiment des infinis plus grands que d’autres, ou est-ce qu’il y a un seul infini?

Le lendemain matin, toujours à la cafétéria

Annick
J’ai fait une recherche sur Internet à propos de l’infini. Mon dessin d’hier allait dans le sens des idées de Cantor.

Yannick
Cantor?1

Annick
Georg Cantor, c’est un mathématicien d’origine russe qui s’est intéressé aux ensembles infinis. La notion-clé de sa démarche est la bijection. Regarde ce que j’ai imprimé.

Bijection

infini_img2On considère un groupe d’amis dans lequel il y a trois filles et quatre garçons. Si on veut former des couples pour le bal de fin d’année, il y a toujours un garçon qui n’est pas jumelé. On dit que les ensembles ne peuvent être mis en bijection.

Si Émilie se joint au groupe, il y aura autant de garçons que de filles. On pourra alors former des couples de telle sorte que chaque fille soit associée à un garçon et réciproquement. Il y a alors bijection entre les deux ensembles.

Cantor a utilisé cette notion pour comparer des ensembles infinis. On dit que deux ensembles ont la même cardinalité s’il est possible de définir une bijection entre les deux ensembles. Ainsi, l’ensemble des naturels est de même cardinalité que l’ensemble des nombres naturels pairs.

Annick
Tu vois, mon diagramme d’hier est en plein ce qu’il faut. Cantor dirait que les deux ensembles ont la même cardinalité. Il est possible de définir une bijection entre l’ensemble des nombres naturels et celui des nombres pairs!

Yannick
Bon, alors, tous les infinis sont pareils! Une bonne chose de réglée…

Annick
Pas du tout! Il y a des infinis plus grands que d’autres. Cantor a désigné par infini dénombrable un ensemble infini pour lequel on peut définir une bijection avec l’ensemble des nombres naturels. Cantor a démontré que l’ensemble des nombres rationnels positifs est dénombrable, mais que l’ensemble des réels, lui, ne l’est pas. Regarde un autre diagramme que j’ai imprimé.

Yannick, intéressé cette fois
Attends, je pense que je comprends. En suivant le chemin indiqué par les flèches, il associe un nombre naturel et un seul à chaque nombre rationnel. C’est ça? Mais pourquoi il n’y a rien d’écrit à côté de 2/2?

inifini_img3

Annick
Il ne faut pas répéter 2/2, c’est la même chose que 1/1. Alors, les nombres rationnels qui, une fois simplifiés, donnent un nombre déjà associé sont laissés de côté. En poursuivant ainsi, chaque nombre rationnel est associé à un et un seul nombre naturel. L’ensemble des rationnels est donc dénombrable. Tous les nombres rationnels peuvent aller au bal accompagnés d’un nombre naturel.

Yannick
Spécial, on a une bijection entre et et pas de formule, juste un dessin. Je ne pensais pas qu’on faisait cela en mathématiques.

La cloche sonne

Yannick
Bon, infini ou pas, on va être en retard au cours. On finit ça là pour ce matin.

Annick
Attends un peu. Je voulais te montrer un dernier diagramme. Cantor a démontré que l’ensemble des nombres réels de l’intervalle ]0, 1[ n’est pas dénombrable. Mais je n’ai pas tout compris.

Yannick
Si tu n’as pas tout compris, pourquoi est-ce qu’on n’irait pas voir Alexandra ce midi? Elle serait surprise…

Annick
D’accord!

Le midi, avec Alexandra, la prof de maths

Annick
J’ai cherché sur Internet et j’ai trouvé l’argument de la diagonale de Cantor. Peux-tu nous expliquer ça?

Alexandra, estomaquée
Impressionnant. Vous vous intéressez à l’infini? Voyons un peu le diagramme.

Yannick
C’est Annick qui a tout trouvé. Moi, je suis spectateur…

Alexandra
Regardez, la diagonale s’étend à l’infini et en prenant les chiffres sur celle-ci, on peut former un nombre qui est un développement décimal illimité. Pour illustrer, supposons que ce nombre soit 0,3452768… Yannick, tu vas modifier ce nombre en changeant ses chiffres un par un. Disons que si un chiffre est différent de 5, tu le changes pour un 5, et si ce chiffre est 5, tu le changes pour un 2. Change d’abord le premier chiffre, qu’est-ce que tu obtiens?

Yannick
J’obtiens 0,5452768…, mais je ne sais pas où on va…

Alexandra
Le premier chiffre venait du carré rouge provenant de la ligne associée à 1. Es-tu d’accord qu’en changeant ce chiffre tu as obtenu un nombre qui est différent de celui associé à 1 ?

Yannick
Bien sûr.

Alexandra
En procédant de la même façon, change maintenant le second chiffre, celui provenant du carré rouge de la ligne associée à 2. Qu’est-ce que tu obtiens?

Yannick
J’obtiens 0,5552768…, mais je ne sais toujours pas où on va…

Alexandra
Êtes-vous d’accord qu’en changeant ce chiffre on a obtenu un nombre qui est différent de celui associé à 2?

Annick
Je viens de comprendre ce que je ne comprenais pas hier. On a maintenant un nombre qui est différent des deux premiers nombres de la liste.

Alexandra
Tout à fait, et en continuant ainsi, Yannick va écrire sous forme de développement décimal illimité un nombre de l’intervalle ]0, 1[ qui n’est associé à aucun nombre naturel. Avec mon exemple, le nombre commencerait par 0,5525555…

Annick, poursuivant
Il y a donc au moins un nombre de l’intervalle ]0, 1[ qui n’est associé à aucun nombre naturel. Par conséquent, l’ensemble des nombres de l’intervalle ]0, 1[ n’est pas dénombrable.

Yannick
Je suis perdu. Ça va un peu trop vite.

Annick
Si je résume, Cantor a supposé qu’il y avait une bijection de ]0,1[ avec les naturels, donc qu’il avait tous les nombres réels dans une liste avec un premier, un deuxième, etc., et il a montré qu’il y avait au moins un nombre qui n’était pas dans la liste. Donc, sa liste est incomplète et il n’y a pas de bijection!

Alexandra, s’adressant à Yannick
Oui, et il a fallu très longtemps pour que Cantor en arrive à ces idées. C’est normal que ça ne se comprenne pas du premier coup.

L’argument de la diagonale de Cantor

infini_img5Cantor a démontré que l’ensemble des nombres réels de l’intervalle ]0,1[ ne peut être mis en bijection avec l’ensemble des nombres naturels. Afin de démontrer cela, il suppose qu’au contraire, on soit capable de faire une telle bijection. Il écrit les nombres réels de l’intervalle ]0, 1[ sous forme de suites décimales illimitées. Par exemple, 1/2 s’écrit 0,5000…, 1/3 s’écrit 0,3333…, 3/7 s’écrit 0,428571428…, et ainsi de suite. Puisqu’il a supposé que ]0, 1[ est dénombrable, il ordonne alors ces nombres selon le nombre naturel qui lui est associé. Cela donne une correspondance de la forme ci-contre.

Chacun des carrés représente un chiffre du nombre exprimé en suite décimale infinie. La diagonale principale est mise en évidence en colorant ses carrés en rouge, alors que les autres carrés sont bleus. Ce sont les chiffres de cette diagonale qui jouent le rôle-clé dont parle Alexandra.

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  1. Voir note historique sur Cantor en page 25 du volume 1 d’Accromath. ↩
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